Il y a quelques années popait soudainement sous nos yeux ébahis un projet tout foufou nommé encore à l'époque "Adrift" et scénarisé par Alain "Horde du Contrevent" Damasio. Bon, les artworks étaient à tomber par terre de bonnasserie, le fait que Damasio soit aux commandes de l'histoire me laissait assez froid - compte-tenu du fait que je n'ai pas trop kiffé la horde - mais quand même, un projet français qui envoyait de la patate, ça pouvait que faire plaisir. Le développement se fait un peu long, apparemment un peu tortueux, on découvre l'histoire de futur avec sa mémoire à retoucher et sa jolie personnage principal au pantalon très saillant. Et puis, ça sort, c'est le drame, jeu pas terrible selon la presse, qui se ramasse des critiques divisées voire un peu sceptiques. Bref, il était temps que je me fasse ma propre idée du bousin. C'est parti ! Attendez... de quoi qu'je parlais, moi, déjà ?


2000 et des briquettes, bienvenue dans le cyberpunk à la française, néo-Paris rocambolesque et style vestimentaire pioché dans le Versailles des années Louis je-ne-sais-combien. On incarne Nilin, chasseuse de souvenirs, et le moins qu'on puisse dire, c'est que ça commence pas fort pour la belle. Incarcérée, elle n'a plus toute sa tête, ou devrais-je dire, tous ses souvenirs. Fort heureusement, une voix nommée Edge lui indique comment sortir, fait un peu de hacking par-ci, par-là et permet à Nilin de retrouver l'air libre, de se découvrir erroriste (putain de putain, mais "erroriste", quoi) et, optionnellement, larbin inconditionnel pour Edge, leader du mouvement erroriste (ah bordel, ça me fait mal de l'écrire) et, du coup, Ultime Donneur d'Ordres. Bref, il va falloir cogner pour sauver sa peau, mais ça, on s'en doutait un peu, et retrouver ses souvenirs et vaincre Mnemosys. Tout un programme.


Côté Gameplay, sur le papier, ça relève du Uncharted : énormément de plate-forme, pas mal de baston (mais pas de gunfight, Nilin n'a pas de holster comme Drake), un poil d'explo avec des trucs à trouver dans le décor et deux trois énigmes lourdingues à résoudre. Sur le papier. En pratique, vous n'avez jamais connu un level design aussi dirigiste de votre vie. Jamais. C'en est presque insolent tant même lorsque vous êtes censé être en extérieur, rien à faire, c'est un couloir dont l'on ne se défait jamais. Ça n'est jamais aéré, on a jamais l'impression de naturellement aller dans la bonne direction (pour la simple et bonne raison qu'on a pas spécialement le choix...). Les phases de plate-forme/grimpette sont tout aussi dirigiste. Plutôt que de jouer sur des codes couleur afin de mettre bien en exergue les éléments interactifs auxquels s'accrocher, Dontnod a opté pour la solution de la paresse : un curseur vous indique la voie à suivre. Et du coup, on passe son temps à chercher le curseur. Et à appuyer sur "A". Passionnant. Les séquences de baston relèvent d'une bonne idée à l'origine, avec la capacité de créer ses propres combos mais à nouveau, c'est tellement limité que l'on finit bien vite par utiliser le même combo en boucle... il n'y a aucun finesse dans l'esquive, pas de contre qui aurait pu rendre ces séquences plus nerveuses ou de gestion tactique des combos (malgré l'ajout du soldat d'élite qui vous fait perdre de la vie quand on le frappe et des différents droïdes qui vous assaillent). Résultat... c'est rapidement mou, loin de l'intensité d'un Batman Arkham qui, lui, n'utilise qu'un unique bouton pour meuler. Comme quoi, pas besoin de faire des manières avec ses Pressens, S-pressens et "affichage dynamique des combos". Et les Memory Remix, censés être le pivot narratif de l'histoire... Il s'agit d'une sorte de point'n'click où l'on teste des combinaisons pour parvenir à ses fins. Pas très amusant. Mais en même temps, il doit y en avoir quatre dans tout le jeu. Dont deux fois le même...


Bon, là, on se dit que ça va être rébarbatif, d'autant que le jeu n'aime pas vraiment se renouveler : on fait la même chose, parfois en boucles très rapprochées. Pire : on passe genre trois fois dans le même lieu, la Bastille, la super prison de ouf du futur, véritable moulin où l'on rentre pénard, pour y revenir finalement assez régulièrement quand le scénario s'égare. D'ailleurs, le scénario, venons-y. Nul. Vraiment. On sent qu'il y a eu une trame derrière qui a été sérieusement cutée et remaniée. Dans l'état, c'est assez bancal. Déjà, le postulat de base : donc, dans l'idée, on joue un terroriste super libérateur en pleine croisade contre une multinationale qui a trusté un marché qu'elle avait elle-même créé. Donc, vous me dites que vous vous battez contre une entreprise qui a vendu légalement ses produits à des gens qui les ont achetés en toute bonne foi, sans jamais y être contraint d'une quelconque manière. Vous êtes trop des badass. Déjà, là, j'avais pas mal décroché, faut bien avouer. En plus d'un combat qui manque complètement de légitimité autre que romantique (on y reviendra), l'histoire est complètement décousu et les éléments vous arrive dessus au fur et à mesure, comme s'il sortait d'un chapeau. "Ha ha, il faut voler les souvenirs de la grande méchante ! Ha, tu l'as fait ? En fait, des expériences méchantes sont faites là-bas ! Ah, tu t'en es occupé... mais tu ne sais pas le clou du spectacle !" Bon en gros, vous cherchez à m'occuper à chaque fois, c'est ça ? Je vous passe la sous-intrigue concernant le "drame familiale" complètement wtf, avec memory remix à la clé qui déboule sur des situations sans queue ni tête, ça serait gâcher les rebondissements de l'angoisse que réserve un scénario composé de bric et de broc, certainement réécrit douze fois et brodés avec des morceaux les plus faciles à rafistoler entre eux.


Et je parlais du côté romantique de la bête parce que, quelque part ici bas, un homme a dû écrire les dialogues d'Edge. Et j'aimerai dire à cet homme que si son but, c'était de vendre le french touch, alors là, il m'a complètement tué. Je ne sais pas s'il l'a fait de plein cœur, s'il a eu des ordres, je ne sais pas. Mais Edge est officiellement le pnj le plus relou de l'histoire du pnj. Avec les lignes de dialogues les plus débiles que j'ai jamais entendu : c'est simple, on se croirait parfois en pleine lecture libre d'un skyblog emogoth. "Oui, Nilin, va t'en prendre à la présidente de Mnemosys, brise la coquille fragile de ses certitudes". Mh, sérieux. Pour qualifier une émeute carcérale : "Regarde ces hommes et ces femmes, réinvestis par la volonté d'agir, qui comprennent les élans tumultueux de la liberté". Mec, c'est une putain d'émeute, c'est que des gens vénères qui tuent à corps et à cris parce qu'ils sont vénères. Et ça n'arrête putain de jamais, avec toujours un pied dans le ridicule et un pied dans la poésie niveau CM1 redoublant. Je m'excuse auprès du monsieur qui a écrit ça, mais très franchement, j'espère qu'il était pas à fond ce jour-là, parce que ça bute. Et ça donne à l'histoire un aspect prétentieux et ronflant. Entre deux séquences de baston répétitive et de plate-forme poussive, je pense que le jeu aurait très bien pu s'en passer.


C'est quand même bien malheureux, parce que la direction artistique est pas mal : elle a tendance à se répéter un peu en début de jeu mais connaît une sacrée envolée vers la moitié du soft et grimpe vite vers les sommets, avec de superbes lieux à visiter dans le dernier épisode. C'est donc d'autant plus malheureux, quand le tout est quand même bien handicapé par un scénario pompeux, qui s'étale dans des dialogues ridicules, le tout mâtiné de gameplay bancal... On sent des velléités de vouloir bien faire tout en conciliant un certain point de vue - fort discutable - de la particularité française, mais tout tombe dans la caricature. Dommage, un p'tit jeu cyberpunk, ça me fait toujours plaisir, d'ordinaire.

0eil

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5

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