Silent Hill 2
8.1
Silent Hill 2

Jeu de Bloober Team et Konami (2024PC)

Revenir après vingt ans sur un mythe aussi fissuré, aussi intime, aussi viscéralement lié à une époque où la peur était encore une sensation humaine, encore rare dans le divertissement, encore réfléchie, et surtout s'attaquer à un monstre pareil... épaisse merde comme le brouillard de Silent Hill.


Mais voilà, Silent Hill 2 Remake, c’est une forme de miracle qu’on n’attend plus : un jeu qui ne cherche pas à “rendre hommage” mais à exhumer quelque chose qu’on avait vraiment perdu. la honte, la solitude, l'horreur d’une descente dans sa propre tête, ses propres souvenirs, et ses propres remords. Viennent alors en nombre les anti-remake, les avides de sensations fortes, qui diront que le jeu n'est pas à la hauteur de l'original juste par principe, ou que celui ci a besoin de bazookas ou de plasma cutter histoire de le rendre plus fun.


Alors oui, le remake a bon dos dans le microcosme du jeu vidéo d'horreur, c'est vrai. Les Resident Evil sont niquels, bichonnés jusqu'au dernier poil de fesse, d'autres sont plus étrangement menés (le dead space notamment que j'ai trouvé trop rigide et pâte à modeler comparé à son original), mais ceux-ci sont avant tout des shooters ou l'histoire, bien que plus iconiques qu'on veut bien le faire croire, laisse souvent la place au gameplay volontairement pour ne pas perdre le joueur et le laisser dans un environnement familier ou tuer signifie progresser. Silent Hill est une licence tout autre dans son fondement, sans son histoire si particulière, cette licence ne se serait tout simplement jamais fait une place... Et on comprend vite à quel point elle est trompeuse, quand on voit les adaptations cinéma (la première aurait gagné à être un peu plus fidèle car le heavy-lifting avait été assez bien entamé) Mais ce remake est une réussite pure et simple.


Le premier choc, c’est les graphismes. Plus de PS2 floue, plus de textures pâteuses qui camoufle, plus de brouillard utilisé comme un cache misère : ici, la clarté devient une arme. Chaque rayon, chaque reflet sur le bitume ou les façades montrent l'horreur, le souci du détail, et une porte de sortie. Les bâtiments n'ont pas de fin, les rues non plus, et on a vite la sensation d'évoluer dans une prison à ciel ouvert. Le moteur graphique pousse la crasse jusqu’au sublime, la ville n’a jamais paru aussi belle, ni aussi morte, ni aussi terrifiante lorsque la lumière disparaît. On avance comme dans un souvenir qu’on aurait préféré oublier, et c'est exactement le propos de Silent Hill.


Le personnage principal, James, est toujours ce pauvre type au regard perdu, mais plus nuancé que jamais. Sa culpabilité suinte dans la moindre animation, dans ce corps trop lourd, dans sa manière d’éviter de croiser son propre regard dans les miroirs. Bloober Team n’a pas cherché à le transformer en héros tragique, on en action héro à la RE: il reste un homme ordinaire qui porte un poids qu’aucun flingue ne peut alléger... Enfin, tout dépend de comment on le manie. Et c’est ça qui tue : on ne joue pas un héro, on joue un type qui s’enfonce, volontairement, dans une ville qui n’existe que pour le punir.


Le remake ne trahit donc jamais l’original. Il le relit, calmement, avec respect mais sans servilité. Les dialogues sont plus précis, moins datés ; les visages enfin expressifs ; la mise en scène d'une beauté époustouflante rendant tout l'univers compact et vibrant, le rythme est d’une lenteur presque religieuse. Et dans un monde où tout doit aller vite, ou tout doit être décomplexé et barré, Silent Hill 2 Remake prend le temps d'étouffer. Le jeu se fout de l'adrénaline mais il cherche le malaise. Il attrape à la gorge par la suggestion, par un bruit de pas trop proche, par un monstre mal dissimulé.


Les monstres, parlons-en. Toujours symboliques, toujours dérangeants. Pyramid Head ne revient pas en fan-service mais il revient réellement comme l'idée qu'il est, un traumatisme qu’on reconnaît avec effroi. Même la chair numérique semble plus malade, la matière organique qui suinte des murs fout la gerbe, comme si on choppait la crève rien qu'en jouant à ce bordel. Le sound design fait le reste : tout grince, tout respire, la bande son est sublime, les bruits criant de réalisme. Donc en gros, si le propre d'un jeu vidéo d'horreur est de foutre les jetons, Silent Hill Remake, avec son modernisme et son réalisme, rempli sa mission haut la main. On ne veut pas y retourner.


Ce remake a aussi la décence rare de ne pas tout expliquer. Pas de surlignage mais juste une dérive sensorielle dans un espace mental en ruine, à l'image de ce qu'ont fait les meilleurs opus de la série. L’écriture reste elliptique et poétique, on y retrouve ce ton maladif de l'original, mais sublimé par une mise en scène mature et cinématographique.


Et le côté subversif du jeu, ce qui la rendu ground-breaking, l'idée de James et de ses actes en guise de personnage principal, soulève toute l'importance de faire des remakes de ce genre de jeux vidéo afin que l'histoire ne soit jamais oubliée, que le message qu'il porte continue de résonner et qu'il soit surtout accessible pour des nouvelles générations pour qui graphisme = qualité. Je ne dis pas que je suis d'accord, mais en 2025 retourner sur Silent Hill 2 original, no way. De un parce que mon souvenir en est trop beau pour tenter le diable et de deux parce que finalement, en tant que consommateur, moi aussi j'apprécie un jeu à la pointe de la technologie et graphiquement impeccable plus qu'un jeu outdated.


Pour revenir sur le fond de ce Silent Hill, original ou non, le message reste inchangé: L'erreur est humaine et par erreur l'humain peut commettre les pires des atrocités. Mais la honte, elle, est monstrueuse, insondable, et éternelle si tant est qu'on le soit vraiment - humain. Donc pour ceux qui ont mit les lunettes de la nostalgie, pourquoi avoir aimé ce jeu? Parce qu'il était intemporel (soit le cas d'absolument aucunes choses) ou parce que l'histoire à l'époque vous avait frappé droit dans les côtes? C'est le genre de trésor que les premières générations de console proposaient et c'est le genre de trésor que l'on se doit de réitéré si les avancées en matière de développement permettent un rendu plus accessible et sublimé.


Alors oui, c’est pas parfait. Quelques combats un peu raides, une caméra qui s’accroche parfois trop à l'épaule, un ou deux dialogues un peu plats, un rythme lent et rallongé qui peut en rebuter certains. Mais franchement ? On s’en fout. Le jeu est conçut pour hanter et il le fait avec une assurance presque arrogante. Le résultat, c’est un truc qu’on ne voit donc que trop rarement dans le jeu vidéo d’aujourd’hui : une œuvre qui pense la peur pour la faire vivre et pas simplement la distribuer, comme on le faisait à l'époque.


Silent Hill 2 Remake est donc une belle réincarnation, celle d’un cauchemar qui se souvient mieux que nous de ce qu’on ressentait avant que l’horreur devienne un produit. Et quand le générique tombe, aucun soulagement si ce n'est celui de ne plus avoir à retourner dans Silent Hill... le cœur de la licence. Cette ville si emblématique et si savamment pensée. Et c’est précisément là que réside la beauté du truc : cette mélancolie poisseuse, cette douleur qui accompagne après avoir éteint.

bloodborne
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le 21 oct. 2025

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