Voilà dix ans que je me frottais pour la première fois à une des itérations ludiques de Bethesda. Oblivion, quatrième opus, peu apprécié au sein de la série, reste pour moi un jalon dans ma découverte des gameplays PCistes libérés. Mais y-a-t-il quelque chose de changé au royaume Bethesda après un nouveau Elder Scrolls et trois Fallout revisités ?Pas grand chose mais, tout de même. Il y a une formule dont l’équilibre reste presque rigoureusement identique, fondée sur le même rythme, les mêmes mécaniques, les mêmes récompenses, les mêmes forces et les mêmes faiblesses. Bethesda a modelé un gameplay que je qualifierai de digressif, basé sur une narration éclatée en une multitude de petits fragments dispersés dans des boucles de gameplay aux mécaniques de récompense assez addictives. Tout dans les Elder Scrolls comme les Fallout est fait pour dévier, regarder ailleurs, se perdre en attrapant les petits bonbons anarchiquement éparpillés par des concepteurs, multiples petits poucets, qui semblent agir chacun de son côté. De ce principe de base découlent pour ainsi dire, en tout cas sur le plan narratif, toutes les précieuses qualités et les irréductibles défauts de ces jeux.


Fallout 4 n’échappe pas à la règle. Malgré les quelques sursauts de son histoire principale, ce n’est pas là, pas dans l’écriture falote et indigente de la plupart des personnages et dialogues, que l’on trouvera son compte. C’est en fouillant dans les recoins de son décor que l’on y dénichera ses trésors: des micro-histoires à la mise en scène bien plus évocatrice que l’emballage narratif consensuel du jeu pourrait le laisser penser. Car même si Fallout 4 souffre de la comparaison avec ses aînés (et notamment avec New Vegas des irrévérencieux scribes d’Obsidian), même s’il accuse, sur ses concurrents directs (au hasard The Witcher 3), un retard difficilement excusable dans la vitalisation de son univers, même s’il montre, suivant la prise d’ampleur commerciale du studio, les symptômes évidents d’une aseptisation de son gameplay et de son univers, il lui reste, d’une part, son attrait presque psychotropique dans sa manière d’absorber le joueur (jusqu’à l’angoisse quand, en fin de jeu, des quêtes viennent réinvestir des lieux déjà épuisés, laissant pressentir au joueur qu’il est enfermé dans une boucle de gameplay infinie), mais surtout, il lui reste ses récompenses exploratoires, minuscules ou démesurées, saillies inattendues et sublimes.


De l’étonnante immobilité d’un jeu entièrement tourné autour du nombril du personnage-joueur, de cet univers mort (qui profite néanmoins de la montée en puissance du moteur graphique pour envoyer de sacré morceaux de paysage) en attente d’être déchiffré, le joueur ne sort vainqueur qu’en archéologue. De son incapacité à rendre vivant son univers comme ses concurrents ont pu le faire, Bethesda tire une force morbide insoupçonnée. C’est là que le moteur du jeu joue un rôle prédominant. Il y a dans Fallout 4, une grande quantité d’éléments, d’objets, de meubles, de structures, que l’on retrouve un peu partout et qui passés à la moulinette de son outil de craft, semblent être malléables, duplicables, installables, désinstallables. En dehors de la grande cohérence entre ce système et l’univers post-apocalyptique de bric et de broc du jeu, j’y vois surtout une volonté affichée de mettre en avant une pratique artisanale du jeu vidéo, qui certes trouvera son accomplissement dans sa communauté patrimoniale de moddeurs, mais qui semble être au fondement même de son développement.


Contrairement aux toiles de maîtres de Rockstar et CD Projekt, on sent, dans Fallout 4, les petites mains qui ont agencé le monde en de multiples mises en scène, macabres ou ironiques et souvent cachées. Le joueur devient ainsi, l’archéologue de la conception du jeu, ébahi devant le talent sculptural des hommes qui l’ont précédé comme on s’ébahit des peintures rupestres préhistoriques. Et l’on perçoit à ce moment la liberté individuelle de l’artiste, aussi modeste soit-il, et c’est cette survivance au sein d’une structure presque mortifère par sa consensuelle répétitivité (il faut voir les quêtes secondaires de faction, dupliquées sur le même moule) qui fait que les jeux de Bethesda, et a fortiori Fallout 4 qui en est encore plus victime, touchent encore par moment à une grâce vidéoludique si rare dans les jeux AAA.


Arriver au détour d’une forêt dans une immense clairière, trouver un musée d’horreurs contemporaines dans la routine d’une quête de faction ou percevoir les traces d’une secte aux rites funèbres au fond d’une mine, font partie de ces moments si précieux et inoubliables qu’encore une fois, et malgré des tares à peine pardonnables, on navigue encore avec l’avidité émerveillée d’un aventurier dans ces terres désolées.


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le 3 sept. 2017

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