Des drapeaux de guerre encadrent la nuit lorsque apparait le menu du jeu. Une fois les options de départ enclenchées, telle l’introduction de God of War sur un arbre attaqué sans coupe à la hache, le jeu nous lance dans une bataille côtière opposant mongoles et japonais. La référence formelle à God of War inspire les meilleurs hospices tout en indiquant de manière prémonitoire un jeu qui recycle bien plus qu’il ne souffle un vent nous guidant vers de nouvelles terres vidéoludiques.


Eludons très vite un comparatif très en vogue mais qui me semble sans grand intérêt critique. Oui on pourrait dire que c’est un Assassin’s Creed sous des bannières de Japon féodal. Pourtant, si Ubisoft faisait un tel jeu cela ne donnerait certainement pas un jeu comme Ghost of Tsushima. Sucker Punch n’est pas un studio estampillé Ubisoft en termes de philosophie et de capacité. De plus Sony (marque japonaise) n’est pas Ubisoft (marque française) en terme d’ambitions vidéoludique. Pour tacler plus en profondeur cette comparaison peu inspirée, disons que d’un côté il y a des racines narratives d’une volonté plus large que celles de simplement nous faire passer le temps manette en main. En gros je ne me suis que rarement ennuyé devant Ghost of Tsushima là où les deux derniers Assassin’s Creed me donnèrent grandement l’impression de remplir vainement un vide intérieur à la manière d’une boisson incapable d’étancher la soif. Cela dit cocorico Ubisoft, vivement le Valhalla (ou plutôt le jeu « va là, là et là et puis encore là tiens » en terres viking).


Revenons à nos sushis (beaucoup l'ont faite celle-là, beaucoup la feront, je vais pas m'en priver !) Ghost of Tsushima respire la philosophie de la vie japonaise, du moins l’idée occidentale que l’on peut s’en faire. Rigueur, ténacité, contemplation, respect, méditation, tout y est que ce soit à travers les paysages typiques, les thèmes guerriers de l’histoire, les activités annexes dans lesquelles Jin joue au petit prince avec des renards rieurs ou se détend dans des sources chaudes comme tous ces macaques à la face rougeâtre qui font le plaisir de nos escapades sur Internet. On se dirige avec le vent en plus. C’est poétique, c’est un voyage et cette dimension du jeu vaut largement le coup. Elle traduit tout le soin apporté par Sucker Punch dans la reconstruction d’un Japon féodal dont ils ont suivi les traces en se rendant même sur l’île de Tsushima en repérages. Bref il y a assurément dans Ghost of Tsushima une dimension japonaise irrésistible, qui prend plutôt de court la sensibilité aigüe des voyageurs insatiables de découvertes. Et la map dans tout ça elle est balèze ? On s’en moque un peu mais… oui elle retranscrit bien une impression de gigantisme similaire à celle d’Horizon Zéro Dawn. Sans être immense sur le papier pourtant puisqu’elle mesurerait d’après certaines sources une trentaine de km2 là où GTAV en fait à peu près quatre-vingt. Après, le voyage n’aura tout de même pas provoqué chez moi ce qu’avait pu provoquer la musique « Asylum for the feeling » se lançant à l’improviste d’une descente à flanc de colline dans Death Stranding : c’est-à-dire ce moment où le voyage capture l’envie du joueur d’arpenter sans fin monts et vallées et qui donne une dimension plus expansive à une oeuvre vidéoludique.


Il y a un mode Kurosawa (image en noir et blanc avec un son là aussi altéré) qui ne sera pas beaucoup utilisé mais qui aura sûrement le mérite d’attiser la curiosité d’un certain grand public et rien que cela c’est déjà beaucoup. Les couleurs sont tout de même essentielles à l’expérience tant elles sont marquées et flatteuses pour la rétine (même trop parfois si bien qu'on y devinerait ci et là un cache-misère en trompe-l'oeil plutôt malin). Le mode Kurosawa oblige donc à se priver d’un fort aspect de la direction artistique initiale suivie par Sucker Punch. En dehors des paysages surnaturellement colorés, le Japon est retranscrit dans une veine réaliste avec un souci prononcé pour la matière. Il suffit de regarder les costumes, étoffes et autres attirails manufacturés pour presque ressentir le sens du toucher (la Dualsense de la PS5 en avance ?). En exemple le petit pompon virevoltant accroché à l’arc du héros Jin Sakai ou la fourrure mongole de l’impitoyable Khotun Khan.


En combat le jeu accuse vite un surplus qu'il faut maîtriser. Il y a différentes postures pour briser différents types d’ennemis, des parades différentes selon qu’on est attaqué à l’épée ou à la lance. S’il fallait verser dans la mauvaise foi je dirais que la manette se transforme ici en piano à quatre mains. J’ai que dix doigts et un cerveau de moineau quoi. Cependant c'est peut être aussi une certaine philosophie qui transpire dans ces contrôles, réfléchir avant de frapper. A ce surplus de techniques, certes élaboré mais laborieux, s’ajoute le problème de la caméra complètement morte et qui se perd dans les décors. Il faut la bouger soi-même et là oui c’est gênant croyez-moi. Loin de moi l’intention de m'apitoyer sur des "game-over" agaçants, c’est juste que le confort en combat est précaire, sur le fil et parfois tétanisant. On pourrait aussi y voir la traduction d’une difficulté voulue par Sucker Punch mais l'indulgence a ses limites et c’est plus qu’embêtant sur la longueur. On doit donc apprendre à composer avec ce défaut. Cela dit le combat au katana est particulièrement prenant et offre par moment la sensation de réellement croiser le fer avec des mongols ou des bretteurs japonais. Les autres armes sont nombreuses (arc, kunai, bombes à toutes les sauces etc), très nombreuses là où un pur jeu de samouraï aurait peut être pu faire une économie de moyens (Au fil des améliorations Jin prend un faux air de Dark Knight...). En vérité je m'y suis un peu perdu dans ces combats pour quelqu'un qui espérait une simplicité (pas dans le sens de "facilité" mais plus un dépouillement digne d'un ronin) qui dénoterait des autres productions de ce type (ça m'apprendra à attendre des choses tiens).


L’histoire quant à elle fait la part belle à l’honneur et l’état d’esprit samouraï sans virer dans un pur récit à la « Vagabond » le manga (connaissance de soi, lien entre l’esprit et le corps, relation avec la nature et l’harmonie). Dans le jeu il est surtout question d'héritage et d'honneur. Mais ce ne sera ici qu’une déception personnelle qui sera loin d’être partagée puisque l’histoire guerrière reste prenante car rapide à boucler. Disons que cette histoire fait le job en présentant des personnages archétypaux convaincants. Les animations faciales sont figées mais pas trop en revanche les animations des corps dénotent très largement… c'est bien dommage. Quant aux cinématiques elles tiennent l’hommage revendiqué à Kurosawa à (grande?) distance tout en demeurant intéressantes par de rares moments en matière de mise en scène. Je ne connais cependant pas tout Kurosawa loin de là. Pour ce qui est des dialogues la qualité n'y est pas vraiment. Qui dit katanas et samouraïs dit violence et celle-ci est présente même parfois au travers de l’environnement (des pendus, des cadavres calcinés accrochés à des arbres morts etc), cela participe de l’immersion et de l’hostilité menaçant nos déambulations même si au fond les confrontations suivent le même schéma (tuer les ennemis, empêcher l’alarme d’être sonnée, tuer le chef du camp, looter etc) un peu comme celles d’Assassin’s Creed… (mince j’ai comparé les deux…).


Pour conclure le studio Sucker Punch parvient à franchir une marche qu’on devine peut-être un peu trop haute pour lui au départ mais qui lui permettra de gonfler les rangs des exclusivités à venir sur PS5 en termes de qualité. Cela laisse donc présager du meilleur pour la suite. Si le jeu m’aura fait rêver par bien des aspects il m'aura tout de même laisser imaginer ça et là une aventure qui aurait pu me plaire bien davantage. Cependant l’expérience ne sera pas regrettée. Au regard de la trempe des autres exclusivités Sony, s'il fallait comparer, j’en retiendrai davantage une invitation au voyage sous la forme d’un pot-pourri "inspiramment" composé avec la reprise (indolente il faut le dire) de nombreuses recettes qu'on doit à Rockstar, Ubisoft ou encore Naughty Dog qui accuse en même temps une expérience de gameplay et d'interaction avec l'open world mal dégrossie et sans la fougue révélatrice d'une exclu ayant une identité réellement à part par rapport aux jeux d'éditeurs tiers. Si les dates initiales de sortie de TLOU2 et GOT n’avaient pas été inversées, par la force malheureuse des choses, la PS4 aurait eu un véritable baroud’honneur. Elle aura eu à tout le moins une ouverture plaisante vers la PS5.

-Thomas-
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le 18 juil. 2020

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