Tempus fugit.


137 heures. Le temps moyen pour exploiter raisonnablement un monde ouvert moderne. Nouveau parangon de l’open world pour certain, itération logique dans la continuité des œuvres du studio From software pour d’autres, Elden Ring a su depuis son annonce cristalliser fantasmes et attentes. De mon point de vue, je n’ai que rarement été sensible à la formule de Miyazaki. Pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé de percer les mystères de cette école. Même si j’ai fini dans la douleur Dark Souls 3, le premier opus et le 2 me sont tombés des mains. Même constat pour Sekiro. J’ai laissé de côté Bloodborne car je n’avais pas de PS4 à sa sortie. Elden Ring arrivait donc avec son cortège de promesses, censés réconcilier les adeptes de From avec les arpenteurs de monde ouvert.



La carte n’est pas le territoire.



Dès les premiers instants de jeu, j’ai ressenti ce malaise qui m’envahissait à chaque découverte d’un jeu From. Environnements en décrépitude, Direction artistique inspirée, technique fragile, menu d’un autre âge et ergonomie perfectible. Puis, au sortir d’une grotte le monde s’ouvrit et une sensation jamais ressentie auparavant me cueillit. Après quelques foulées dans les herbes hautes, où que porta mon regard, une possibilité d’exploration, une éventualité d’aventure. Un sentiment de vertige me submergea durant ces premières heures où je me familiarisai avec les contrôles et les règles imposées par ce monde hostile. Un affrontement n’était plus un obstacle car chaque écueil pouvait être contourné. Une stratégie de jeu s’imposa à moi, dictée par mes faibles compétences martialles. Un solide bouclier, un katana et des esprits invoqués pour m’aider à vaincre mes adversaires. Et surtout, explorer, inspecter, deviner, traquer le moindre recoin dans l’espoir de découvrir un passage synonyme de récompense. Le fameux appel de la récompense si cher aux joueurs. A l’instar d’un Breath of the wild, Elden ring est façonné de manière à stimuler la curiosité du gamer. Les reliefs, les dolines, les ruines, les architectures, les toits, les précipices, les anfractuosités etc. Tout s’imbrique pour attirer, pour accrocher le regard. Dans cette optique, la magnifique carte agit comme un révélateur. Il s’agit de la décrypter, de lire entres les lignes, de caresser ses courbes du regard pour arracher le voile opaque du mystère. Cette carte ne s’offre pas à nous, elle se mérite. Interactive et évolutive, elle est la réponse de From pour redonner à l’exploration vidéoludique ses lettres de noblesse.



Quand on arrive anvil.



Les premiers combats sont âpres et disputés. Un simple soldat peut être mortel. Alors un groupe… Diviser pour mieux régner. Attirer pour isoler. L’IA brille par sa bêtise. Il suffit d’appâter un belligérant de loin avec un trait ou une flèche pour que s’écroule le château carte. La force du groupe ne survit pas à l’idiotie des individus. Le campement décimé, je récolte le fruit de mes efforts. De l’équipement. Encore et toujours. Si les débuts sont stimulants, une certaine monotonie s’installe avec les heures. Il faut faire un choix et seules quelques pièces pourront être améliorées, monter de niveau est un art dispendieux. Comme trop souvent avec les collections, celles ci aussi s’avèrent inutiles. Parmi les dizaines d’épées, boucliers, bâtons, dagues, heaumes, lances, jambières, marteaux, griffes, plastrons etc. Une dizaine m’accompagnera jusqu’à l’ultime affrontement. Le sans Eclat ne recherche que l’efficacité. Si les équipements exotiques peuvent divertir quelques instants, ils finissent invariablement dans le coffre. Le schéma exploration/combat/récompense est il encore assez stimulant quand on devine où va finir le loot? Même constat pour les cendres de guerre, les esprits ou les magies. Une fois notre choix fait, une fois l’investissement en pierres, muguets et autres runes effectué, on ne peut démanteler et reforger. Le matériel évolué est immuable, les ressources investies le sont définitivement. Étonnant que l’on puisse parallèlement extraire la totalité des runes de notre avatar pour lui accorder une nouvelle naissance. Un nouveau corps avec de vieux oripeaux.




Tableur, même pas peur.




Si ce monde est parsemé de caves, de grottes et de labyrinthes engloutis, il faut être intime avec les œuvres du studio pour espérer s’orienter également dans le dédale des menus. Austère, sans ergonomie et amputé de système intelligent de classement, parcourir son inventaire est une aventure en soi. Le modèle Excel n’est pas loin, seulement rehaussé d’une myriade de belles images évocatrices. Pour les plus masochistes, des colonnes de chiffres et de lettres majuscules parachèvent le tableau. On devine la supériorité du bleu sur le blanc, du S sur le B et le E ou de 245 sur 237. Mais sur quelle échelle ? Pour quel ordre de grandeur ? Une fois encore, il faut expérimenter. Elden ring est un jeu à la dure qui ne révèle son cœur de gameplay qu’aux optimiseurs obsessionnels ou aux dévoreurs de wiki. Pour ma part, mon katana de départ, le croc du limier, la hallebarde de chevalier banni, la morgenstern,l’éclipse lunaire, un arc long, un bouclier de cuivre et de quoi lancer des invocations et des sorcelleries. What else ?

Si je peux comprendre le vertige éprouvé par nombre de joueurs devant les possibilités qu’offrent les différents systèmes liés au combat, j’avoue ne pas en faire partie. Une fois acquis un équipement fiable, efficace et que je maîtrise, mon objectif était de vivre une aventure, pas d’expérimenter tous les outils mis à ma disposition pour trucider des adversaires à la chaîne. Surtout avec une ergonomie manette qui est loin d’être optimale : pour changer d’objet en combat ( potions, magie, fiole, dague de lancer etc) il faut relâcher le stick directionnelle et ainsi rester immobile afin d’utiliser la croix de direction… Aie !



Du combat et de ses limites.



Pourquoi un monde si vaste, si riche dans sa conception architecturale ne propose-t-il pas plus que cette simple boucle exploration / combat / récompense ? Je dois avouer que mes premières sensations de lassitudes sont apparues en arrivant à Leyndell. Aussi imposante et grandiose que soit cette capitale, je voyais les fils derrière le travail de haute couture. Les chevaliers, encore, avec des livrées différentes, les mêmes couloirs, ascenseurs, ennemis tapis dans l’ombre, chiens zombis, toits à explorer etc. Combats, combat, combats. Toujours du loot avec très peu de variantes. Un boss sur lequel j’échoue plusieurs fois, me forçant à vaporiser des adversaires que je connais par cœur pour retenter ma chance. Et ce mini boss, que je rencontre sous une autre forme, comme ces clones de statues de chat qui hantent les cryptes du jeu jusqu’à la nausée. Le recyclage comme outils créatifs pour gonfler artificiellement la durée de vie. Et cette caméra, la plus retorse des ennemies. Infecte dans les lieux confinés, n’offrant aucune lisibilité et par extension aucune anticipation des actions de l’adversaire quand ce dernier dépasse les 3 mètres et qu’on se retrouve dans ses jambes pour le frapper. La mécanique des combats ne me suffit plus car je réalise qu’elle est ma seule façon d’interagir avec ce monde enivrant. Ou presque.




Vulnerant omnes, ultima necat.




Que reste-il sans les affrontements. Ce monde est hostile. L’écrasante majorité de ses habitants veut notre mort. Quels sont les autres aspects de l’aventure ? L’exploration, guidée par le sentiment d’émerveillement ne dure que le temps de la découverte. Le plaisir du loot ne dure que si nous sommes atteint de collectionnite aiguë. Les pnj n’offrent que des quêtes simplistes, pour la plupart cryptiques. Engoncés dans un comportement quasi autistique et des dialogues expédiés et vaporeux, servis par des animations sclérosées, les personnages non hostiles que nous sommes amenés à rencontrer, grands pourvoyeurs de quêtes annexes, ne développent que rarement une histoire personnelle intéressante et n’enrichissent que très peu le lore de l’Entre-terre. Les énigmes et autres passages secrets sont extrêmement rares. Il s’agit bien souvent d’une astuce pour filouter le joueur (les passages placés en hauteur où il faut utiliser une lame ou un pilier comme ascenseur, les dalles d’ascenseur qui cachent un conduit) et on ne compte plus les murs factices qu’il faut frapper pour qu’apparaisse un tunnel secret. Les cryptes enchaînent les couloirs comme des perles sur un collier et la surprise est de savoir si cette fois nous auront à fissurer de la gargouille ou réduire du squelette en poudre. Ô lassitude ! Mais pourtant, parfois pointe l’éclaircie au détour d’une toile de maître révélant un paysage troublant qu’il va falloir découvrir. Merci Breath of the wild. Cette aridité narrative devient pesante à la longue et ce n’est pas les quelques éléments disséminés sur cette map gargantuesque qui étancheront ma soif d’histoires et d’Histoire. Au terme de cette aventure, je ne croyais plus en ce monde. Il me faisait l’effet d’une maquette d’architecte, structurée mais vide. Un monde ou le seul aspect d’affrontement est développé. Un monde où l’on croise des clones parés de skins interchangeables et aux capacités modulées pour donner l’illusion de la nouveauté. Ce monde aux structures architecturales somptueuses mais réfléchies en termes de level design et non de cohérence. Quel architecte dément édifierait ces forteresses aux passages torturés, aux escaliers mortels, à ces enfilades de pièces sans lien entres elles. Personne n’a jamais vécu ici et ne pourrait y vivre. On atteint ici les limites d’un level design construit autour du combat et non de l’immersion, de l’aventure. Ce sentiment s’accentue au fil que nos heures s’égrainent en Entre-terre et que les paysages, châteaux et autres grottes n’arrivent plus à dissimuler une énième arène. La sensation d’aventure se brise et le souffle s’éteint. J’attends la fin plus comme une libération que comme une crainte. Et quelle fin. Un enchaînement de 3 boss sous 5 formes différentes… Il y a 6 fins différentes parait-il ? Je me contenterais de la mienne, poétique. Merci Ranni.

Créée

le 3 juin 2022

Critique lue 68 fois

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Alyson Jensen

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