Certains jeux laissent une trace par leur narration. D’autres marquent par leur ambiance, leur audace, ou simplement l’inconfort qu’ils provoquent. The Coffin of Andy and Leyley parvient à combiner tout cela, sans chercher à plaire ni à rassurer. Derrière ses graphismes rudimentaires et son moteur RPG Maker minimaliste, il propose une expérience radicale, presque claustrophobe, où chaque choix semble sciemment conçu pour étouffer plutôt que libérer. C’est un jeu qui ne fait pas que raconter : il manipule l’espace, le rythme et l’interaction pour forcer le joueur à ressentir, au point de le piéger.
Ce qui frappe en premier, c’est le rapport au gameplay. On est très vite confronté à des mécaniques qui brisent les conventions classiques de confort : fausses options de dialogue, absence de réel libre arbitre, séquences interactives désagréables, parfois inutiles en apparence mais émotionnellement écrasantes. Ces choix de conception contribuent à une sensation d’enfermement lent, presque insidieux. Le jeu pousse le joueur à une complicité dérangeante sans jamais lui donner la sensation de maîtriser quoi que ce soit. Tout est verrouillé d’avance, mais présenté comme si cela ne l’était pas. Ce n’est pas frustrant par maladresse : c’est étouffant par intention.
Cette structure narrative verrouillée, en forme d’entonnoir, est sans doute l’un des éléments les plus brillants de l’œuvre. On croit choisir, mais tout ramène à la même fatalité. Le jeu s’inscrit ainsi dans une logique d’aliénation bien plus proche d’un théâtre de l’absurde que d’un récit à embranchements. On comprend très vite que l’objectif n’est pas d’explorer différentes fins, mais de ressentir le lent écrasement du destin. Cela fonctionne admirablement, mais cela réduit considérablement la rejouabilité. Une fois l’expérience traversée, on n’a pas réellement envie d’y revenir. Non pas parce qu’elle était mauvaise, mais parce qu’elle était complète, close, presque définitive dans son impact.
Visuellement, le jeu reste modeste, mais cela n’entrave jamais l’expérience. Au contraire, il parvient à transformer ses limitations techniques en langage esthétique à part entière. Les décors fixes, les lumières crues, l’absence de détails superflus, tout concourt à renforcer cette atmosphère de confinement. Chaque scène est construite comme un tableau figé, presque théâtral, et certains moments de silence ou de rupture brutale sont bien plus puissants que ne le seraient des effets spectaculaires. Il est évident que l’équipe derrière ce projet maîtrise parfaitement la manière dont l’austérité peut devenir un outil expressif.
Mais cette rigueur a aussi ses revers. Quelques lenteurs dans les déplacements, un système de sauvegarde parfois rigide, et une interface qui aurait mérité plus de finesse ternissent légèrement l’ensemble. Rien de grave, mais suffisamment présent pour rappeler les limites du médium utilisé.
Là où le jeu frappe le plus fort, c’est dans la sensation qu’il impose : on n’est pas simplement en train de suivre une histoire dérangeante ; on est enfermé dedans. C’est une expérience sensorielle et mentale avant tout, une immersion dans un huis clos morbide où rien ne soulage, où l’on ne respire jamais vraiment. Et pourtant, on reste, on avance, fasciné malgré soi. Ce n’est pas un jeu qui ouvre des discussions, ni un jeu qui invite à l’analyse immédiate. C’est un jeu qui isole, qui expose, et qui laisse le joueur seul face à ce qu’il a vu, ou cautionné.
En définitive, The Coffin of Andy and Leyley mérite amplement un 9/10. Non pas pour une quelconque perfection technique, mais pour sa maîtrise de l’inconfort, son audace dans l’usage de l’interactivité comme outil de tension, et sa capacité à faire ressentir des choses peu communes dans le jeu vidéo. Ce qui lui manque peut-être, c’est une possibilité de relecture, une respiration, ou simplement une forme de distance. Mais son choix de tout refuser, jusqu’au répit, est aussi ce qui le rend unique. Un jeu inoubliable, mais pas forcément revisitable, et c’est là toute sa force.
(La seule raison de pourquoi le jeu n'a pas de 10/10, c'est parce que la perfection n'existe pas.)