Lies of P
7.3
Lies of P

Jeu de Round8 Studio et Neowiz (2023PlayStation 5)

Il connaît toutes les ficelles, c'est un vrai pantin

C’est l’histoire d’un pantin qui se rêvait petit garçon. L’histoire d’un jeune studio coréen qui se rêvait From Software.


Il est désormais habituel de découvrir à chaque conférence dédiée aux World Première du jeu vidéo, un trailer léché de ce qui sera communément appelé un souls-like, développé par un studio inconnu au bataillon venu d’un pays émergent, vendu sur la promesse de combats très étudiés contre d’ignobles entités, et débordant tellement de fric que l’on se demande toujours si on assiste à la naissance d’un nouveau prodige ou à la banane du siècle.


Lies of P est un peu le premier d’entre eux à se lancer dans l’arène. Le premier à se confronter à un public curieux de savoir si tout le budget alloué à la communication n’a pas laissé une partie du développement dans la panade.


La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas arnaque sur la marchandise. Le produit est conforme à sa publicité. Ceux qui craignaient une contrefaçon made in korea éhontée de leur jeu préféré peuvent se rassurer sur la qualité de finition. P est même très satisfaisant pour une première sortie de studio.


La mauvaise nouvelle, c’est qu’en s’attaquant frontalement à certains des jeux les plus adulés de la dernière décennie, une comparaison inévitable s’érige directement en épée de Damoclès, et les attentes conséquentes d’une communauté pas franchement timide en matière de dérapages sanglants sont la seule chose qui la sépare de la décapitation.


Comme le nez au milieu de la figure

C’est là toute la malédiction du souls-like, être jugé pour ce qu’il est mais aussi pour ce qu’il aurait pu être. Difficile pour le critique de trouver le compromis entre des encouragements de circonstance pour un élève motivé et les coups de règles sur les doigts à chaque trait qui dépasse du pochoir. La seule façon de s’en sortir, au-delà du respect des enseignements fondamentaux (faut pas déconner), c’est de de trouver sa propre voie. Marcher sur l’ombre du maitre et esquisser pas à pas sa propre chorégraphie en évitant si possible de se prendre les pieds dans le tapis.


Ne faisons pas durer ce faux suspense plus longtemps. Dès vos premiers pas dans la cité de Krat entrepris, tout pue Bloodborne à cinq mètres. Des carcasses de chevaux en décomposition jonchant le sol jusqu’au chiens enragés dans des cages mal fermées, en passant par des ruelles étroites hantées par la pénombre éternelle et le danger permanent de locaux peu amicaux prêts à vous enfourcher à la première occasion venue avec leurs armes de fortune, difficile d’y voir autre chose qu’une réminiscence de vos plus beaux cauchemars. Une fois sorti de la ville la chose ne s’arrange puisqu’on y trouve une chapelle désertée par la foi avec des blobs visqueux mal collés au plafond, puis une forêt et un village rappelant étrangement les bois interdits (sans les sacs de serpents c’est une bonne chose, mais avec des pièges à loups partout et je suis à deux doigts de pieds de lancer une pétition pour abolir ces conneries).


Inutile de continuer l’énumération plus longtemps. Il n’existe pas, ou peu de moments durant l’aventure où le joueur expérimenté ne sera pas confronté au sentiment de déjà-vu. Une impression s’étendant à la mise en scène, le design d’ennemi, la structure narrative, la caractérisation de personnages, et plus encore. Et pourtant…


Pourtant, ce que P nous propose il le fait plutôt bien. Passé la première impression d’évoluer dans une œuvre de faussaire on s’éprend peu à peu de son univers, s’amuse dans ses combats, et s’étonne même d’y trouver parfois de chouettes idées. Perché sur une toile d’influences multiples (il ne s’est pas contenté de Bloodborne le coquin), il parvient tant que bien que mal à trouver un semblant d’équilibre. Conscient du public visé, il reprend des classiques, les mélangent et les assemblent avec suffisamment de doigté pour créer l’illusion d’un nouveau voyage.


Rangez vos couperet-scies braves défenseurs de Yharnam, le pantin montre ses fils mais il ne s’est pas encore transformé en âne !


Il s’agit alors non plus de le mesurer à ses modèles mais plutôt de le comparer à ses semblables. Et sur ce point, il s’en sort plus que bien. Il a même fière allure devant ses congénères. Le meilleur souls-like ? C’est très possible. D’aucuns diront qu’un bon pantin vaut toujours mieux que trois mauvais guignols. Mais au fond est-il vraiment important de la savoir ? D’ailleurs, qu’est-ce réellement qu’un souls-like ? Des années que le mot traine sur les internet sans que deux spécialistes ne se soient mis d’accord sur la définition exacte (selon les cas Dark Souls II est parfois la meilleure réponse au débat). Il faut dire que l’affaire est complexe. Au-delà de mécaniques très reconnaissables et d’une structure plus ou moins identifiable, il est avant tout question de vision. Une vision bien trop souvent réduite à un prétendu penchant sadique pour la torture et un amour de l’art ésotérique faisant du wiki votre nouveau meilleur ami.


Seule chose communément admise, pour pouvoir briller dans l’exercice il faut savoir bastonner. Un souls-like ne serait à priori pas grand-chose sans des préceptes de combat bien intégré, ni un système de progression finement étudié. De côté-là notre pantin se défend plutôt bien. Reprenant non sans panache un arsenal maintes fois éprouvé par le passé, il l’agrémente de petites trouvailles personnelles et forge son propre attirail sur l’enclume du style.


Au rayon des bonne idées: la dernière charge de soin peut se recharger en frappant l’ennemi, carotte d’espoir qui nourrira parfois la survie des plus téméraires d’entre nous dans une situation désespérée. La possibilité de briser les armes des adversaires en les usant de parades bien placées : le truc qui fait son petit effet quand vous voulez montrer à votre voisin Jean Jacques comment vraiment jouer (parait qu’être capable de passer la phase 1 de Laxasia sans même l’attaquer fera de vous un homme. Sauf si vous êtes une femme. Encore que). Les pierres à aiguiser conférant des bonus temporaires à votre arme sont rechargeables, et on se sent de suite plus enclin à les utiliser au lieu d’en accumuler une montagne dans l’inventaire juste "au cas où" (la contrepartie étant que leur utilisation devient bien plus conseillée), d’autant qu’elles offrent de nombreuses possibilités.


Au rayon des idées intéressantes mais clivantes : détacher puis réassembler la poignée d’une arme sur le manche d’une autre permet d’en créer une nouvelle, modifiant au passage ses affinités et son move set, et permettant alors des réjouissances comme le maniement d’un espadon avec la grâce d’une rapière. Idée amusante et pratique (augmenter l’allonge d’une dague par exemple), peut-être un brin trop gadget pour les moins ouverts aux expérimentations multiples, et progressivement mise en retrait par la puissance inégalée des armes uniques (note à votre petit cousin : ne gaspille pas l’Ergo des boss si tu veux terminer le jeu). L’organe-P, arbre d’améliorations plus intéressant que la moyenne suggérant un vrai perfectionnement de votre style de jeu, mais qui semblera un peu bancal aux nouveaux joueurs tant ses principaux choix semblent tomber de l’évidence (augmenter le nombre d’amulettes, renforcer les charges de pulsations), tandis que d’autres font figure de remplissage. Notez que celui-ci s’enrichi d’un nouveau pallier en Ng+ puis en Ng++, offrant alors des possibilités supplémentaires non négligeables (la garde contre les attaques de frénésie par exemple).


Au rayon des moins bonnes idées, car vous le savez dans la vie comme dans la critique tout est question de nuance : une jauge de durabilité d’arme (que quelqu’un lance un mouvement pour éradiquer ce fléau du jeu moderne) qui décroit rapidement et vous demandera un jour ou l’autre de sortir l’affûteuse de votre poche entre deux esquives maladroites face à un boss peu complaisant. Un système de poids d’équipement complétement lunaire, contraignant à un investissement important dans la statistique de capacité sous peine de vous traiter comme un obèse à la moindre occasion trouvée de revoir l’organisation de votre matériel de survie (le poids de certaines pièces est juste délirant). Aussi un arbre d’or (clin d’œil au champ des miracles) sur lequel ramasser des fruits tous les dix minutes, utile notamment pour remettre à zéro son build, ou alimenter un étrange cube dont personne ne se servira (si ?). Pas gênant en soi mais désespérément inintéressant.


Et derrière tout cela bien sûr, la grande idée la vraie : celle d’avoir pris sur son temps libre pour s’offrir des leçons auprès du maitre Sekiro (dont la frénésie des combats est toujours un Everest pour ses disciples croyez le bien).


Première leçon : "un bras coupé c’est une prothèse gagnée". Et même si le grappin du pantin ne vous fera pas décoller, lui ou ses variantes pourraient être la clé du succès (regrettable pour autant de devoir attendre la fin de jeu pour pouvoir en changer à la volée, d’avantage de flexibilité aurait été apprécié).

Deuxième leçon : "si tu ne sais pas correctement parer, c’est toi qui seras découpé", et celle-là va faire jaser. Entendons-nous bien, il est parfaitement possible de voir le bout de l’aventure en bafouant ce précepte, de la même manière qu’il est possible de jouer au ping pong sans raquette, attraper un poisson sans canne à pêche ou défaire le marcheur des illusions en jouant au chat et la souris dans son arène exiguë. Sans jamais être obligatoire, la capacité de dévier les attaques les plus redoutables est ce qui fera la différence entre l’apprenti pantin et le maitre des marionnettes. Et il est ici bien question d’enclencher une action avec un timing très précis, pas seulement de se protéger avec une garde haute (qui reste une option de choix avec les bonus associés et une endurance en béton, mais pas suffisante à elle seule) ou se réfugier derrière un mash button désespéré.


Est-ce que la manœuvre est difficile ? Sans aucun doute. Est-ce que cela nécessite de l’entrainement ? Assurément, et dans la majorité des cas le pantin ne sera pas le seul à se faire des cheveux blancs. Est que le jeu en vaut la chandelle ? C’est discutable. Si la satisfaction même de maitriser un gameplay et faire danser un boss comme on réciterait un poème n’est plus à démontrer, sur le plan plus strict du risk and reward c’est de suite moins évident.


Troisième leçon : "si tu vois rouge, bouge. Et si le temps t’en prie crie Mikiri !". Ah non celle là n’était pas au programme faudra se démerder autrement.


Mentir ou mourir ? Pourquoi choisir.

Bien sûr tout n’est pas rose au pays des marionnettes. Comme tous souls-like qui se respecte, P traine son lot d’imprécision : body block parfois gênant, mouvements ennemis trop téléguidés, lecture de pattern pas toujours irréprochable (vous me direz qu’affronter en majorité des êtres désarticulés et mécaniques n’aident pas), impossibilité d’annuler une action en combat, backstab bien trop capricieux. Des petits détails pas rédhibitoires mais qui font la différence dans la recherche d’excellence. Choix délibérés ou manque d’expérience, seul une suite attendue pourra nous le confirmer, mais pour cette fois le budget du département animation n’est pas le premier nom sur le banc des accusés.


Si le pantin a bien compris un truc sur son modèle : c’est l’importance du style. Déjà qu’incarner une version mécanique de Timothée Chalamet a de quoi séduire n’importe quel membre de la génération Z à la recherche de l’être non genré de ses rêves (pas forcément le cœur d’audience mais sait-on jamais), il se paye des mouvements dynamiques, en plus de capacités spéciales ultra classe (et puissantes bien entendu), le tout avec des petits effets visuels qui vont bien, et ne font pas honte à son modèle loin de là. Sa garde-robe n’est pas en reste avec une sélection de tenues raffinées (toi aussi trouve ton animal totem en écharpant des rodeurs aux quatre coins de la cité) ayant le bon goût de ne pas influer sur le poids d’équipement, et venant compléter un panel d’armes original et inspiré, à défaut de nous permettre une personnalisation assez poussée pour convaincre les plus grandes victimes de la fashion souls. Apprenti pianiste, le pantin collectionne à ses heures perdues des vinyles, collectable insolite qui offrira aux complétionniste les plus beaux musicaux de l’aventure ; comme un lot de consolation face aux thèmes de boss qui eux sombreront dans l’oubli.


Face à lui se dresse un bestiaire à deux visages, tantôt inventif sur la partie marionnette (en plus d’être soigné en termes de cohérence thématique), et tantôt paresseux sur la partie monstre bien moins inspirée (même si l’archevêque Andreas est une belle exception dont on aurait aimé retrouver la folie plus souvent). Autour de lui, la direction artistique peine à cristalliser toutes les ambitions esthétiques promises par ce bel univers. Trop souvent quelconque, trop rarement brillante, elle se retrouve même parfois aux confins de la laideur (je ne voulais pas balancer mais dans le dernier tiers de l’aventure c’est la crise). Gageons tout de même d’un hub super classe et de quelques plans stylisés venant rappeler tout le bon travail effectué sur la construction globale.


Mais là n’est pas la plus gênante carence de P qui échoue terriblement à captiver sur le plan de l’exploration ; pourtant là une des forces incontestables de ses modèles. Avant même les boss emblématiques, le chemin tortueux qui y mène. Le souffle de l’aventure se mesurant à chaque pas du pèlerin en perdition face à un itinéraire qu’il doit comprendre avant de l’arpenter en toute quiétude. Le frisson de l’inconnu constamment nourri, l’amour du détour menant aux petites épiphanies face à la cohérence d’un ensemble, la satisfaction de trouver récompense au bout d’un chemin escarpé ou d’une course héroïque au milieu de chaos.


Chaque souls-like ne fait que confirmer que le talent de From Software en matière de level design n’est pas imitable par le premier venu. Comme beaucoup avant lui P se contente d’une approche trop scolaire face à la supposée recette du succès. Raccourcis, échelles, phases d’équilibristes sur des poutres usées, et deux-trois mobs cachés au coin d’un mur entre un ou deux pièges prévisibles. Tel un commis trop tremblant devant la boite à épices, le pantin balance les ingrédients dans le mixeur de la facilité, et se rassure en se disant qu’au moins fade ça n’est jamais trop cuit. Sans démériter dans l’exécution P peine à surprendre, ne trompe personne avec ses faux embranchements placés sans grandes convictions, et peine à trouver des idées bien à lui pour se sortir de l’hommage.


P paye surtout le choix d’une structure complètement linéaire. Un découpage en chapitres nous enfermant vite dans une routine qui ne sera jamais rompue. Pas de zones optionnelles à découvrir, pas de grande bifurcation à négocier, tout juste quelques objectifs fedex pour nous rappeler de temps à autre que l’on évolue dans un monde fait de zones interconnectées ; rapidement exécutés après une téléportation à l’endroit indiqué d’un point sur le carnet de voyage. Notez également la tendance discutable d’annoncer l’identité du prochain boss ou de la prochaine zone sur des documents insignifiants à ramasser, n’aidant en rien pour l’effet de surprise.


Alors pour compenser -ou tout du moins essayer de détourner l’attention et tromper l’ennui- P a eu une idée : Mettre des ennemis d’élites un peu partout. Se pavanant fièrement avec leur barre de vie doublage kevlar, ils sont chargés de vous rappeler l’injustice de la vie en vous martelant le crâne jusqu’à acceptation de l’idée. Les éviter serait se passer de ressources précieuses, les confronter se risquer aux moments les plus frustrants de l’aventure. C’est alors au choix l’entrainement acharné ou les plus viles techniques de marlou qui en viendront à bout (côté pratique c’est l’occasion de découvrir tout ce qui peut être jeté sur quelqu’un dans l’inventaire). Parfois plus contraignants que les boss eux-mêmes (les clowns ne sont pas toujours drôles), ils sont le parfait grain à moudre pour ceux qui souhaiteraient relancer le sempiternel débat sur la difficulté.


Et oui, je vous le confirme au cas où cela n’était pas complètement clair jusqu’ici : Lies of P est un jeu difficile (sauf dans ses énigmes vous considérant réellement comme une marionnette sans cerveau). Cela n’étonnera normalement personne (à part le fan perdu du Pinocchio Disney croyant toujours au conte de fée), mais décevra sans doute les personnes un poil allergiques aux souls-like qui auraient aimé découvrir ce petit univers via une proposition différente ou plus accessible (voir l’édit en fin de critique pour la question des modes de difficulté non présents à la sortie).


Pour expliquer cette difficulté, on pourrait en premier lieu pointer le manque de savoir-faire. L’accumulation de petites erreurs d’exécution couplée à un défaut d’expérience, aboutissant sur un gameplay pas suffisamment précis pour éviter les scories, et surtout un équilibrage pas toujours maitrisé comme en témoigne la première mise à jour post sortie ayant vu le niveau de certains boss drastiquement revu à la baisse et celui du copain spectre se proposant de vous accompagner au combat bien boosté (ça ne vaut pas la Mimic dans ses grandes heures d’Elden Ring mais quand même). Ce fameux spectre sans nom mais non sans talent est par ailleurs une vraie main tendue vers l’accessibilité. Maitre du détournement d’attention et plus que compétent quand il s’agit d’encaisser les coups, c’est le moyen le plus efficace de terrasser un boss devenu antipathique à force d’échecs successifs. Evidemment prohibé à quiconque souhaitant comprendre un minimum le déroulement d’un combat, ou à toute personne s’essayant à la rédaction d’une critique mitigée sans chercher le désaveu d’une communauté intransigeante ; mais à mon humble avis complètement toléré dans un cas d’infériorité numérique comme l’horrible confrontation face à la confrérie des lapins noirs.


Bien sûr, réduire la difficulté au savoir-faire serait passer à côté d’une grande part de la vérité. Car il est avant tout question de volonté. La volonté assumée de conclure chaque chapitre par un boss punitif, souvent muni de deux phases bien distinctes pour ne pas se faire avoir par la chance du débutant. La volonté de retranscrire une expérience de jeu exigeante et gratifiante basée sur la rencontre d’obstacles et la satisfaction à trouver des moyens pour les surmonter. Nul doute qu’en transformant l’aventure en promenade de santé le tout n’aurait pas la même saveur.


Mais à force d’ériger la difficulté comme une composante essentielle du genre, elle en est presque devenue un argument marketing. Une valeur sûre pour attirer une caste de joueurs pour lesquels la notion d’accomplissement justifiera toutes les peines rencontrées. Si From Software fais à chaque nouvelle sortie un pas relativement motivé vers l’accessibilité sans jamais sacrifier ses idéaux -preuve que les deux ne sont pas non plus incompatible à condition de bien savoir ce que l’on fait- les souls like cherchent avant tout à perpétuer un héritage auprès d’un public déjà conquis. Quelque part entre une décision élitiste calibrée, et le témoignage sincère de studios appartenant généralement eux-mêmes au public et qui en comprenne les nécessités.


Si l’art de la guerre se résume à connaitre son ennemi, celui du souls-like s’apparente plutôt à comprendre à qui l’on s’adresse. De braves joueurs impavides, emplis de confiance après leurs exploits passées, se croyant bien vite à la maison si on ne leur envoie pas des assauts mortels ou quelques décharges d’adrénaline. Un public ciblé ayant supposément roulé sa bosse sur les grands succès de From Software, et ce suffisamment longtemps pour en connaitre jusqu’au goût des entrailles. Alors, à défaut d’être capable de le surprendre, la solution est de le stimuler. Tenter de lui faire revivre les sensations d’antan : celles d’un passé teinté d’incertitudes et de larmes face à un monde inconnu dont l’hostilité n’a au premier abord d’égal que l’hermétisme des règles en vigueur. Lui réapprendre à apprendre, le motiver à se surpasser, et surtout s’assurer de capturer sa pleine concentration sur la durée. A l’image des ennemis d'élites précédemment cités -seul subterfuge trouvé pour créer le danger et l’incertitude sur la route de vétérans bien vite en pilotage automatique- c’est presque un devoir que de le sustenter, au risque de parfois dépasser un peu la limite du raisonnable.


Gageons que les braves développeurs coréens de Round8 comme bien d’autres ne sont pas plus incapables que leurs homologues japonais en matière de codage et qu’il ne leur faudrait pas plus de quelques minutes pour adoucir le timing des parades si là était leur souhait. Gageons également de leur objectif qu’un maximum de personnes puissent découvrir le funeste destin réservé à Geppetto et sa création, et qu’ils sont pleinement conscient de ce qu’ils font.


Ainsi seuls les joueurs véritables apprécieront les tribulations du pantin à leur juste valeur. Derrière les épreuves, les traces d’un chef d’œuvre incompris. Bercé par la symphonie du skill, le new game + se fera dans le repos et la délectation. Au sommet de l’accomplissement et du fun, la marionnette sans nom s’inscrira dans la légende auprès d’Isshin, Malenia ou Lady Maria. Dans le cœur des adeptes, P dessinera bien vite une ère nouvelle pour le souls-like et sera célébré comme la suite de Bloodborne qu’ils n’espéraient plus. Et oui, ces dernières élucubrations n’étaient que de piètres mensonges.


Le mensonge. L’arme la plus puissante pour survivre dans un monde de tromperies. Dans Lies of P, mentir c’est prendre en compte les sentiments d’autrui, et donc gagner en humanité. Entorse aux grandes lois de la robotique (pardon du grand contrat), c’est la preuve d’un cœur qui bat sous la carcasse de métal, et d’un minimum d’attention portée aux problèmes des différents PNJ rencontrés. Régulièrement durant l’aventure, le pantin sera confronté à des choix entre mensonge et vérité. Des choix malheureusement assez inoffensifs sur l’univers (à part si vous aimez caresser les chats) et en réalité même peu impactant dans l’obtention des différentes fins (seule la "vraie fin" requiert une ligne de conduite relativement précise) bien qu’évidemment d’une importance thématique non reniable. Dommage, tant il s’agissait là de la façon logique et prometteuse de faire le pont entre les ambitions RPG du titre et la supposée relecture du conte de Pinocchio qu’il cherche à nous proposer.


Ne vous y tromper pas, si P puise bel et bien dans les écrits de Carlo Collodi (premier nom remercié au début et à la fin) pour ancrer son histoire et s’attache à nous présenter non sans malice tous les personnages incontournables de son œuvre durant les premières heures, il n’en est en rien une fidèle adaptation. Empruntant là aussi des idées à ses divers modèles, P s’émancipe et construit peu à peu son propre intérêt, non pas avec une prise de vue éminemment originale mais par le mélange astucieux de ses influences.


Sans éviter quelques lieux communs en cours de route (et la présence d’un méchant très caricatural), l’aventure du pantin se suit avec plaisir jusqu’à ses révélations finales qui viendront cimenter un univers plus étoffé qu’il n’y parait (et compenseront même un peu le manque d’inspiration des derniers niveaux). Optant pour une approche de la narration plus frontale que ce que nous propose généralement From Software, sans pour autant perdre cet amour caractéristique du lore nébuleux, P se devrait être une sorte de réconciliation pour les personnes en état de confusion à chaque apparition du nom d’Hidetaka Miyazaki sur un générique.


Alors, quand la promesse d’une suite dans le monde du magicien d’Oz se susurre en cinématique avant la tombée de rideau, l’espoir rejaillit. L’espoir d’une suite qui saura affiner sa proposition et faire preuve de plus de folie. Une suite plus audacieuse et aboutie qui permettra de faire exploser tout le potentiel entrevu. Et qui sait peut-être, alors la nouvelle création de l’élève pourra s’exposer fièrement aux cotés des toiles du maitre.


Tchao pantin.


Édit après DLC

En parallèle de l’arrivée de l’extension s’est déployée une mise à jour intégrant deux nouveaux niveaux de difficulté assimilables au choix à du facile et très facile, ou normal et facile en considérant que la difficulté d’origine (désormais nommée rodeur légendaire) est la plus élevée des trois. Changeable à la volée et impactant avant tout la quantité de dégâts reçus, ils ouvrent une porte d’entrée presque inespérée aux joueurs éventuellement bloqués ou rebutés par le sadisme général, venant ainsi écorner le constat de la critique d’origine. Notez que ceux-ci ne transforment pas non plus l’aventure en conte de fée, que leur recours n’est en aucun cas imposés aux plus acharnés, et qu’en dehors de considération statistiques ils ne modifient pas le comportement des boss/ennemis impliquant même pour le joueur maladroit de savoir tenir sa manette à l’endroit, ou pour le joueur étourdi de garder ses yeux rivés sur l’écran. Pour les joueurs plus expérimentés, c’est une possibilité offerte de réduire le stress en période de crise de nerfs, de s’entrainer sur un boss sans penser à se soigner à chaque mandale encaissée, ou de s’économiser le prix d’une manette face au monstre vert du marais.


Aussi, depuis une maj collaborative avec Wo Long: Fallen Dynasty se glisse sans s’expliquer dans votre inventaire le glaive courbe du dragon azur, et ce dès l’entame de l’aventure. Une arme aussi puissante que polyvalente, bien plus efficace que celles proposées au départ, moyen idéal de se mettre en confiance durant les premières heures en attendant de bien intégrer le rythme du jeu (bien qu’elle reste parfaitement viable jusqu’au bout).


Les plus orgueilleux crieront à la trahison d’un studio commettant ici une réelle concession face aux complaintes d’une partie de sa communauté, ou d’observateurs éloignés désireux de l’intégrer. Ils seront toutefois rassurés de savoir que le studio en question ne les a pas oubliés, et leur proposent un mode revanche où les différents boss pourront être recombattus (individuellement ou façon mini boss rush) à l’envie, et ce même dans une difficulté fortement accrue. Il les invite également à se procurer l'extension Overture pour retrouver leur jouissance dans la souffrance.


Concernant l'extension en question, avis rapide :


A l’instar de l’extension de Bloodborne, celle de P nous embarque dans le passé (ou du moins un passé) à la découverte des secrets enfouies de l’église du remède (pardon des alchimistes) et de l’origine du fléau. Cité revisitée, rivières de sang, laboratoire, village de pêcheurs, les similitudes existent encore mais la comparaison s’arrêtera là.


Logiquement adressé à un public déjà conquis, Overture ne vient pas révolutionner la fabrique de marionnettes mais donne aux fans du pantin de quoi prolonger l’amusement ; à commencer par un arsenal de folie justifiant à lui seul la visite (mais toujours aussi peu de pierres de lune pour en profiter pleinement), embarquant notamment une gunblade à faire vibrer les adeptes de FFXIII et à associer avec le nouveau bras de légion cataclysme pour un résultat complètement explosif.


De quoi lutter efficacement contre un bestiaire plutôt bien revisité (sans éviter le recyclage de circonstance) ou la généreuse fournée de boss bien déterminés à vous barrer la route comme il se doit. A l’exception d’un croco pas bien rigolo ces derniers assurent le spectacle jusqu’à un ultime affrontement meurtrier où le pantin apprendra à ses dépens que pour devenir le héros de l’histoire il faut parfois le mériter. Mais le véritable coup d’éclat est peut-être à trouver au milieu d’un premier chapitre généreux et un brin audacieux avec un passionnant combat face à un double boss conceptuel très maitrisé, qui pour le coup a de quoi rendre un peu jaloux From Software.


Pour le reste Overture -comme ne l’indique pas son nom- ne rompt pas avec la linéarité d’origine, mais choisi d’articuler son périple sur l’itinéraire de la fameuse rôdeuse légendaire. Guidés par une narration soutenue et les fadaises d’un Gemini plus imbuvable que jamais, les cinq nouveaux chapitres proposés s’évertuent à replacer des têtes connues et dresser habilement des liens avec le jeu de base, mais ne semble pas pour autant apporter grand-chose de profondément nouveau à l’ensemble.


Par la tragédie attendue et une mise en scène généreuse, P emportera tout de même l’émotion chez les amoureux de son univers prêts à patienter encore un peu pour en apprendre plus sur les manigances de Paracelsus. Heureux d’utiliser à plaisir les nouveaux émotes pour débusquer les interactions cachées ou taquiner la petite Rosaria – PNJ fil rouge aussi adorable qu’inutile- ils feront sans doute la jalousie des explorateurs en herbes de nouveau laissés sur leur faim par cette petite aventure se consommant comme une fuite en avant.


Les quêtes secondaires toujours aussi intéressantes et la curieuse tendance du jeu à nous souffler à grandes rafales la solution de n’importe quel pseudo secret se présentant sous nos yeux n’aideront pas non plus à faire illusion sur le tour de manège proposé. Mais si la fin arrivera trop vite pour certains, les autres sauront ce qu’ils leur restent à faire une fois l’arme ultime entre leurs mains : relancer une partie et découper tout ce qui bouge avec l’art de fable le plus fumé de l’histoire.

LeMalin
7
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le 20 févr. 2024

Modifiée

le 26 août 2025

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