Final Fantasy XVI
6.6
Final Fantasy XVI

Jeu de Square Enix (2023PlayStation 5)

Entre grandeur tragique et désillusion ludique

Il est difficile d’aborder un nouvel épisode de la saga Final Fantasy sans éprouver une forme de gravité. Depuis plus de trente ans, cette licence emblématique incarne bien davantage qu’une simple succession de jeux : elle est le théâtre de révolutions esthétiques, de ruptures conceptuelles et de tentatives toujours audacieuses de réinventer le RPG japonais. À ce titre, Final Fantasy XVI s’annonce d’emblée comme un tournant majeur. Or, si l’ambition du projet force l’admiration et si certaines de ses réussites sont indéniables, force est de constater qu’il trahit aussi, et parfois lourdement, ce qui faisait la singularité de la série. En cela, il s’agit d’une œuvre aussi brillante dans sa forme qu’inachevée dans son esprit.


Une mise en scène magistrale au service d’un récit tragique


Dès ses premières minutes, Final Fantasy XVI impressionne par la densité de son univers et la maturité de sa narration. Exit les mondes chamarrés et les ambiances oniriques : Valisthéa est une terre brisée par les conflits, les intrigues de palais et les fatalités magiques. Le jeu embrasse une tonalité sombre, presque shakespearienne, où les destins se nouent dans la douleur et la vengeance. L’influence de Game of Thrones est palpable, mais elle est digérée avec intelligence, pour servir une intrigue personnelle puissante centrée sur Clive Rosfield, figure tragique par excellence.


Clive, interprété avec une justesse remarquable, traverse le récit tel un homme broyé par son passé, sa condition et ses responsabilités. Sa relation avec son frère Joshua, son cheminement intérieur, son désir de justice et de rédemption sont portés par une écriture souvent sobre mais efficace. Certains dialogues sont même d’une rare gravité pour un jeu de cette envergure, et de nombreuses quêtes secondaires (notamment dans le dernier tiers du jeu) viennent enrichir le monde d’une humanité inattendue.


Une direction artistique somptueuse


Le raffinement esthétique de Final Fantasy XVI est incontestable. Le jeu bénéficie d’une direction artistique cohérente, inspirée et généreuse. Les paysages traversés — cités gothiques, forêts crépusculaires, champs de bataille ravagés — sont empreints d’une beauté souvent mélancolique. Les effets de lumière, les textures, l’architecture, tout concourt à forger un monde crédible, dur, mais profondément évocateur.


Les Eikons (avatars divins et destructeurs) sont sans doute les plus belles réussites visuelles du jeu. Leur design, à la fois colossal et détaillé, impressionne par son souffle épique, et les affrontements qui les opposent sont des moments de pur spectacle, où la mise en scène se fait opératique. Ces séquences sont accompagnées d’une bande-son magistrale signée Masayoshi Soken, qui mêle chœurs latins, cordes tragiques et envolées lyriques. Certaines compositions, comme les thèmes d’Ifrit ou de Bahamut, s’imposent déjà comme des classiques de la série.


Un gameplay dynamique mais dénaturé


C’est précisément sur le plan du gameplay que les limites de Final Fantasy XVI apparaissent avec le plus d’évidence. Certes, le système de combat est fluide, énergique, et remarquablement bien exécuté dans sa dimension technique. Ryota Suzuki, ancien de Devil May Cry, a su injecter une intensité chorégraphique rare à chaque affrontement. Esquives parfaites, combos aériens, capacités élémentaires spectaculaires : chaque duel est une déferlante visuelle plaisante à prendre en main.


Cependant, cette efficacité cache une carence plus profonde : la disparition quasi totale de la stratégie. Il ne s’agit plus ici d’organiser un groupe, de composer avec les forces et faiblesses de plusieurs personnages, de choisir avec soin ses équipements ou d’adapter ses sorts à l’adversaire. Le combat se résume à Clive seul, ses enchaînements, et la sélection de quelques compétences à équiper. Même si certaines configurations de build existent, elles restent superficielles et ont un impact mineur sur la progression.


Final Fantasy, dans son essence, a toujours été plus qu’un simple jeu d’action. Il a longtemps reposé sur la subtilité des systèmes, la variété des approches, l’intelligence de la planification. En optant pour un modèle action-RPG presque pur, le seizième épisode rompt de manière abrupte avec cette tradition. Il en résulte un jeu qui, s’il séduit par son immédiateté, déçoit par son manque de profondeur. Certains y verront une modernisation bienvenue ; d’autres, un appauvrissement regrettable.


Exploration limitée et structure trop linéaire


Le monde de Valisthéa, aussi beau soit-il, souffre d’un certain enfermement. Final Fantasy XVI n’est pas un monde ouvert, et cela n’est pas un défaut en soi. Toutefois, les zones semi-ouvertes qu’il propose manquent souvent de vie, d’interactivité, et d’enjeux véritables. Les quêtes annexes, bien que certaines gagnent en profondeur sur la durée, restent trop souvent cantonnées à des tâches utilitaires peu inspirées. L’exploration est fonctionnelle, jamais aventureuse.


L’absence de villes riches, de mini-jeux, de secrets à découvrir ou d’activités parallèles renforce l’impression d’un monde au service du scénario, mais rarement de la curiosité du joueur. On aurait aimé que Valisthéa, si bien conçue sur le plan esthétique et narratif, soit aussi plus généreuse dans ses mécaniques de découverte et d’interaction.


Une œuvre ambitieuse, mais incomplète


Il serait injuste de nier ce que Final Fantasy XVI accomplit avec brio : une narration adulte, une réalisation technique solide, une direction artistique inspirée, un système de combat vif et maîtrisé. Le jeu propose également certains moments d’émotion sincère, des personnages attachants, et un univers d’une cohérence rare.


Mais il serait tout aussi malhonnête de ne pas reconnaître que ce Final Fantasy souffre d’un déséquilibre fondamental. En sacrifiant la complexité de ses mécaniques, l’interactivité de son monde et la richesse de ses systèmes au profit du spectacle, il s’éloigne dangereusement de ce qui faisait l’âme même de la série. Il devient un très bon jeu d’action-RPG, sans doute. Mais un Final Fantasy au sens fort ? Moins assurément.


Conclusion : une œuvre brillante mais orpheline de son héritage


Final Fantasy XVI est un jeu admirable à bien des égards. Son souffle dramatique, sa mise en scène dantesque, son atmosphère sombre et son personnage principal profondément humain en font une expérience marquante. Mais il ne parvient pas à incarner pleinement le legs d’une série qui, autrefois, conjuguait émotion narrative, inventivité ludique et profondeur systémique.


En cela, Final Fantasy XVI est une réussite partielle — éblouissante dans sa forme, mais orpheline dans son cœur. Il n’est pas un échec, loin de là ; il est une démonstration de savoir-faire, de vision et de puissance de production. Mais au regard de ce que le nom Final Fantasy continue de représenter, il demeure une déception — non pas parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il aurait pu être bien plus.

Kelemvor

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