Eprouvant
Malsain, ultra violent, très difficile, Manhunt est un jeu qui ne peut laisser indifférent. James Earl Cash vient d'être condamné à mort pour des raisons inconnues. Starkweather, réalisateur taré de...
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le 19 sept. 2010
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Jeu de Rockstar North, Take-Two Interactive Software et Rockstar Games (2003 • PlayStation 2)
Dans la longue histoire des jeux censurés, abhorrés, diabolisés, jetés dans la cuvette des chiottes, je choisis Manhunt. Développé par Rockstar North dans la foulée du succès de leur GTA Vice City, Manhunt est sorti sur Playstation 2 en 2003. Créant la polémique pour le concept de son gameplay et l’immoralité pleinement assumée par ses développeurs, le jeu fut un temps retiré des bacs en France avant d’être à nouveau commercialisé avec une interdiction au moins de 18 ans. Il fut aussi interdit de commercialisation dans de nombreux pays, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Allemagne. Sa suite Manhunt 2, elle, dépassera les bornes au point d’être à jamais banni des stands de vente du monde entier, des magasins spécialisés et même de l’étagère de jeux d’Eli Roth et de Tarantino. Aujourd’hui, rares sont les galettes de Manhunt 2 à avoir échappé à Dame censure.
Mais revenons au premier jeu.
Vous êtes James Earl Cash, un bagnard condamné à mort par injection létale pour... peut-être avoir craché à la gueule de Trump.
Tel Nikita, mais sans le charme et le style punk, Cash se réveille bien vivant dans une salle sinistre qui sent la pisse (on se l’imagine en tout cas). Une voix narquoise dans son oreillette l’informe que son exécution été une mise en scène pour la presse et que ces geôliers l’ont en fait sédaté et vendu pour être le protagoniste d’une sorte de snuff movie, pas loin d’un jeu de télé-réalité de l’extrême, bien plus risqué que Ninja warrior ou Tournez manège. Le mystérieux "réalisateur", le richissime Lionel Starkweather, explique à Cash qu’il se trouve à Carcer City. Située entre Liberty City et Vice City (on est censé être dans le même univers que GTA), Carcer City est une charmante ville fantôme, dépeuplée de ses citoyens mais hantée par des gangs aux masques plus ou moins inquiétants (m’étonnerait pas que les films The Purge se soient inspirés du jeu). Pour gagner sa liberté, Cash doit traverser chacun des territoires de ces gangs, de préférence en se faisant remarquer le moins possible. D’autant plus que tous les tarés masqués sont au courant des règles du jeu et veillent au grain, espérant bien lui faire la peau. Il incombe donc à notre "héros" de se frayer un chemin dans la pénombre, en survivant aux nombreuses rondes de ses traqueurs, et en en tuant certains, de préférence en douce. L’idéal étant ensuite de dissimuler les cadavres de la vue d’autres poursuivants.
Il y a bien sûr un peu de Running Man dans le concept de Manhunt. La différence étant qu’ici, le protagoniste évolue dans un milieu urbain décivilisé et tombant en décrépitude, où les bâtiments glauques aux murs couverts de tags à la syntaxe inspirée et au vocabulaire fleuri sont le prolongement de la psychée perverse et du QI limité des tueurs qu’ils abritent. Bref, Carcer City est une ville de films d’horreur, le parfait théâtre pour cette chasse à l’homme impitoyable. Son ambiance nocturne et sordide, ses rues dépeuplées, ses réverbères qui grésillent, sont de parfaits décors pour les amateurs du genre. En cela, le jeu paye aussi son tribut au film New York 1997 de John Carpenter où le sentiment de déréliction urbaine était le même, le jeu de Rockstar poussant juste plus loin son iconographie inquiétante (les masques) et horrifique (certains débordements un chouïa sanguinolents). La musique, elle, loin d’être mélodique, se résume à des sonorités angoissantes à souhait, parfaitement appropriée à l’ambiance (très) lourde du jeu, et appuyant d’autant plus son atmosphère carpenterienne.
Guidé par la voix d’un réalisateur aussi machiavélique que consacré à une émission censée répondre aux attentes d’un audimat malsain, et filmé durant son périple par plusieurs caméras de surveillance qui, sans révéler sa position à ses ennemis, ne ratent jamais les mises à mort de ses traqueurs, Cash n’a aucun passé, ni aucun sens de l’héroïsme. Il est tel Snake Plissken, l’homme qui veut juste vivre une seconde de plus (Cash-Plissken... Russell ?). Et vous êtes le joueur peu recommandable qui le dirigez. Il faut alors bien avouer que la possibilité de terrifier ses derniers poursuivants au fur et à mesure que l’on tue leurs joyeux compagnons est une amusante version du chasseur se sachant chassé.
On touche alors là à la principale problématique du jeu : l’amoralité de son concept (que la critique qualifia plutôt d’immoral). Ce qui a fait jaser à l’époque c’est bien évidemment le système de jeu impliquant la possibilité, voire parfois la nécessité du joueur de se faufiler dans l’ombre jusqu’à ses poursuivants/proies pour les mettre à mort le plus discrètement possible (coups de marteau, de batte, strangulation, lecture d’un quatrième de couverture de Guillaume Musso) afin de pouvoir avancer. Mais bon après tout, quand c’est une bande de fêlés sanguinaires qui veut vous faire la peau, votre sens "immoral" de gamer prend facilement le dessus. Une jauge de bruit nous indique les décibels à ne pas dépasser pour ne pas rameuter toute une bande de craignos à lames aiguisées. Et comme il vaut mieux parfois faire preuve de prudence face au nombre, les recoins ténébreux des ruelles sont souvent de parfaites cachettes, entre deux bennes à ordures, pour se soustraire à la vue de nos poursuivants.
Pour qui aime/aimait le cinéma d’horreur et les ambiances glauques en plus des doux ricanements de psychopathes résonnant dans la nuit, Manhunt était le parfait exutoire vidéoludique. Un jeu digne d’être le préféré des personnalités antisociales, ou plus simplement des grands passionnés de films de genre. Le système de jeu était plutôt réussi mais la routine meurtrière pouvait finir par lasser (j’attends le bon moment, je m’approche furtivement, je trucide...). Car mieux valait faire preuve de patience et de prudence dans ce jeu, plutôt que de se ruer bêtement dans le tas. Heureusement, les développeurs ont eu le bon goût de varier l’esthétique et la difficulté des niveaux traversés, le jeu devenant nettement plus addictif dès le niveau de la galerie marchande puis du pénitentier, où face à des hordes de fondus de la pétoire, le joueur pouvait enfin en voler une et évoluer sur un même pied d’égalité. La durée de vie était honorable, l’IA pas trop conne (pour l’époque) et la difficulté plutôt ardue.
Impossible de ne pas évoquer l’antagoniste final, le fameux Piggsy, une sorte de Leatherface gargantuesque, seulement habillé d’une espèce de culotte et d’un masque de porc (donc un homme qui soigne son look), et dont le bruit de la tronçonneuse annonçait inéluctablement l’approche angoissante. Quant au mystérieux réalisateur... Cash est du genre rancunier, donc... inutile de dire qu’il n’a pas pu se reconvertir sur la réalisation de Secret story après tout ça.
...
Et là, dans le silence de mon cachot, j’entends comme une question prononcée par une voix au phrasé aussi onctueux qu’horriblement snob, venue tout droit de la culture de l’indignation :
"Mais quel sorte d’individu douteux pourrait vouloir jouer à un jeu aussi bête ?" Une question lancée comme l’exclamation dédaigneuse d’un illustre gardien de la morale.
Réponse :
Et bien... moi, à l’époque.
Oui, j’avoue tout.
J’ai bien aimé zigouiller des psychopathes pixelisés le temps de quelques heures. Je remercie d’ailleurs mon psy d’alors, le Docteur Dekker, (paix à son âme, s’il en avait une) pour m’avoir conseillé ce jeu. Sans lui, allez savoir ce que je serais devenu. Peut-être un scientifique de la police qui salue ses voisins les jours de fête et offre des donuts à ses collègues de boulot (z’avez la réf ?).
En tout cas, je comprends mieux le goût des yautjas pour leur hobby.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Madeleines vidéoludiques, Les meilleurs jeux d'horreur et Les meilleurs jeux avec des anti-héros
Créée
le 11 août 2025
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