L’avis qui va suivre est à prendre avec des pincettes, je conçois que je ne suis vraiment pas le public idéal pour ce Coffin of Andy and Leyley. Je suis systématiquement rebuté par les jeux RPG Maker, que j’ai souvent du mal à voir s’émanciper de leur statut de pastiche de Yume Nikki. Je suis fils unique (et un ami m’a certifié qu’il fallait avoir une soeur pour une expérience inceste fidèle), et pas particulièrement cannibale sur les bords.
La cible du jeu semble pourtant bel et bien existante avec une estimation de 900 000 copies vendues et même une vidéo Youtube française qui présente le jeu qui se dote de plus de 600 000 vues. Un tel succès populaire n’étant pas l’issue la plus prévisible en ce qui concerne un tel jeu assez minimaliste (proche du roman visuel avec de légers éléments de puzzle pour citer le(s) développeur(s)), disponible uniquement en anglais et dont les sujets principaux sont des joyeusetés telles que l’inceste, l’éthique du cannibalisme, les différentes étapes du meurtre et j’en passe tant pour éviter les spoilers que pour enclencher les triggers des consommateurs les plus sensibles (on voit que la société est absolument perdue dans un verrouillage capitaliste quand l’espèce humaine en tant que groupe est maintenant désignable comme des “consommateurs”).
Et c’est pour ça que je respecte autant le jeu vidéo en tant que média, je le notifie et le formule ici : c’est probablement l’une des industries créatives les plus “ouvertes” pour les créateurs débutants. On peut remercier un panel de joueurs assez large, comprenant autant les vieux de la vieille qui sont tombés dedans en salle d’arcade dans les années 80 que les jeunes de 13 ans perdus sur Internet qui ont besoin de leur session quotidienne de Fortnite avec évidemment le fil Tiktok qui défile en parallèle sur le côté de la bataille royale. Les canaux de diffusion pour les projets vidéoludiques sont très peu restrictifs et un engagement financier de 100 euros suffit à publier son œuvre sur la plus grosse plateforme existante, Steam. Une plateforme qui malgré des critiques évidentes mérite quand même d’être saluée pour ses algorithmes de mise en avant assez généreux qui ne rechignent pas à placer les plus gros acteurs de l’industrie au même niveau que les microscopiques projets semblables à ce Coffin of Andy and Leyley, souvent développés par un seul passionné en utilisant un moteur de fortune. Tout ce contexte favorise un terreau de curiosité avec comme support évident Internet et sa culture, capable de faire émerger et de populariser l'inattendu comme un requin italien qui porte une paire de Nike ou un humoriste espagnol impliqué dans une obscure histoire de paella et de marée montante. Un subtil mélange de transgression choquante et d’une agréable direction artistique rappelant vaguement l’oeuvre de Tim Burton de par son alliance du sombre avec l’enfantin et le coloré, et surtout des musiques hyper efficaces que Elfman n’aurait pas reniées, aura suffit pour faire percer ce projet encore en développement intitulé “The Coffin of Andy and Leyley”.
Un projet qui ne manquera pas de relancer la question de la transgression dans le jeu vidéo et même dans l’art en général. J’ai découvert en faisant des recherches par curiosité sur le projet que le développeur original Nemlei a récemment préféré effacer toute sa présence sur internet, c’est à dire supprimer tous ses anciens jeux et réseaux et refiler la fin du développement de Andy and Leyley à un autre studio suite à un doxxing, c’est à dire une divulgation de toutes ses données personnelles en public par un joueur atteint par le contenu du jeu. Il aura probablement été dérangé par le contenu pourtant bon enfant qui a la teneur de la réplique d’un frère qui dit à sa sœur “Je vais t’engrosser, comme ça tu feras des enfants que l’on pourra manger pour survivre”. Un contenu de très bon goût (probablement comme la viande de nouveau-né), c’est désolant que des gens se retrouvent à prendre du temps de leur vie pour nuire ainsi à des artistes innocents dans leurs actes réels (car je resterais toujours partisan du : l’art ne rend pas violent) plutôt que de mettre leur haine dans des combats comme celui de la politique qui nous rapproche chaque jour de l’extinction, ou tout simplement des criminels réels (oui c’est comme si je citais une seconde fois nos politiques comme des violeurs sont institués au gouvernement et touchent tranquillement vos cotisations tous les mois).
Je disserte autour du pot pour éviter d’avoir à arriver sur le fait que je n’ai pas aimé ce Coffin of Andy and Leyley, alors que je suis pourtant toujours en recherche de nouvelles expériences radicales comme me marquer au fer rouge. Je pense que je dois directement adresser l’éléphant au milieu de la pièce qui est que malheureusement l’écriture du jeu, qui est son élément central vu la faible présence d’éléments de gameplay dans son design général, est à mon sens plutôt faible et pourrait vraiment être qualifiée d’immature. On est systématiquement obligé de le rappeler mais faire une œuvre mature ne veut pas dire faire une œuvre qui adresse des sujets violents, polémiques, difficiles et choquants comme c’est le cas ici. Mais c’est bien le faire d’une manière intelligente, réaliste, subtile et qui transmet des réflexions adultes sur le réel. Aller dans la violence extrême est justement un risque et une difficulté supplémentaire comme les événements les plus extrêmes sont ceux à appréhender avec le plus de subtilité. Et vous aurez compris en lisant la réplique ci-dessus qu’on ne peut pas dire que Andy and Leyley soit un monstre de subtilité. Si tout le monde considère Silent Hill 2 comme un chef d’oeuvre, ce n’est pas parce qu’ils ont été particulièrement choqué par le contenu du jeu qui regroupe des thèmes comme l’inceste aussi d’ailleurs ou la maladie terminale mais bien parcequ’il les traite de la plus trouble et de la plus métaphorique des manières. Le personnage victime d’agressions sexuelles dans Silent Hill par exemple ne sort jamais de grosses répliques comme “Haha c’est là où mon père m’a bien touché”, une faute de goût dont Andy and Leyley aurait pû faire preuve sans vergogne mais évoque bien une souffrance et une régression bien plus subtile et donc insupportable à voir de la part de ce personnage… C’est extrêmement touchant, là où le personnage de Ashley est déjà un peu un fantasme ambulant, on ne va pas se mentir, il suffit de voir combien de joueurs cornus la vénère sur le net. Personne ne fantasme sur Maria de Silent Hill 2 qui est pourtant censé représenter LITTÉRALEMENT un fantasme ! Mais qui est encore une fois subtilement troublante comme l’est un réel fantasme, par exemple celui d’être mangé par une Miku géante que semble réussir à partager quelques dégénérés d’internet. C’est dommage de présenter l’inceste sous l’angle de la grosse blague avec un personnage qui parle régulièrement et frontalement de se faire troncher plutôt que d’essayer de véritablement créer une dynamique troublante dans la fratrie. Là où la décision mature aurait justement été de traiter de façon complexe et troublante de ce phénomène. Évidemment sur une expérience de 8 heures le jeu a ses moments convaincants, mais au global c’est le niveau 0 de la subtilité et je ne sais même pas pourquoi j’attendais quoi que ce soit niveau écriture d’un jeu dont les options sur le menu de sauvegarde sont “Sauvegarder” et “Non. Fuck you.”. (Je clos ce paragraphe en disant que les parallèles avec Silent Hill ne me paraissent pas si déconnant tant le projet reprend la colorimétrie du deuxième opus et ses environnements récurrents d’appartements claustrophobiques).
Car oui il y en aurait des choses ratées à souligner sur l’écriture du jeu, et je vais encore le faire pendant quelques minutes comme je n’ai rien de mieux à faire avant d’aller manger. Notamment, et c’est une critique récurrente à faire aux jeux épisodiques qui sortent en plusieurs parties comme c’est le cas ici (et la dernière n’est même pas encore sortie !) mais les différences de rythme entre les 3 chapitres sont vraiment troublantes. Là où le premier propose une sorte de huis-clos, le second est un peu plus épars autour d’une scène marquante de long nettoyage de crime (mais qui connaît un précédent avec le jeu Viscera Cleanup, car comme le dit le théorème tout a déjà été inventé), et le troisième se vautre complètement dans une avalanche de flashback et de séquences d’hallucination franchement rébarbatives et lourdes à la longue. Particulièrement au regard des précédents chapitres qui se concentraient sur la réalité et surtout du premier qui proposait un cadre de huis-clos agréable et réfléchi. Le scénario ne fourmille donc pas de réflexions intéressantes, je ne peux pas m’empêcher de me dire que ça fait “délire dark” de gamin. Notre monde réel est déjà tellement décadent, il n’y a aucune utilité de forcer le trait et de s’enfoncer dans le sur-choquant à ce point. D’autant que ce n’est pas particulière drôle non plus, bien que comme toujours l’humour est une notion très relative, je trouve que le jeu a des difficultés à balancer entre le drame et le malaise car les personnages sont majoritairement écrits comme des déchets misérables et volontairement énervants puis bascule sur de la grosse blagounette beauf et pas fine sans trop prévenir. Un autre symptôme de l’échec d’écriture étant les phrases directement écrites par l’auteur, en blanc, qui souligne parfois des éléments ou apportent des précisions sur certaines scènes du jeu. Ce qui est carrément vulgaire niveau écriture je trouve, enfin on a jamais vu Stephen King écrire dans Shining “Ouah, le père est vraiment trop alcoolique c’est chaud” en plein milieu d’un paragraphe quoi.
Des passages censés être marquants comme celui de la gamine tuée dans la caisse me sortent particulièrement du truc, je ne sais pas pourquoi je trouve ça incroyablement kitsch et pas suffisamment bien écrit. On dirait les histoires qu’on se racontait autour du feu pour se traumatiser EN ÉCOLE PRIMAIRE, et foutre dieu que c’était il y a longtemps. Après j’ai peut-être écouté des confessions de camarades criminels à ce moment-là, j’en sais rien.
J’appelle ça le "syndrome Omori”, bien qu’au moins derrière Omori il y avait un vrai design d’éléments de gameplay et une sympathique volonté d’encrypter l’intrigue dans une routine métaphorique entre réalité et illusion un peu plus riche que des séquences où tu te balade dans des labyrinthes à résoudre en posant des pétales de fleur par terre (connexion avec l’histoire ? Zéro). Comme je l’ai mis plus haut le troisième chapitre se vautre désagréablement dans ces séquences alambiquées pour rien et qui donne même la sensation d’être carrément aléatoires. On doit par exemple faire tourner des yeux jusqu’à ce qu’arbitrairement, une lumière s’allume pour nous dire que c’est la bonne rotation. C’est pas une énigme de jeu vidéo ça ??? Ces phases auraient mérité carrément plus de travail car l’une des dernières m’a vraiment bien eu autour d’une bouche ouverte avec une langue pour rester vague, j’avais l’impression d’être tout d’un coup tant un autre jeu tellement c’était enfin un truc un peu discret et vraiment perturbant !
Je ne disserterais pas plus longtemps aujourd’hui, peut-être un jour si je me chauffe sur Youtube pour faire un sujet sur la transgression dans le jeu vidéo. Car Andy and Leyley est définitivement un jeu atypique, fidèle à la vision de son développeur. Et comme je l’avais dit sur Omori, on est ici confronté peut-être plus à un “artiste” qu’à un excellent développeur de jeu vidéo tant la partie graphique et musicale est infiniment plus solide que son écriture extrêmement immature et peu subtile. Un écriture qui prend parfois des airs assez prétentieux, et qui ose lâcher un “That’s what having siblings is like”. Non, je ne pense pas qu’avoir un frère ou une sœur c’est être obsédé par lui, faire des promesses en l’embrassant sur la bouche à 20 ans passés et faire un potage avec le voisinage… Et quand je dit faire un potage avec le voisinage je ne veux pas dire en mode fête des voisins hein, je veux dire qu’ils sont en train de bouillir dans la marmite, découpés en petits morceaux.
Mon rêve pour conclure le jeu ce serait que le dernier chapitre vienne remettre les points sur les I : que les discours nihilistes du projet soient remis en cause lors d’un huis-clos de procès au tribunal pour Andrew et Ashley, où ils sont questionnés et remis en cause vis-à-vis de leurs crimes et de leurs péchés. Ca offrirait le terrain idéal pour disserter sur la réception de tels sujets choquants par le grand public (discours meta tmtc), profondément discuter de leurs personnalités et de leurs décisions et donnerait même l’occasion de foutre quelques micro-énigmes dans des séquences de garde à vue. Peut-être que je sortirai un jour un cinquième chapitre en fangame ? Car l’aventure se concluera évidemment sur plus de tribulations sataniques, avec son lot de labyrinthe de pétales de fleurs… et c’est dommage que Andy et Leyley ne soient jamais vraiment sortis du cercueil dans lequel ils étaient enfermés. Le niveau d’écriture du projet ne paraît pas plus subtil que ses personnages, et c’est dommage vu la consanguinité de ces derniers.