Une Princesse peut en cacher une autre

Je me trouve sur un sentier dans les bois. Un chalet se dresse au bout de ce sentier. Et une princesse se tient dans le sous-sol de ce chalet. Puis très vite, des voix s'élèvent dans ma tête et me somment de la tuer. Un choix s'impose alors ; vais-je m'improviser en prince charmant et sauver la belle ? ou dois-je croire aveuglément ces murmures et briser ce conte de fée avant même qu'il ne commence ? C'est à moi de trouver le fin mot de cette histoire et de trancher... mais peut être pas la princesse.

❤ Si je suis censée affliger le premier coup de poignard, c'est pourtant le style visuel qui m'assène la première frappe. Les traits épurés dessinent un monde monochrome à l'ambiance sombre et pesante, où seule la couleur rouge transperce la rétine pour accentuer le malaise. Mais malgré cette sobriété, ces illustrations crayonnées capturent les émotions à merveille et la princesse, quelle qu'elle soit, ne laisse jamais indifférent par son apparence et ses regards. Et bien que l'histoire ait tout d'un récit horrifique et cruel, on se surprend à s'attacher, un lien se crée. On me l'avait pourtant annoncé à mon arrivée, ceci est avant tout une histoire d'amour.

❤ Et l'on tombe amoureux, non pas d'une, mais de plusieurs princesses. En effet, à travers chacun de nos choix, sa personnalité évolue et de nouveaux sentiers s'ouvrent alors, parfois courts ou tortueux, mais toujours irrésistibles. Car la princesse n'est pas qu'un personnage, elle devient le miroir de nos décisions. Ainsi, l'envie de débloquer les différents chemins devient de plus en plus forte, d'autant que même nos voix intérieures se transforment, offrant des variantes intéressantes à des scènes déjà traversées. La rejouabilité est donc riche car chaque partie devient une fable inédite. Plus encore, le récit se pare de symboles et de sous-entendus philosophiques (la mort, l'amour, l'appartenance, le vide etc...) et laisse alors une grande liberté d'interprétation ; chacun y projette son propre vécu et ressenti. Et pourtant, l'ensemble reste extrêmement cohérent dans sa façon de tisser le fil de son histoire.

❤ Quel serait un bon conte sans musique pour l'accompagner. Mais oubliez tout de suite les airs enchanteurs de votre enfance, ici, la bande son renforce encore plus l'ambiance sinistre de cet univers. D'ailleurs, elle se décompose en différents leitmotivs qui vont donner corps à chaque incarnation de la princesse, tout en gardant une cohésion d'ensemble. Ainsi, chaque variation musicale annonce déjà le visage de la femme qui nous attend dans ce sous-sol et contribue à façonner la perception que nous aurons d'elle. Le travail musical effectué avec tous ces thèmes distincts rend donc cette BO mémorable et indispensable à l'immersion.

+/- Cette histoire est aussi un livre d'images : au fil du récit, des illustrations peuvent être débloquées et viennent enrichir une galerie. On remarque alors le grand nombre d'illustrations à collectionner (une dizaine par routes) ce qui impressionne d'abord car cela sous-entend toutes les subtilités qui peuvent se jouer dans un même arc. Cependant, certaines images nécessitent de rejouer des passages très identiques et notre quête de complétion peut devenir alors un peu trop répétitive.

+/- C'est une aventure textuelle, certes, mais elle s'écoute tout autant. En effet, deux comédiens de doublage donnent vie à la princesse et à nos voix intérieures, multipliant les nuances à interpréter. Si quelques intonations m'ont semblé un peu moins convaincantes, dans l'ensemble, leur jeu reste d'une grande qualité et participe à l'attachement que l'on porte pour ces personnages.

✖ Pour chaque choix effectué, des routes s'ouvrent sur un écran de chapitrage différent. Mais une fois ce titre disparu, plus rien ne nous indique sur quel sentier l'on se trouve, ni dans l'historique des dialogues, ni dans le nom de la sauvegarde. Cela ne sera pas problématique si l'on compte atteindre la fin d'une traite, mais dès lors que l'on veut débloquer tous les succès et compléter la galerie, les multi-sauvegardes deviennent primordiales pour reprendre à des étapes précises... et me voilà, pauvre héros à la mémoire de moineau, perdu dans tous ces embranchements et ces sauvegardes sans nom. Un petit rappel des chapitres dans l'interface aurait été appréciable pour retrouver mon chemin dans ce labyrinthe narratif.

✖ On dit souvent que le voyage est plus important que la destination... et c'est exactement le cas ici. Mon personnage a déployé ses ailes sur chaque monde, et a fait des rencontres des plus douces aux plus tragiques mais infiniment plus marquantes que la conclusion de cette histoire, qui semble presque effacée derrière un voile d'incertitudes. J'ai évoqué plus tôt la grande liberté d'interprétation laissée aux joueurs, mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si les pages restées blanches ne reflètent pas plutôt une absence de réponse, déguisée en parti pris narratif.

Je quitte enfin cette forêt et ce sentier qui aura su m'envouter et me maintenir au piège de cette boucle ensorcelante. Je suis peut être encore un peu confuse et le sentiment de déjà-vu me laisse un léger arrière-goût, mais mes traces sont marquées par les émotions brutes de cette aventure et de ce regard... que j'ai d'abord craint, que j'ai parfois haï, que j'ai appris à aimer. Tandis que je m'éloigne, des échos de voix commencent doucement à flotter près de mes oreilles et un chalet se dessine au loin. Au final, qui est le vrai prisonnier de cette histoire ?

Chapitre 1 : le Héros ou la Princesse ?