En 1989, Nintendo lance sa première console portable, la Game Boy. Et pour l’accompagner, il fallait un jeu capable de la représenter dignement : ce fut Super Mario Land. Avec ses 4,19 millions d’exemplaires vendus, il se hisse parmi les plus grands succès de la machine. Sur le papier, c’était l’accord parfait : une console révolutionnaire et un Mario inédit.Pourtant, dès que j’ai appris que Shigeru Miyamoto n’était pas à la barre – le jeu ayant été confié à Gunpei Yokoi, le créateur de la console – j’ai compris, bien plus tard, pourquoi cette aventure avait un parfum si particulier. À l’époque, je ne savais pas encore mettre des mots dessus, mais quelque chose me paraissait différent… et pas seulement dans le bon sens.
Un univers totalement nouveau… et déstabilisant
Oubliez le Royaume Champignon. Ici, on part pour Sarasaland, un monde totalement inédit. Pas de Bowser, mais un méchant extraterrestre, Tatanga. Et surtout, la princesse à sauver n’est pas Peach mais Daisy – choix imposé, paraît-il, par la branche américaine. Ce changement m’avait un peu frustré. J’aimais retrouver les repères d’un Mario, et là… tout avait disparu ou presque. Les ennemis traditionnels ? Évaporés. Le Goomba se transforme en Chibibo, le Koopa en Nokobon, une tortue dont la carapace explose. Seule la plante piranha survit, redessinée et plus fine. C’était dépaysant, oui, mais pas forcément rassurant pour le petit joueur que j’étais.Sarasaland est divisé en quatre royaumes bien marqués : Birabuto et son désert égyptien, Muda et ses eaux mystérieuses façon Triangle des Bermudes, Easton et ses statues de pierre inspirées de l’île de Pâques, et enfin Chai, qui évoque la Chine avec ses forêts de bambous. Adulte, je trouve cette variété originale… mais enfant, ce n’était pas « mon » Mario.
Adapter Mario aux limites de la Game Boy
Le gameplay reste celui d’un Mario classique, mais la Game Boy imposait des ajustements. La fleur de feu, par exemple, disparaît au profit de la Super Balle, qui rebondit sur les murs et le plafond, et permet même de récupérer des pièces à distance. C’est original et ingénieux… mais je l’avais trouvé moins satisfaisante que la boule de feu traditionnelle.Visuellement, Mario et Super Ball Mario sont identiques à cause du monochrome, et lorsqu’on perd une vie, on revient toujours à Petit Mario. L’étoile d’invincibilité tombe lentement, traverse les blocs, et sa musique n’est pas le thème habituel mais le Galop infernal d’Offenbach. Sur le coup, cette différence musicale m’avait amusé… mais elle accentuait aussi la sensation de jouer à « un autre Mario ». Même le 1UP avait changé : plus de champignon, mais un cœur.
Des idées inédites et parfois déroutantes
Le jeu ose tout de même des nouveautés que je reconnais aujourd’hui comme de vraies prises de risque. Le niveau 2-4 transforme Mario en pilote dans un stage façon shoot’em up – totalement inattendu. Les continues se gagnent au score, et certaines zones offrent deux sorties, la plus difficile menant à un mini-jeu bonus. Terminer le jeu débloque un mode difficile, puis un mode libre pour choisir ses niveaux.
Une bande-son simple mais marquante
Hirokazu Tanaka, déjà impliqué dans la conception sonore de la Game Boy, signe une bande-son minimaliste mais accrocheuse. Les thèmes collent bien aux univers : entraînants dans les niveaux, plus sombres pour les grottes et les boss, et délicatement exotiques dans le royaume de Chai. Réussie, elle contribue pourtant elle aussi à cette impression d’être dans un Mario « parallèle », familier et étranger à la fois.
Un jeu court, calibré pour la portable
Avec ses douze zones, Super Mario Land se termine en une trentaine de minutes pour un joueur expérimenté. Adulte, je comprends que c’était cohérent avec l’esprit « parties rapides » de la Game Boy, sans sauvegarde. Mais autrefois, cette brièveté me laissait toujours sur ma faim.Visuellement, tout est réduit : Mario, les ennemis, les blocs… Passer de 16×16 à 12×12 pixels permettait de garder une bonne visibilité, mais donnait un aspect minuscule qui, combiné au changement d’univers, me déstabilisait franchement.
Un plaisir mitigé par quelques faiblesses
Le gameplay est solide mais pas parfait. Les sauts manquent de souplesse, rendant les atterrissages précis plus difficiles. La Super Balle, amusante sur le principe, se limite à un seul projectile à l’écran et n’est pas toujours pratique. Quant aux combats de boss, ils sont souvent expédiés en quelques secondes, un simple interrupteur suffisant à les vaincre (sauf pour le dernier et l’avant-dernier).
L’ombre de Super Mario Bros. 3
Je pensais à l’époque que Super Mario Land était sorti avant Mario 3. Découvrir bien plus tard qu’il lui était en réalité postérieur a mis en perspective mes impressions. Forcément, après l’ampleur et la maîtrise de Mario 3, cet épisode paraissait petit, simple, presque expérimental. Le problème est que, pour ma part, je ne voyais pas les contraintes techniques, je voyais juste un Mario « moins bien » et « différent ».
Un épisode unique, mais pas mon préféré
Avec du recul, je reconnais à Super Mario Land un charme certain et une audace rare. Son univers inédit, ses mécaniques nouvelles, son côté expérimental en font un morceau d’histoire fascinant. Mais l’enfant que j’étais n’a jamais vraiment réussi à l’adopter pleinement.Aujourd’hui, je l’apprécie pour ce qu’il est : un témoignage des premiers pas de Mario sur portable, un jeu qui a osé bousculer la formule… mais qui restera, pour moi, un épisode à part, sympathique mais pas celui que je ressortirais en premier.