SpaceChem
7.5
SpaceChem

Jeu de Zachtronics Industries (2011PC)

SpaceChem souffre d'une malédiction inconjurable, aussi proche de l'épure qu'il soit il est condamné à être oublié, semblable à un groupe de rock obscur contemporain des Beatles dont la redécouverte ne se fait qu'à l'occasion par quelques chasseurs de vinyls névrosés. Il faut dire qu'il ne score pas dans les domaines qui lui garantiraient la bienveillance générale: un visuel minimaliste qui ne mettra pas la dernière nvidia en pls, il ne possède pas de narration tirée d'un film de série B, il appartient à une catégorie de niche se payant même le luxe d'être difficile et compliqué d'accès pour certains amateurs de sa catégorie. L'enculé. Pourtant aussi peu sexy que puisse évoquer l'expression "jouer à une simulation de programmation ", il a tout d'un grand.


Le premier point est qu'il se démarque du schéma classique de son genre. Traditionnellement le puzzle game est construit autour de la logique de son créateur, charge au joueur d'essayer de la comprendre pour trouver la solution. C'est le format quasi exclusif depuis les années 90, on pourrait l'illustrer avec le point'n'click d'aventure alors à son apogée. Il y avait une solution unique résultant d'une combinaison d'éléments et/ou d'actions à réaliser dans un ordre précis. C'est encore le cas dans la majorité des jeux incorporant des casses-têtes, Nintendo en a même fait la clé de voûte des donjons de ses Zelda.
SpaceChem lui prend le parti de l'énigme à solutions multiples. Ainsi il vous fournit un point de départ, une arrivée, les outils nécessaires, au joueur de construire une solution. Le mot construire n'est pas employé de manière hasardeuse car son postulat conduit à formuler un hypothèse ("est-ce je vais souder/fusionner/trier les éléments?"), la visualiser ("comment je vais transporter les éléments? placer les commandes sur la grille?"), la mettre en application en gérant les erreurs (gestion des timings de chacun des rails). C'est un jeu qui apprend à raisonner par soi-même, obligeant à le faire à la fois dans une optique macro (par la vision d'ensemble) qu'au niveau micro dans l'affinage des directions et des commandes.
La conséquence de ce mécanisme est l'explosion du sentiment de gratification chez le joueur lors de la résolution. Parce qu'au bout du compte l'édifice créé ne tient qu'à l'apprentissage, le tâtonnement, l'expérimentation de son géniteur. Jamais le jeu ne peut-être tenu responsable, la satisfaction est naturelle. Ceci le met à rebours de l'immense majorité des jeux vidéo qui fonctionnent sur un système de récompense artificiel, que cela soit par l'obtention de l'épée delamortquitue gagnée après avoir battu le dragon cendré ou le débloquage de la cinématique finale venant couronner le fait d'être allé au bout de l'histoire. Il n' y a qu'à voir tous les jeux d'action-aventure qui te bombardent trois succès pour avoir terminé le didacticiel pour se rendre compte que l'on est souvent dans la flatterie, montrant les limites d'un game design incapable de faire émerger un sentiment. Même au sein du puzzle game le très en vogue Jonathan Blow s'y laisse aller dans The Witness par des simplifications.
Oui parce qu'il faut le dire SpaceChem est dur comme se doit de l'être un jeu qui base son moteur sur la réflexion, quitte à amener la frustration d'atteindre son seuil de compétence. De toute façon l'important n'est pas de le finir, il n'y a pas de princesse à sauver, pas la promesse d'une révélation finale incitant à continuer, juste le désir de se confronter à de nouveaux problèmes toujours plus complexes, de nouvelles mécaniques qui réapprennent à jouer permettant de retourner sur les premiers puzzles pour les optimiser. Ça y est le mot provoquant stupeur et fascination devant le vortex abyssal qu'il invoque est lâché, maintenant il va falloir expliquer ce qui rend zinzin tous les habitués des jeux Zachtronics.
A la fin de chaque puzzle, l'apprenti ingénieur se repaissant d'observer l'assemblage hypnotique, comme s'il regardait un ballet funeste dont il serait le marionettiste machiavélique, voit apparaître un fenêtre qui va le ramener à la condition misérable de son existence, à l'humilité et la fragilité d'un nouveau-né. Il s'agit des histogrammes représentant les solutions des autres joueurs. Cet évènement anodin en apparence est en fait le début du deuxième jeu: optimiser la solution jusqu'à trouver celle qui fonctionnera le plus rapidement ou qui utilisera le moins de commandes. C'est rare, en particulier pour du puzzle, de proposer une rejouabilité aussi importante (il y a pratiquement toujours le moyen d'améliorer), immédiate et qui plus est constitue un prolongement logique du jeu de base. En effet dès la première tentative il était déjà nécessaire d'améliorer les déplacements afin d'éviter les collisions, de coordonner les commandes pour éviter les erreurs... Jamais un objectif facultatif n'aura paru aussi naturel.


Naturel est au final le maître-mot qui résumera SpaceChem. Dans les schémas de pensée induits par ses mécaniques, dans l'instinctivité de ses commandes, dans sa capacité à faire revenir le joueur vers lui en maintenant l'intérêt. Tel le Roger Federer aérien des grandes années où chaque geste semblait facile laissant penser qu'en fait c'est simple il met la balle sur la ligne et le joueur adverse ne va pas la chercher, SpaceChem lui aussi domine avec élégance ses concurrents en utilisant les lignes et les ronds pour se placer parmi les meilleurs jeux auxquels vous ne jouerez jamais.

Djéba
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le 13 sept. 2018

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Djéba

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