Hell is Others
6.6
Hell is Others

Jeu de Strelka Games, Yonder et A List Games (2022PC)

J'ai découvert le jeu complètement par hasard dans mon catalogue epic games des années après l'avoir pris gratuitement dans les jeux de la semaine. Maintenant que j'en ai fait le tour en 25h je réalise qu'on peut pas trop se lancer là dedans sans avoir quelques informations:


Hell is Others est un roguelite qui repose en grande partie sur du PvP. C'est notamment ce qui assure sa rejouabilité. Tenter de le découvrir aujourd'hui, alors que plus personne n'y joue, nécessite le mode single, qui est en fait un ajout à posteriori de la sortie. Le principe est simple, il s'agit toujours de la même map, les parties commencent en nous envoyant à un des nombreux ascenseurs qu'elle comporte, on a 15 min pour récupérer ce qu'on peut, survivre au bestiaire assez classique du jeu, finir une quête si possible et trouver l'ascenceur de retour, qui sera parfois très loin et vous demandera une gestion rapide et efficace de vos ressources. Le jeu prend le parti d'un point de vue en plongée totale, à la manière d'Hotline Miami, dont il n'a pas grand chose à envier à la difficulté. Si ce n'est que pour accentuer le côté jeu d'horreur, le personnage ne voit que ce qui se trouve dans son champ de vision, le reste de Century City est donc plongé dans les ténèbres et reste immobile tant que vous ne prenez pas la peine d'aller à sa rencontre. Les habitants de la ville seront là pour vous pousser à explorer.

Ces derniers vous missionnent le matin au téléphone pour vous demander une liste d'objets et vous donner leurs positions. Petit à petit la ville se remplit donc de spectres dont certains deviendront des marchands après que vous leur ayez rendu service. Ils semblent tous être morts il y a bien longtemps et ne pas avoir conscience de cela ou du monde dangereux qui les entoure, et sont tous pris par leurs obsessions : un spectre qui ne quitte pas son plumard vous demandera de lui livrer de quoi écrire et des champignons hallucinogènes, un autre de l'alcool, une grand mère vous demandera de quoi préparer une fête pour le retour de sa petite fille qui ne viendra jamais et le banquier est persuadé que les cafards que vous lui apportez par centaines vont prendre de la valeur grâce au "marché des insectes". Ces pnjs ne sont pas très causants, mais au vu de leur caractère obsessionnel et semblant ignorer le danger qui les entoure ainsi que de leur grande variété cela donne petit à petit à la map une ambiance mystérieuse assez appréciable. Pas de lore étendu sur l'histoire de la ville ou l'avènement de l'apocalypse, mais plutôt les embrouilles entre frère et sœur et les petits tracas du quotidien des citadins.

Le personnage principal est lui-même obsédé par le bonsai qu'il retrouve devant sa porte un matin, et qui pour s'épanouir demande sa dose de sang quotidienne (les balles fleurissent littéralement sur les plantes dans ce jeu, mais doivent être arrosées avec du sang, qu'il vous faudra récupérer régulièrement pour le bonsai puis pour vos futures plantations).


Le jeu étant prévu pour être une expérience de PvP, le découvrir alors que ses serveurs sont vides perd de son charme, et c'est le principal problème. Les parties deviennent redondantes une fois que plus aucun nouveau pnj ou nouveau monstre n'apparait. Si la carte regorge de petits secrets et qu'elle devient de plus en plus dangereuse, j'aurai beaucoup aimé voir ce que cela pouvait donner avec en plus des joueurs imprévisibles parcourant la même carte que moi. Les autres joueurs, "The Others" ont été remplacés dans le mode solo par des monstres plus coriaces et rapides mais dont le comportement reste malheureusement toujours le même. De plus l'ending de l'histoire principale, qu'il m'a donc fallu environ 25h pour atteindre, est satisfaisant mais punitif, puisqu'il s'agit d'un new game +, dont les seuls bénéfices sont des skins. Mouais. Pas terrible après 25 heures à farm comme un porc, surtout pour un jeu multi devenu jeu solo, de devoir tout recommencer. Surtout que le jeu propose une grande liberté d'agencement de l’appartement, qui sert plus ou moins de lobby et de QG, ainsi qu'une étonnante variété de meubles et de décorations qui sont non seulement beaux, mais ont un véritable impact sur le gameplay: des meubles de rangement, des frigidaires pour conserver le sang, des pots pour faire pousser des balles avec des facultés qui leurs sont propres, des œuvres d'arts qui inspirent le protag en lui donnant des capacités diverses et variées... Satisfaisant, mais sans aucun joueur à la ronde, avoir des bonus aussi pointus perd son sens. Cela étant dit cela participe pour beaucoup à l'ambiance du jeu qui est un de ses gros points forts, donc pas de regrets à ce niveau là.


Pour ce qui est du sens qu'on peut donner à tout cela, le jeu propose biens sûr une réflexion sur l'obsession, la marginalisation, l'isolement par incapacité de se consacrer à autre chose qu'une idée, qui peut prendre la forme d'un bonsai, de champignons ou pour la plupart des personnages, donc le protagoniste: une carrière. Des pépètes. Une réputation et un patrimoine, que le joueur voit augmenter ou diminuer à la fin de chacune de ses parties. Un "marché des insectes" censé bientôt décoller et rapporter gros. Une cargaison d'armes à faire livrer en toute discrétion. Et le protagoniste le répètera à chaque fois que vous accepterez une quête, "nothing is done for nothing". Et c'est là que se trouve à mon avis le paradoxe qui fait tout le sens du jeu:


Alors même qu'Adam semble croire que tout se monnaie et qu'il accorde plus d'importance à sa réussite professionnelle qu'à son bien être, il est prêt à tout sacrifier pour ce bonsai, sa plante qui lui demande le plus de sang et qui en retour ne produit rien d'autre que la beauté de sa floraison. Hell is Others est l'histoire d'un obsédé par la réussite sociale et économique qui devient encore plus obsédé par la beauté tranquille et silencieuse d'un arbre qui fleurit, au point qu'il dépensera des millions et se sacrifiera pour que le bonsai reste libre et ne retourne pas chez l'administrateur, mystérieux et richissime patron de tout ce bordel qu'on ne verra jamais car il est en vacances, et ancien propriétaire du bonsai qui le gardait sous cloche pour qu'il ne fleurisse pas. Hell is Others parle de l'acceptation de la vie en tant que source instable et coûteuse de beauté et de la beauté comme raison de vivre. Mais ce qui fait une bonne raison de vivre, écrivait Camus, est aussi une bonne raison de mourir. On pourrait penser que j'en fais trop mais le jeu se paie quand même le luxe d'une citation d'Italo Calvino dans son ending, une petite pépite dont tous les jeux ne peuvent clairement pas se targuer.

"The Hell of the living is not something that will be. If there is one, it's the one which is here, the hell we live every day, the one that we create by being together. There are two ways to avoid suffering. The first is easy for many: accept the hell, and become a part of it, so that you can no longer see it. The second is risky and demandes constant vigilance and apprehension: seek and learn to recognize who and what, in the midst of this, is not hell, and make them last, give them space."

Ainsi le protagoniste est un other pour les autres joueurs, de même que les autres joueurs représentent ces monstres dangereux et mystérieux dont on ne veut pas croiser le chemin. C'est l'acceptation de l'enfer, comme ces spectres obsédés par ce qui les fait souffrir. Hell is Others raconte une vision de paradis au milieu de cet enfer, et le sacrifice d'un de ses pires démons pour tenter de le protéger. Même si son ultime tentative ne viendra pas à bout du système économique, représenté par un immense ordinateur, que tout le monde disait pourtant au bord de la rupture. Le capitalisme et ses obsessions survit encore et toujours aux attaques désespérées des amateurs de beauté, appelons les ici les artistes.

Pour conclure si vous aimez les jeux d'ambiance, la difficulté et le stress, Hell is Others, même en jouant en solo, est une très bonne expérience. Mais gardez en tête que c'est une expérience qui ne dépassera pas les 30 heures.


Farango
8
Écrit par

Créée

le 12 juin 2025

Critique lue 16 fois

Farango

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