Après s’être essayé au jeu de tactique avec Famicom Wars, Intelligent Systems entend explorer le thème médiéval-fantastique mais surtout hybrider la formule avec le JRPG pour créer un tout nouveau genre : le tactical-RPG. Shouzou Kaga, sans expérience jusqu’alors, va ainsi donné naissance à l’une des franchises les plus acclamées de Nintendo, référence d’un genre qu’elle a elle-même créé : Fire Emblem. Mais cette promesse innovante et ambitieuse fut-elle remplie dès le premier essai et avec les moyens limités de ce petit studio ?


Voyons ce qu’il en est sachant que je parlerai ici de sa version Famicom originale, non de son remake sur Super Nintendo, ou celui sur DS, ou même sa version digitalisée sur Switch avec une palette de couleurs revue et des fonctionnalités supplémentaires.


GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆


Se présentant donc comme un jeu de tactique, le gameplay au tour par tour repose ainsi sur des cartes en grilles dessinées par des cours d’eau, des forets, des montagnes... affectant les déplacements des unités selon leur classe ainsi que le niveau de protection dont ils bénéficient si elles y sont attaquées. Étant dépourvu de brouillard de guerre, analyser le comportement adverse pour anticiper ses mouvements et comprendre les forces et faiblesses des unités et de leur arme est le cœur du jeu permettant de tendre des embuscades, de frapper avant l’arrivée de renforts ennemis, de contourner une menace… auquel il faut ajouter principe de prudence et apprentissage par cœur face aux renforts scriptés imprévisibles pouvant ruiner notre partie en un instant.


Il n’est pas question ici de commander des troupes de soldats que l’on pourrait créer à la chaîne, il s’agit ici de contrôler des personnages combattants uniques répartis sur différentes classes, cavalier, mage, archer, prêtre... L’aspect rôliste est d’abord assuré par le système d’expérience de ces personnages jouables ainsi que par l’arsenal dont on les affuble en fonction de leur classe. Si le système de montée en niveau est très simple avec une montée en puissance linéaire et une promotion requise avant de débloquer les niveaux supérieurs toujours aussi linéaires, l’arsenal est quant à lui très complet pour enrichir le système de jeu avec des styles d’armes ayant chacun des forces et des faiblesses se retrouvant dans un système statistique ambitieux comprenant poids, dégâts, précision, taux de coups critiques, difficulté à être maîtrisé, durabilité… mais très lisible grâce à un système de matériau permettant d’identifier instinctivement cet équilibrage.


Et chaque style compte des armes très efficaces face à des types d’ennemis bien particuliers, même si les épées sont clairement avantagées par ce système, plus variées et plus faciles à réapprovisionner que les haches et dans une moindre mesure les lances. L’équilibrage des classes est aussi bancal que celui des styles d’armes avec des personnages largement plus faibles que leur équivalent disponible plus tôt dans le jeu et plus facilement, des classes beaucoup plus difficiles à entraîner que d’autres pour un résultat moindre, la résistance à la magie qui est curieusement la même pour tous… rien de bien grave mais signe évident d’un manque de maîtrise de cette formule naissante.


Sinon, l’aspect rôliste se retrouve aussi avec un système de mort permanente, c’est-à-dire que si un personnage jouable autre que le héros est tué, libre à nous de recommencer le chapitre ou d’assumer et de poursuivre l’aventure sans lui. Et le jeu comprend plus de 3 fois le nombre de personnages que l’on peut recruter que le nombre que l’on peut en déployer sur un chapitre, autorisant ainsi les pertes dans une certaine mesure. Si personnellement, je m’impose de ne perdre personne, ou presque, j’apprécie avoir ce choix qui offre une nouvelle part de liberté au joueur.


Des objectifs annexes avec des récompenses aussi confortables que facultatives viennent challenger et enrichir la proposition. Il s’agit le plus souvent de manœuvrer avec rapidité et précision pour éliminer très vite des ennemis sur le point de piller des villages, de dérober des trésors… ou se porter à la rescousse de nouveaux personnages jouables à recruter sans pour autant perdre l’une de nos précieuses unités au passage, ce qui se résume le plus souvent à user avec intelligence des précieuses possibilités de téléportation. Il est seulement dommage que l’on ne puisse pas choisir l’emplacement des personnages au premier tour tant ce déploiement peut s’avérer crucial, sinon cette mécanique est très ambitieuse et déjà largement maîtrisée.


Le game-design est certainement très scolaire par moment mais aussi très limpide pour motiver à accomplir ces quêtes, le premier niveau dont le boss est un dragon est aussi le premier niveau dans lequel accomplir l’un de ses objectifs annexes permet d’obtenir une épée tueuse de dragon, littéralement. C’est peut-être simple comme procédé mais c’est efficace pour rappeler l’importance de faire ces quêtes annexes, limiter le risque d’être bloqué et ça te donne le sentiment d’être récompensé pour t’investir. Donc si le système global n’est pas tout à fait maîtrisé, il est loin d’être aussi brouillon qu’on pouvait le craindre.


Quelques petits problèmes d’ergonomie se posent néanmoins avec la portée des déplacements et des attaques ainsi que leur efficacité qui doivent être constamment déduites (ce qui reste faisable mais ennuyeux), la gestion d’inventaire assez fastidieuse avec la tente sans options de tri et à laquelle il faut faire des allers-retours dans une mission et pas entre celles-ci, les dialogues que l’on doit se retaper une fois passé le premier essai, le temps d’attente pendant que l’adversaire joue son tour… et cette accumulation rend sans doute l’expérience plus laborieuse que nécessaire.


Et si le système de sauvegarde a le mérite d’exister, il n’est pas aussi souple que la formule l’exigerait. Plus on s’approche de la fin, plus la gestion des ressources est délicate et le risque de game over passif augmente, et ne pas pouvoir recharger une sauvegarde antérieure au début du chapitre peut s’avérer fatal. Sans consulter une solution ou refaire le jeu plusieurs fois, impossible par exemple de deviner que tel chapitre est la dernière occasion de se réapprovisionner en consommables de soin jusqu’à la fin du jeu et se retrouver sans soin ni possibilité d’en obtenir sur les chapitres les plus difficiles…


Et impossible de stocker une grande quantité de soins pour parer à toute éventualité vu les ressources monétaires et capacités de stockage limitées. Mais malgré tous ces petits problèmes, je trouve que cette proposition ludique follement innovante est déjà très solide et les fondamentaux sur lesquels la série se reposera sont déjà là en grande partie. C’est un tour de force que j’ai envie de saluer, quittes à prendre la liberté de minimiser peut-être tous ces petits défauts, mais ce n’est pas la seule force que j’ai envie de saluer.


SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★☆☆


Tel Dragon Quest, ce premier Fire Emblem fait s’affronter figure héroïque et dragon maléfique dans une histoire aussi simple et que manichéenne : un prince en exil appelé à rassembler autour de lui des braves pour défier un empire tyrannique sans oublier de porter secours aux innocents, vaincre une entité maléfique à l’aide d’une épée magique qu’il est le seul à pouvoir manier, rétablir la paix avant de rebâtir un monde meilleur tout en profitant d’une retraite bien méritée auprès de sa bien aimée. Et vu les normes de l’époque ça ne me choque absolument pas que ça n’aille plus loin que ça, d’autant que c’est bien exécuté et généreux en dialogues avec 25 chapitres tous scénarisés.


Plutôt que de se concentrer sur une équipe réduite avec des personnages parlant régulièrement, Fire Emblem opte pour un très large casting de 52 personnages jouables et scénarisés, au prix de réduire beaucoup d’entre eux à quelques lignes de dialogue lors de leur recrutement. Ça a évidement ses limites scénaristiques et narratives, au premier rang desquelles on retrouve des personnages sans aucun intérêt et d’autres qui semblent intéressants mais qui ne sont quasiment pas développés une fois passé leur recrutement.


Mais on y retrouve quelques fulgurances franchement impressionnantes pour l’époque avec des personnages féminins forts, qui prennent les armes aux côtés des hommes pour défier l’autorité quand elle leur paraît injuste ou qui peuvent s’opposer vaillamment à nous jusqu’à la mort, des conditions de recrutement liées aux relations entre eux venant récompenser un bon suivi des dialogues, des phrases déchirantes à leur trépas qui me rendent leur sacrifice insupportable... trouver d’autres jeux de rôle avec ces qualités en 1990 ce n’est pas évident.


Et s’il s’agit bien d’une lutte contre un mal clairement identifié, ce système de casting permet au jeu de proposer de convaincre certains adversaires de rejoindre nos rangs sans nous l’imposer. Ce qui est très bienvenu puisque ça nous permet d’être aussi un peu plus vertueux ou brutal selon nos choix, même si le récit n’ira pas jusqu’à s’adapter en fonction. Il y a donc de l’ambition derrière cette simplicité de façade et là encore on peut voir les fondamentaux sur lesquels les suites se reposeront, suites qui pourront aussi compter sur une autre qualité scénaristique.


L’univers créé permet d’y raconter une histoire complète pouvant être largement poursuivie avec la mention d’un mal qui ne pourra jamais être définitivement vaincue pour une suite, d’un illustre ancêtre ayant mené un combat légendaire pour une préquelle, de différents continents qui sont encore à explorer pour des aventures différentes mais liées… C’est parfait pour le premier jeu d’une saga qui doit partir du principe qu’il risque de ne pas y avoir de suite en cas d’échec commercial mais qui aimerait bien en proposer en cas de succès.


RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆


N’étant pas doté d’un budget particulièrement élevé, la réalisation de Fire Emblem est modeste et ça se voit tout de suite avec des éléments de décor basiques et peu nombreux pour les cartes, ainsi qu’un simple écran noir comme fond pour les combats, c’est correct mais un peu léger pour de la NES en 1990. C’est d’ailleurs l’une des principales critiques que l’on adresse régulièrement à ce titre même si personnellement je trouve ça un peu sévère car Fire Emblem a de vraies qualités visuelles à proposer à côté de cette présentation quelques peu austère bien que correcte.


Les animations propres à chaque classe lors des combats offrent des feed-backs assez plaisants, le chevalier pégase plongeant en piqué sur sa cible après avoir pris un envol gracieux, le soldat en armure lourde se déplaçant lentement avant de frapper d’un coup sec, l’épéiste faisant une acrobatie pour porter son coup aérien, le mage faisant tournoyer son orbe de feu avant de la projeter sur l’ennemi… même s’il y a quelques ratés avec le général ayant une arme prenant systématiquement la forme d’une grande épée courbée même s’il manie une lance, le marteau ayant le même design que la hache, l’esquive n’ayant aucune animation spécifique…


L’univers médiéval-fantastique est très correctement dépeint par la direction artistique à la fois classique et avec sa propre identité comme avec ses Manaketes, soit ces humains pouvant prendre la forme de dragons. On aurait pu demander davantage de créatures fantastiques plutôt que tous ces pirates, soldats et autres cavaliers génériques, mais d’un autre côté ça met justement en valeur les créatures fantastiques ayant une place importante dans le récit comme dans le système de jeu, donc ce n’est franchement pas un reproche que je ferais pour ma part.


Et si l’épisode n’a pas encore un illustrateur officiel pour harmoniser les chara-design, ceux qui sont proposés ici sont franchement réussis, superbement présentés sur la jaquette. Même s’il faut reconnaître que quelques designs profitent bien du prétexte de frères et de sœurs pour très peu varier les uns par rapport aux autres, on retrouve avec plaisir la fantaisie des animés japonais avec ses couleurs de cheveux extravagantes, des corpulences, âges et styles vestimentaires assez diversifiés… et une cohérence entre portraits, illustrations dans le manuel et modèles sur la carte.


L’OST est déjà composée par Yuka Tsujiyoko, la compositrice d’Intelligent Systems qui sera à l’œuvre sur la franchise pour une quinzaine d’années. Sans s’inscrire parmi les plus belles musiques de la console, la composition musicale du titre est satisfaisante dans l’ensemble avec un thème principal comprenant une mélodie qui restera pour toute la suite de la saga. Quelques thèmes sont quand mêmes ratés, comme le thème des magasins, ce qui est tout de même dommage pour une musique aussi récurrente, mais ça ne suffira pas à gâcher la fête.


CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆


Fire Emblem réussit très bien dès ce premier coup d’essai à hybrider tactique et jeu de rôle pour aboutir à une proposition innovante, ambitieuse et prometteuse aussi bien sur son gameplay, son scénario, sa narration que sa direction artistique malgré des moyens modestes et un manque de maîtrise quasiment inévitable. Il fait partie des incontournables de sa machine et de sa génération et s’il sera vite dépassé par ses suites et production concurrentes, je suis très content d’avoir découvert avec lui les origines de cette saga et de ce genre.

damon8671
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le 17 oct. 2025

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