Lies of P
7.3
Lies of P

Jeu de Round8 Studio et Neowiz (2023Xbox Series X/S)

Il connaît toutes les ficelles, c'est un vrai pantin

C’est l’histoire d’un pantin qui se rêvait petit garçon. L’histoire d’un jeune studio coréen qui se rêvait From Software.

Il est désormais habituel de découvrir à chaque conférence dédiée aux World Première du jeu vidéo, un trailer léché de ce qui sera communément appelé un souls-like, développé par un studio inconnu au bataillon venu d’un pays émergent, vendu sur la promesse de combats très étudiés contre d’ignobles entités, et débordant tellement de fric qu’on se demande toujours si on assiste à la naissance d’un nouveau prodige ou à la banane du siècle.

Lies of P est un peu le premier d’entre eux à se lancer dans l’arène, le premier à se confronter à un public curieux de savoir si tout le budget alloué à la communication n’a pas laissé une partie du développement dans la panade.

La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas arnaque sur la marchandise. Le produit est conforme à sa publicité. Ceux qui craignaient une contrefaçon made in korea éhonté de leur jeu préféré peuvent se rassurer sur la qualité de finition. P est même très encourageant pour une première sortie de studio.

La mauvaise nouvelle, c’est qu’en s’attaquant frontalement à certains des jeux les plus adulés de la dernière décennie, une comparaison inévitable s’érige directement en épée de Damoclès et les attentes conséquentes d’une communauté pas franchement timide en matière de dérapages sanglants sont la seule chose qui la sépare de la décapitation.

Comme le nez au milieu de la figure

C’est là toute la malédiction du souls-like, être jugé pour ce qu’il est mais aussi pour ce qu’il aurait pu être. Difficile pour le critique de trouver le compromis entre des encouragements de circonstance pour un élève motivé et les coups de règles sur les doigts à chaque trait qui dépasse du pochoir. La seule façon de s’en sortir, au-delà du respect des enseignements fondamentaux (faut pas déconner), c’est de de trouver sa propre voie. Marcher sur l’ombre du maitre et esquisser pas à pas sa propre chorégraphie en évitant si possible de se prendre les pieds dans le tapis.

Ne faisons pas durer ce faux suspense plus longtemps. Dès vos premiers pas dans la cité de Krat entrepris, tout pue Bloodborne à cinq mètres. Des carcasses de chevaux en décomposition jonchant le sol jusqu’au chiens enragés dans des cages mal fermées, en passant par des ruelles étroites hantées par la pénombre éternelle et le danger permanent de locaux peu amicaux prêts à vous enfourcher à la première occasion venue avec leurs armes de fortune, difficile d’y voir autre chose qu’une réminiscence de vos plus beaux cauchemars. Une fois sorti de la ville la chose ne s’arrange pas puisqu’on y trouve une forêt, et un village rappelant étrangement les bois interdits (sans les sacs de serpents c’est une bonne chose, mais avec des pièges à loups partout et je suis à deux doigts de pieds de lancer une pétition pour abolir ces conneries), puis une chapelle désertée par la foi avec des blobs visqueux mal collés au plafond.

Inutile de continuer l’énumération plus longtemps. Il n’existe pas, ou peu de moments durant l’aventure où le joueur expérimenté ne sera pas confronté au sentiment de déjà-vu. Une impression qui s’étend à certains tics de mise en scènes, de pattern d'ennemi, et plus encore. Et pourtant.

Pourtant, ce que P nous propose il le fait plutôt bien. Passé la première impression d’évoluer dans une œuvre de faussaire on s’éprend peu à peu de son univers, s’amuse dans ses combats, et s’étonne même d’y trouver parfois de chouettes idées. Perché sur une toile d’influences multiples (bah oui, il ne s’est pas contenté de Bloodborne le coquin), il parvient tant que bien que mal à trouver un semblant d’équilibre. Conscient du public auquel il s’adresse, il reprend des classiques, les mélangent et les assemblent avec suffisamment de doigté pour créer l’illusion d’un nouveau voyage.

Rangez vos couperet-scies braves défenseurs de Yharnam, le pantin montre ses fils mais il ne s’est pas encore transformé en âne.

Il s’agit alors non plus de le mesurer à ses modèles mais plutôt de le comparer à ses semblables. Et sur ce point, il s’en sort plus que bien. Il a même fière allure devant ses congénères. Le meilleur souls like ? Peut-être. Est-il vraiment important de la savoir ? D’ailleurs, qu’est-ce réellement qu’un souls like ? Des années que le mot traine sur les internet sans que deux spécialistes ne se soient mis d’accord sur la définition exacte (Selon les cas Dark Souls II est parfois la meilleure réponse). Parce que oui, l’affaire est complexe. Au-delà de mécaniques très reconnaissables et d’une structure plus ou moins identifiable il est avant tout question de vision. Une vision bien trop souvent réduite à un prétendu penchant sadique pour la torture et un amour de l’art ésotérique qui fait du wiki votre nouveau meilleur ami.

Seule chose communément admise, pour pouvoir briller dans l’exercice il faut savoir bastonner. Un souls-like ne serait à priori pas grand-chose sans des préceptes de combat bien intégré, ni un système de progression finement étudié. De côté-là notre petit pantin se défend plutôt bien. Reprenant non sans panache un arsenal maintes fois éprouvé par le passé, il l’agrémente de petites trouvailles personnelles et forge son propre chemin sur l’enclume du style.

Au rayon des bonne idées, la dernière fiole de soin peut se recharger en frappant l’ennemi, carotte d’espoir qui nourrira parfois la survie des plus téméraires d’entre nous dans une situation désespérée. La possibilité de briser les armes ennemies en les usant de parades bien placées, le truc qui fait son petit effet quand vous voulez montrer à votre voisin JB comment vraiment jouer (Parait qu’être capable de passer la phase 1 de Laxasia sans même l’attaquer fera de vous un homme. Sauf si vous êtes une femme. Encore que). Les pierres à aiguiser conférant des bonus temporaires à votre arme sont rechargeables, et on se sent tout de suite plus à enclin à les utiliser au lieu d’en accumuler une montagne dans l’inventaire juste "au cas où" (la contrepartie étant que leur utilisation devient bien plus conseillée).

Au rayon des bonnes idées à travailler. Détacher puis réassembler la poignée d’une arme sur une autre permet d’en modifier le move set, créant des réjouissances comme le maniement d’un espadon avec la grâce d’une rapière. Idée prometteuse malheureusement pas assez poussée pour réellement convaincre (d’autant que les armes uniques ne peuvent pas en bénéficier et qu’elles sont bien plus puissantes que les autres. Note à votre petit cousin : Ne gaspille pas l’Ergo des boss si tu veux terminer le jeu). L’organe-P, arbre d’améliorations plus intéressant que la moyenne et qui permet surtout un vrai perfectionnement de votre style de jeu (et qui fait une vraie différence ne dormez pas dessus).

Au rayon des moins bonnes idées, parce que vous le savez dans la vie comme dans la critique tout est question de nuance, une jauge de durabilité d’arme (que quelqu’un lance un mouvement pour éradiquer ce fléau du jeu moderne) qui décroit rapidement et vous demandera un jour ou l’autre de sortir l’affûteuse de votre poche entre deux esquives maladroites face à un boss peu complaisant. Aussi un système de poids d’équipement complétement lunaire, qui n’autorisera la ceinture de poids plume qu’aux artisans du no hit (ou aux suicidaires c’est selon), et menacera de vous traiter comme un obèse à la moindre occasion trouvée de revoir l’organisation de votre matériel (le poids de certaines pièces est juste délirant).

Et derrière tout cela bien sûr, la grande idée la vraie, celle d’avoir pris sur son temps libre pour s’offrir des leçons auprès du maitre Sekiro (dont la frénésie des combats est toujours un Everest pour ses disciples croyez le bien). Première leçon "un bras de coupé c’est une prothèse de gagné", et même si le grappin du pantin ne vous fera pas décoller, ses variantes pourraient être la clé du succès (regrettable pour autant de devoir repasser par le hub pour en changer, d’avantage de flexibilité aurait été apprécié).

Deuxième leçon "si tu ne sais pas correctement parer, c’est toi qui seras découpé", et celle-là va faire jaser. Entendons-nous bien, il est parfaitement possible de voir le bout de l’aventure en bafouant ce précepte, de la même manière qu’il est possible de jouer au ping pong sans raquette, attraper un poisson sans canne à pêche ou défaire le marcheur des illusions en jouant au chat et la souris dans son arène exiguë. Sans jamais être obligatoire, la capacité de dévier les attaques les plus redoutables est ce qui fera la différence entre l’apprenti pantin et le maitre des marionnettes. Et il est ici bien question d’enclencher une action avec un timing très précis, pas seulement de se protéger avec une garde haute (qui reste une option de choix avec les bonus associés, mais pas suffisante à elle seule) ou se réfugier derrière un mash button désespéré.

Est-ce que la manœuvre est difficile ? Sans aucun doute. Est-ce que cela nécessite de l’entrainement ? Assurément, et dans la majorité des cas le pantin ne sera pas le seul à se faire des cheveux blancs. Est que le jeu en vaut la chandelle ? C’est très discutable. Si la satisfaction même de maitriser un gameplay et faire danser un boss comme on réciterait un poème n’est plus à démontrer, sur le plan plus strict du risk and reward c’est de suite moins évident. Bien sûr, à force de manœuvres l’adversaire finira par chanceler, garantissant un coup critique qui ne fera qu’effleurer sa barre de vie ou la possibilité de transformer sa barre d’endurance en passage à tabac pendant quelques maigres secondes, mais cette récompense semblera rarement à la hauteur de la quantité d’efforts fournie pour y parvenir.

Troisième leçon "si tu vois rouge bouge, et si le temps t’en prie crie Mikiri !". Ah non celle là n’était pas au programme faudra se démerder autrement.

Mentir ou mourir ? Pourquoi choisir.

Bien sûr tout n’est pas rose au pays des marionnettes. Comme tous souls like qui se respecte, P traine son lot d’imprécision : des body block un peu gênant, des attaques et mouvements ennemis trop téléguidés, une lecture de pattern pas toujours irréprochable (vous me direz qu’affronter en majorité des êtres désarticulés et mécaniques n’aident pas), ou l’impossibilité d’annuler une action en combat ou encore de pouvoir interrompre des enchaînements averses parfois étouffant. Des petits détails pas rédhibitoires mais qui font la différence dans la recherche d’excellence. Choix délibérés ou manque d’expérience, seul une suite attendue pourra nous le confirmer, mais pour cette fois le budget du département animation n’est pas le premier nom sur le banc des accusés.

Si le pantin a bien compris un truc sur son modèle, c’est l’importance du style. Déjà qu’incarner une version mécanique de Timothée Chalamet a de quoi séduire n’importe quel membre de la génération Z à la recherche de l’être non genré de ses rêves (pas forcément le cœur d’audience mais sait-on jamais), il se paye des mouvements dynamiques, en plus de capacités spéciales ultra classe (et puissantes bien entendu), le tout avec des petits effets visuels qui vont bien, et ne font pas honte à son modèle ce qui est déjà très bien (en revanche le bruit de meuleuse à chaque backstab c’est non. Qui fait ça ?). Sa garde-robe n’est pas en reste avec une sélection de tenues raffinées (toi aussi trouve ton animal totem en écharpant des rodeurs aux quatre coins de la cité) qui ont le bon goût de ne pas influer sur le poids d’équipement (seule bonne décision en la matière), à défaut de nous permettre une personnalisation assez poussée pour convaincre les victimes de la fashion souls. Et puisqu’il s’intéresse à la culture, le pantin collectionne à ses heures perdues des vinyles, collectable insolite qui offrira aux complétionniste les plus beaux musicaux de l’aventure, comme un lot de consolation face aux thèmes de boss qui eux sombreront dans l’oubli dès le combat entamé.

Face à lui un bestiaire à deux visages, tantôt inventif sur la partie marionnette, et tantôt paresseux sur la partie monstre bien moins inspirée (Même si l’archevêque Andreas est une belle exception dont on aurait aimé retrouver la folie plus souvent). Autour de lui, une direction artistique qui peine à cristalliser les ambitions esthétiques promises par ce bel univers. Trop souvent quelconque, trop rarement brillante, elle se retrouve même parfois même aux confins de la laideur (je ne voulais pas balancer mais dans le dernier tiers de l’aventure c’est la crise). Autre source d’inspiration évidente pour le pantin, le prodige Nier Automata avait pourtant prouvé qu’il était possible de faire de bien belles illusions en la matière avec des moyens limités.

Mais là n’est pas la plus grande carence de P qui échoue terriblement à captiver sur le plan de l’exploration, pourtant là une des forces incontestables de ses modèles. Avant même les boss emblématiques, le chemin tortueux qui y mène. Le souffle de l’aventure se mesurant à chaque pas du pèlerin en perdition face à un itinéraire qu’il doit comprendre avant de l’arpenter en toute quiétude, le frisson de l’inconnu constamment nourri, l’amour du détour menant aux petites épiphanies face à la cohérence d’un ensemble, la satisfaction de trouver récompense au bout d’un chemin escarpé ou d’une course héroïque au milieu de chaos.

Chaque souls-like ne fait que confirmer que le talent de From Software en matière de level design n’est pas imitable par le premier venu. Comme beaucoup avant lui P se contente d’une approche trop scolaire face à la supposée recette du succès. Des raccourcis prévisibles, des échelles, et quelques enchevêtrements de chemins. Des pièges sans conviction, deux trois mobs cachés au coin d’un mur et des phases d’équilibristes sur des poutres usées. La surprise nulle part, la banalité partout. Tel un commis trop tremblant devant la boite à épices, le pantin balance des ingrédients premier prix dans le mixeur de la facilité, et se rassure en se disant qu’au moins fade ça n’est jamais trop cuit.

P paye aussi le choix d’une structure linéaire. Un découpage en chapitres qui nous enferme dans une routine qui ne sera jamais rompue. Pas de zones optionnelles à découvrir, pas de grands secrets à dénicher, tout juste quelques quêtes fedex pour nous rappeler de temps à autre qu’on évolue dans un monde interconnecté, rapidement exécutée après une téléportation à l’endroit indiqué d’un point sur le carnet de voyage.

Alors pour compenser, ou tout du moins essayer de détourner l’attention et tromper l’ennui, P a eu une idée : Mettre des mini boss un peu partout. Se pavanant fièrement avec leur barre de vie doublage kevlar, ils sont chargés de vous rappeler que la vie est parfois injuste en vous martelant le crâne jusqu’à acceptation de l’idée. Les éviter serait se passer de ressources précieuses, les confronter se risquer aux moments les plus frustrants de l’aventure. C’est alors au choix l’entrainement acharné ou les plus viles techniques de marlou qui en viendront à bout (côté pratique c’est l’occasion de découvrir tout ce qui peut être jeté sur quelqu’un dans l’inventaire). Parfois plus contraignants que les boss eux-mêmes (ne laissez jamais un clown dépérir dans une cave à vin), ils sont le parfait grain à moudre pour ceux qui voudraient relancer le sempiternel débat sur la difficulté.

Et oui, je vous le confirme au cas où ça n’était pas complètement clair jusqu’ici : Lies of P est un jeu difficile. Cela n’étonnera normalement personne (à part le fan perdu de Pinocchio croyant toujours au conte de fée), mais décevra sans doute les personnes un poil allergiques aux souls like qui auraient aimé découvrir ce petit univers via une proposition différente ou plus accessible.

Pour expliquer cette difficulté, on pourrait en premier lieu pointer le manque de savoir-faire. L’accumulation de petites erreurs d’exécution couplée à un défaut d’expérience, aboutissant sur un gameplay pas suffisamment précis pour éviter les scories, et un équilibrage pas toujours bien maitrisé comme en témoigne la première mise à jour post sortie qui a vu le niveau de certains boss drastiquement revu à la baisse et celui du copain spectre se proposant de vous accompagner au combat bien boosté (ça ne vaut pas la Mimic dans ses grandes heures d’Elden Ring mais quand même). Remarquer d’ailleurs que ce fameux spectre sans nom mais non sans talent est la seule main tendue vers l’accessibilité. Maitre du détournement d’attention et plus que compétent quand il s’agit d’encaisser les coups, c’est le moyen le plus efficace de terrasser un boss devenu antipathique à force d’échecs successifs. Evidemment prohibé à quiconque souhaitant comprendre un minimum le déroulement d’un combat, ou à toute personne s’essayant à la rédaction d’une critique mitigée sans chercher le désaveu d’une communauté intransigeante ; mais à mon humble avis complètement toléré dans un cas d’infériorité numérique comme l’horrible confrontation face à la confrérie des lapins noirs (le pire boss et il le claque deux fois, plaisir total).

Bien sûr, réduire la difficulté au savoir-faire serait passer à côté d’une grande part de la vérité. Car il est avant tout question de volonté. La volonté de retranscrire une expérience de jeu exigeante et gratifiante basé sur la rencontre d’obstacles et la satisfaction à trouver des moyens pour les surmonter. Nul doute qu’en transformant ça en promenade de santé ça n’aurait pas la même saveur.

Mais à force d’ériger la difficulté comme une composante essentielle du genre, elle est presque devenue un argument marketing, une valeur sûre pour attirer une caste de joueurs pour lequel la notion d’accomplissement justifiera toutes les peines rencontrées. Si From Software fais à chaque nouvelle sortie un pas relativement motivé vers l’accessibilité sans jamais sacrifier ses idéaux, preuve que les deux ne sont pas non plus incompatible à condition de bien savoir ce que l’on fait, les souls like cherchent avant tout à perpétuer son héritage auprès d’un public déjà conquis. Quelque part entre une décision élitiste calibrée, et le témoignage sincère de studios appartenant généralement eux-mêmes au public et qui en comprenne les nécessités.

Si l’art de la guerre se résume à connaitre son ennemi, celui du souls like est plutôt de savoir à qui on s’adresse. De braves joueurs qui n’ont peur de rien, plein de confiance après leurs exploits passées, se croyant bien vite à la maison si on ne leur envoie pas des décharges d’adrénaline. Un public ciblé qui a supposément roulé sa bosse sur les grands succès de From Software, et ce suffisamment longtemps pour en connaitre le goût des entrailles. Alors, à défaut d’être capable de le surprendre, la solution est de le stimuler. Tenter de lui faire revivre les sensations d’antan. Celles d’un passé teinté d’incertitudes et de larmes face à un monde inconnu dont l’hostilité n’a au premier abord d’égal que l’hermétisme des règles en vigueur. Lui réapprendre à apprendre, le motiver à se surpasser, et surtout s’assurer de capturer sa pleine concentration sur la durée. A l’image des mini boss précédemment cités, seul subterfuge trouvé pour créer le danger et l’incertitude sur la route de vétérans bien vite en pilotage automatique, c’est presque un devoir que de le sustenter, au risque de parfois dépasser un peu la limite du raisonnable.

Gageons que les braves développeurs coréens de Round8 comme bien d’autres ne sont pas plus incapables que leurs homologues japonais en matière de codage et qu’il ne faudrait pas plus de quelques minutes pour adoucir le timing des parades si-là était leur souhait. Gageons également que leur objectif est qu’un maximum de personnes puissent découvrir le funeste destin réservé à Geppetto et sa création, et qu’ils sont pleinement conscient de ce qu’ils font.

Ainsi seuls les joueurs véritables apprécieront les tribulations du pantin à leur juste valeur. Derrière les épreuves, les traces d’un chef d’œuvre incompris. Bercé par la symphonie du skill, le new game + se fera dans le repos et la délectation. Au sommet de l’accomplissement et du fun, la marionnette sans nom s’inscrira dans la légende auprès d’Isshin, Malenia ou Lady Maria. Dans le cœur des adeptes, P dessinera une ère nouvelle pour les souls like et sera célébré comme la suite de Bloodborne qu’ils n’espéraient plus. Et oui, ces dernières élucubrations ne sont que de piètres mensonges.

Le mensonge. L’arme la plus puissante pour survivre dans un monde de tromperies. Dans Lies of P, mentir c’est prendre en compte les sentiments d’autrui, et donc gagner en humanité. Régulièrement durant l’aventure, le pantin sera confronté à des choix entre mensonge et vérité. Des choix malheureusement inoffensifs sur l’univers et en réalité même peu impactant dans l’obtention des différentes fins (seule la "vraie fin" (je hais cette appellation) requiert une ligne de conduite bien précise). Dommage, tant il s’agissait là de la façon logique et prometteuse de faire le pont entre les ambitions RPG du titre et la supposé relecture du conte de Pinocchio qu’il cherche à nous proposer.

Ne vous y tromper pas, si P puise bel et bien dans les écrits de Carlo Collodi pour ancrer son histoire et s’attache à nous présenter non sans malice tous les personnages incontournables de son œuvre durant les premières heures, il n’en est en rien une fidèle adaptation (il vaut mieux d’ailleurs n’avoir aucune attente concernant la célèbre séquence de la baleine, ici anecdotique pour ne pas dire risible). Empruntant là aussi des idées à ses divers modèles, P s’émancipe et construit peu à peu son propre intérêt, non pas avec une prise de vue éminemment originale mais par le mélange astucieux de ses influences.

Sans éviter quelques lieux communs en cours de route, l’aventure du pantin se suit avec plaisir jusqu’à ses révélations finales qui viendront cimenter un univers plus étoffé qu’il n’y parait (et compenseront même un peu le manque d’inspiration des derniers niveaux). Optant pour une approche de la narration plus frontale que ce que nous propose habituellement From Software, sans pour autant perdre cet amour caractéristique du lore nébuleux, P se devrait être une sorte de réconciliation pour les personnes en état de confusion à chaque apparition du nom d’Hidetaka Miyazaki sur un générique.

Alors, quand la promesse d’une suite dans le monde du magicien d’Oz se susurre en cinématique avant la tombée de rideau, l’espoir rejaillit. L’espoir d’une suite qui saura affiner sa proposition et faire preuve de plus de folie. Une suite plus audacieuse et aboutie qui permettra de faire exploser tout le potentiel entrevu. Et qui sait peut-être alors que la nouvelle création de l’élève pourra s’exposer fièrement aux cotés des toiles du maitre.

Tchao pantin.

LeMalin
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le 20 févr. 2024

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