The First Berserker: Khazan
7.3
The First Berserker: Khazan

Jeu de Neople et Nexon (2025PlayStation 5)

La danse sauvage du parry sacrifié à l’excellence

Quand un jeu surgit sans tambours ni trompettes et renverse discrètement les codes d’un genre éculé, on applaudit la stratégie du souffle discret : Khazan n’est pas un raz-de-marée, mais un coup d’épée précis. Neople et Nexon nous offrent un premier soulslike délicatement balancé entre la révérence au modèle Sekiro et l’audace d’un action-RPG affûté. C’est un apprentissage exigeant du metagame, une syntonie viscérale, une promesse de trouvaille.


La direction artistique tente un chemin fragile entre le manga Berserk et une palette plus tempérée : le cel‑shading anime donne à Khazan une silhouette acérée, presque théâtrale, pourtant les décors, gris, bruns et tamisés, semblent souvent avoir reçu un filtre éteint. Brigades de boss éclatants dans des mises en scène dramatiques cohabitent avec des zones d’exploration toujours trop uniformes : on sent qu'on a voulu ménager le contraste, mais la sobriété générale finit par ternir la mémoire visuelle.


C’est pourtant lorsque la danse commence que l’âme du jeu se révèle. Le système de Brink Guard – ce parry chirurgical qui épuise simultanément l’endurance ennemie – est sans doute la meilleure mise en œuvre depuis Sekiro. Chaque parade parfaite, chaque contre-attaque masquée devient un moment d’ascèse et de grâce. Les combats de boss imposent une exigence royale : leurs jauges de santé monumentales, l’endurance ultra-punitive, les effets de statut et les ganks orchestrés par des ennemis à distance obligent à une maîtrise totale du rythme et du timing. Et pourtant, cette rigueur n’est jamais vaine, car la progression y trouve son sens : chaque trépas rapproche davantage de la victoire, avec un système de gain de points (les Vengeance Points) qui renforce la montée en puissance du héros même à l’échec.


Le jeu organise sa tension selon trois axes : des affrontements individuels affûtés, un hub de progression riche où s’inscrit le forgeron, la sorcière, les alliés, un recrutement central comme en écho au héros solitaire des dunes, et des missions linéaires – hélas trop nombreuses – qui servent de préliminaires aux joutes décisives. Ce découpage, très proche de la structure de Nioh, a le mérite de la clarté, mais il trahit aussi un manque d’ambition dans le level design : encombré de couloirs répétitifs et de recyclage de zone, il peine à devenir un monde cohérent. Et après une vingtaine d’heures, la redondance se fait sentir.


La variété des armes – épées doubles rapides, gigantesque claymore format Guts, longue lance précise – chacune assortie d’un arbre de compétences propre et reconfigurable à loisir, ouvre un champ de personnalisation digne d’un jeu de rôle ambitieux. On peut ainsi expérimenter des builds radicaux, changer de style à chaque boss, adapter sa stratégie selon la courbe de difficulté. La dimension stratégique est renforcée par l’existence d’un compagnon invoquable avant chaque boss, à condition de le renforcer via collecte et missions secondaires. Une mécanique qui brille par sa richesse… mais déçoit par son exécution parfois molle selon l’IA de l’allié.


La progression, quant à elle, repose sur une logique organique : récupérer des Lacrima à chaque défaite contre un boss, sans avoir à retourner farme des heures sur un même écrin de masse ennemie monotone. Ce système intelligent encourage l’essai, l’échec, l’apprentissage et la persévérance. Il porte l’expérience d’un gameplay que l’on pourrait qualifier de masochiste… mais jamais déprimant.


Toutefois, peut-on clamer Khazan exempt d’ombre ? Certainement pas. L’histoire, riche en promesses de vengeance mystico-fantastique, demeure d’une banalité affligeante : introduction claquée en cutscenes figées, personnages stéréotypés, dialogues téléphonés. Khazan, ancien général trahi, devient un héros libérateur sans transition crédible ; le spectre avec qui il pactise reste un prétexte plus qu’un allié narratif crédible. Le récit laisse rarement une trace durable, ne retenue que par son décor sombre et sa rage mécanique.


La gestion des inventaires est un autre talon d’Achille : festival de monnaies (Lacrima, Vengeance Orbs, Transmutation Orbs, etc.), menus obscurs, microgestion redondante, crafting parfois vain puisque l’on trouve souvent un meilleur équipement immédiatement après. À l’heure où les jeux soignent tout en finesse, cet aspect paraît daté, laborieux, et altère quelque peu le plaisir d’évolution.


Pourtant, malgré ces réticences, Khazan conserve la noblesse de ses intentions. Son système de combat, brutal, précis, intransigeant, est un chef‑d’œuvre tactile. Ses boss, nombreux, parfois injustes, sont aussi des maîtres de patience et d’apprentissage : quelques-uns deviennent légendaires dans l’univers du genre. Ses mécanismes de progression, bien que complexes, offrent des récompenses réelles et un sentiment de montée en puissance cohérent. Le titre ne réinvente rien, mais il affine ce qui fonde l’ADN des soulslikes avec un niveau de maîtrise rarement vu en première tentative.


On referme donc Khazan avec le sentiment d’avoir accompli un pèlerinage personnel vers un sommet escarpé. Certains trouveront la route trop rude, l’environnement trop terne, la narration trop faible. Mais le cœur bataillant du jeu, sa structure mécanique acérée, sa vision impitoyable du challenge, révèlent un projet fort, réfléchi, et remarquablement abouti malgré son visage rompu d’épure. Dans un paysage vidéoludique où la facilité tend à diluer les enjeux, Khazan rappelle que le défi, s’il est juste et respectueux, peut être une caresse douloureuse — mais gratifiante.

Kelemvor

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