J'ai tant de choses à dire sur ce jeu que je m'excuse d'avance pour la longueur de cette critique. J'inclus aussi / forcément quelques spoilers qui, même s'ils ne révèlent pas tant de choses, vous feront rater le premier "plot twist" de l'histoire. A vous de choisir si vous voulez garder cette surprise assez centrale au gameplay (impossible de ne pas en parler), ou non.


Difficile de classer Outer Wilds dans une catégorie particulière : jeu d'aventure, simulateur de vol spatial, puzzle game, jeu narratif... Cette petite pépite sans grande prétention a trouvé le moyen de mettre un doigt dans tant de genres différents qu'il devient difficilement qualifiable. L'histoire se déroule dans un système solaire inconnu, composé de 7 planètes et quelques lunes, et nous incarnons un jeune natif de Timber Hearth - à priori seule planète habitée du système - sur le point de faire son tout premier vol spatial. Après une première session assez classique de tutoriels, on prend enfin son envol...
Mais ... pour aller où ?


C'est là que se déroule la première véritable énigme du jeu. Que suis-je censée faire ? Outer Wilds dépasse en ce sens les open worlds reconnus puisqu'on ne donne au joueur pas d'autre but qu'aller "explorer l'espace". Pas de quête, pas de monde à sauver, le joueur est libre d'aller où il veut et faire ce qui lui plait. Pourquoi ne pas aller sur Brittle Hollow, cette planète qui semble se décomposer petit à petit. Ou bien Giant's Deep, cette énorme sphère agitée par une armée d'ouragans, ou encore essayer d'atteindre cette lune qui change mystérieusement de position. Au fur et à mesure de l'exploration on découvre ruines et textes laissés par une ancienne civilisation, les Nomaï, qui semblent avoir été éradiqués par un mal mystérieux.


Et voilà le premier élément de génie qui constitue ce petit bijoux de jeu. La découverte du monde et de l'histoire ne tiennent finalement qu'à la curiosité du joueur. Au fur et à mesure des découvertes au détour d'une planète, on se retrouve happé dans une grande quête du savoir. Des indices répartis sur chaque planète vous permettront d'ouvrir une porte cachée, d'accéder à un nouvel endroit regorgeant de secret, qui à son tour vous révèlera de nouvelles informations sur la civilisation disparue.


Mais alors que vous tentez de déchiffrer une conversation Nomaï sur un bout de mur, une douce lueur bleue inonde la pièce. Vous levez le nez, curieux de savoir ce qu'il se passe, regardant à droite, à gauche. La lumière bleue envahi rapidement l'écran, et puis soudain


Plus rien.


Vous vous réveillez près du feu de camp, au village. Un hearthien vous regarde "Alors, prêt pour le grand départ ?". Mais... Je suis déjà partie, tout à l'heure... Suis-je... suis-je revenue au tout début ?


Ce que le jeu ne vous dit pas la première fois, c'est que votre système solaire est en train de mourir. Peu de temps après votre réveil initial, le soleil entre en supernova et implose, emportant tout, vous compris, sur son passage. Mais une statue Nomaï a conservé vos souvenirs et vous ramène à chaque fois 22 minutes en arrière. Le mystère d'Outer Wilds s'épaissit. Pourquoi la supernova ? Pourquoi la statue Nomaï m'a-t-elle préservé ? Puis-je ...empêcher la fin du monde ?
Vos seules armes sont votre vaisseau, un bon time management et votre curiosité.


Si le côté "jour sans fin" d'Outer Wilds est déjà novateur et brillant dans le cadre d'un jeu narratif, ce sont les thèmes abordés en toile de fond qui en font un trésor d'écriture. La liberté est laissée au joueur d'appréhender la fin du monde comme bon lui semble, et c'est avec beaucoup d'amusement que je me rends compte que moi et mes amis qui ont tenté l'expérience, avons tous traversés à notre manière les multiples étapes d'un deuil. Des souvenirs des premiers runs où on a voulu découvrir plus, plus vite, dans une sorte de panique effrénée. A la colère d'un run où on n'a pas eu le temps de finir ce qu'on voulait accomplir. Aux runs où l'on se rend compte à mi-chemin qu'on arrivera jamais à temps sur cette autre planète alors on se laisse flotter dans l'espace, on accepte son sort, et on admire la beauté tragique d'une étoile qui se meurt.


Car l'intelligence et la beauté d'Outer Wilds se situent exactement dans cette zone sensible qu'est le deuil. En apprenant qu'on va tous inéluctablement mourir, probablement même plusieurs fois, on se prend à apprécier les petites choses, les rencontres, les découvertes avec d'autant plus d'intensité. On apprend à s'organiser et se dépêcher, on apprend à prendre son temps aussi. On apprend finalement que c'est un peu ça, la vie, une succession de découvertes et de déceptions, de bonnes et de mauvaises surprises, et qu'à la fin, on meurt. On y peut rien, c'est comme ça, et c'est finalement à nous de choisir comment on veut profiter du temps qui nous est donné.


Une fois que l'univers vous a révélé ses secrets, vous comprenez enfin que vous êtes sur le point de "finir". D'arriver au bout de votre aventure. Vous ne saurez pas ce qu'il va se passer avant d'y aller. Mais une chose est sûre, après, il n'y aura plus rien.
Après un dernier saut dans le vide - littéralement - le jeu nous prend avec beaucoup d'amour par la main, et nous emmène vers la fin.


Outer Wilds fera à jamais partie de ces oeuvres marquantes qui m'ont poussée à me questionner sur mes attentes vis-à-vis d'un jeu vidéo, mais aussi sur mes attentes vis-à-vis de moi-même et de la vie. C'est une oeuvre métaphorique pleine de douceur et de poésie. C'est une ode à la curiosité et à l'errance qui peuvent nous offrir plus que ce qu'on en attend. C'est pour moi, réellement, une oeuvre universelle.


Je comprends ceux qui pourront trouver le jeu lent et long et pas très intéressant, après tout, 90% des actions du jeux consistent à conduire son vaisseau ou lire des conversations sur les murs. Mais pour moi il sera difficile à l'avenir d'effacer ces sentiments inexplicables provoqués par les moments "eurêka" et les découvertes tragiques faites au long du chemin. Je suis sortie de ce jeu véritablement grandie.


J'espère qu'Outer Wilds vous intéressera comme j'y ai versé toute mon âme le temps d'un weekend. J'espère que la BO d'Andrew Prahlow vous ravira comme elle m'a envoûtée pendant des mois. J'espère qu'au bout du chemin on atteindra tous cette paix intérieure si bouleversante, si tragique, mais si belle, qu'on aura partagée en regardant la lumière bleue d'une supernova. En tout cas, je vous souhaite de vivre cette aventure avec autant d'amplitude que moi.
La vie est une très belle aventure après tout. Non ?

Bex
9
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le 20 avr. 2020

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Bex

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