C’est terrible mais c’est un fait : partir à la recherche de cet « Ethan Carter » après s’être intéressé à ce qu’il restait d’ « Edith Finch » n’est vraiment pas une bonne idée.
C’est ce que j’ai fait.
Je m’en mords presque les doigts.


Parce qu’au rang des jeux qui ont compté dans l’affirmation de ce genre qu’on appelle (à tort ou à raison) les « walking simulators », cet « Ethan Carter » fait clairement parti des pionniers. Et si j’avais eu l’intelligence de commencer par celui-là, peut-être que j’aurais su davantage apprécier son audace, sa patte, son style.


Parce que oui, il y a une audace à faire un jeu comme celui-là en 2014.
« Ce jeu est une expérience narrative qui ne vous prendra pas par la main. »
C’est ainsi qu’on est introduit dans l’intrigue : par ce message. Et l’avoir précisé était, il me semble, absolument essentiel. Car en effet, on est tout de suite plongé dans le cœur de l’intrigue. Une voix ferrée. Une voix-off qui annonce la disparition ; l’enquête…
C’est assez confus. On avance sans savoir pourquoi on avance.
On fouille sans savoir ce qu’on cherche.
Le personnage qu’on incarne sait mais nous, joueurs, nous ne savons pas.
C’est typiquement le genre de dissonance ludo-narrative que je n’aime pas. Mais bon…
« Ce jeu est une expérience narrative qui ne vous prendra pas par la main » nous a-t-on précisé.
Du coup on prend sur soi. On ronge son frein et on continue…
On accepte de naviguer dans l’inconnu…


Alors après – c’est vrai – le jeu est quand-même suffisamment bien pensé pour qu’on ne tarde pas à trouver quelques ficelles, évitant ainsi l'installation de l'ennui. L’aire de jeu est assez restreinte et bien découpée, ce qui permet de ne pas passer à côté de l’essentiel. L’atmosphère est particulièrement bien travaillée, aussi bien visuellement que musicalement, ce qui nous invite presque naturellement à la balade. Et à force de tout bidouiller, on finit par comprendre les outils qui sont à notre disposition pour résoudre ce qui semble être une gigantesque affaire policière de disparition et de meurtres.
Et dès qu’on comprend vraiment de quoi il est vraiment question, ça commence à devenir excitant.
Là-dessus, bon point donc…


Seulement, plusieurs problèmes se révèlent régulièrement.
Problème de construction tout d’abord.
L’enquête est édifiée de telle manière à ce qu’on puisse la prendre par n’importe quel bout. Manque de pot, moi, les deux premiers trucs sur lesquels je suis tombé, c’est…


…le cadavre sur la voie de chemin de fer et l’espèce de feu tricolore tout blanc.


Bah oui… J’ai commencé mon enquête par l’indice le plus évident – celui que le jeu met tout de suite sur notre chemin – mais comme je n’avais pas encore saisi la finalité ni les mécaniques du jeu, je n’ai pas compris que lorsqu’un mot tourbillonnait autour de nous…


…cela nous permettait de repérer un indice pour faire avancer l’enquête.


Du coup, moi, parce que je n’avais pas compris ce que le jeu m’incitait à faire pour comprendre le fonctionnement de ses énigmes, j’ai filé tout droit et, en me baladant un peu, je suis tombé sur un indice déclenchant une autre enquête…
…Mais à ce moment là de ma partie, moi, je ne savais pas que le jeu était découpé en plusieurs enquêtes ! Donc j’ai tiré la piste jusqu’au bout et je pense que je suis clairement tombé sur un élément de la narration qui était davantage pensé comme un complément final plutôt que comme un élément initial pour explorer la partie.
Conséquence sur mon expérience au bout d’une grosse heure de jeu :


Je ne savais toujours pas comment collecter les indices pour une enquête mais par contre j’étais persuadé que, dans ce jeu, il allait être question d’une intrigue faite de dimensions parallèles. Autant dire que j’étais totalement à côté de la plaque !


Ah ça c’est sûr, je n’ai pas été tenu par la main… du TOUT.


Et ce problème de construction, en fait il va être permanent.
Car – c’est vrai – au bout d’un moment j’ai fini par comprendre ce que ce jeu voulait faire.
Seulement, à peine j’ai compris l’idée que soudainement plus rien ne m’a surpris.
Au fond les meurtres ont tous la même mécanique et une fois qu’on en a fait deux, on les a tous faits. Personnellement je les ai résolus de manière assez robotique sans qu’il n’y ait de véritable challenge.
Reste après d’autres énigmes davantage périphériques. On tombe un peu dessus par hasard, en fouillant. C’est d’ailleurs parfois plus long à trouver qu’à résoudre. Parce qu’en fin de compte ces énigmes périphériques finissent souvent par se révéler assez basiques au fond, sans réel intérêt.
Alors quand ça peut se faire rapidement, ce n’est pas encore un trop gros souci, mais quand ça se rallonge dans le temps bêtement, avec de banales problématiques de trucs à collecter dans un labyrinthe pac-man où il ne faut pas tomber sur le vilain fantôme… Là, moi je dis juste « Pfffff » quoi…


Après, sur un jeu aussi court (moi j’ai mis une demi-douzaine d’heures), ça peut encore passer si on se laisse happer par l’histoire. Seulement c’est la deuxième grosse faiblesse du jeu : je trouve que l’histoire n’est quand-même pas bien folichonne.
Pendant un long moment on nage dans un espèce de trip mystique à base de malédictions et de pouvoir plus ou moins magiques. C’est caricatural et mal écrit. Et même si l’évolution de l’intrigue peut encore justifier cela sur le final, bah le fait est que – par définition – tant qu’on n’est pas arrivé au final, eh bah on doit se contenter du premier degré de lecture.


Et tout ça m’amène au troisième et dernier gros problème de ce jeu : la narration.
Car non seulement l’histoire n’est pas intéressante en soi, mais en plus je trouve qu’elle n’est vraiment pas très bien racontée. J’évoquais déjà le problème que posait le fait qu’on puisse la prendre par n’importe quel bout, mais en plus de cela, il y a des éléments qui se révèlent au fond bien trop alambiqués pour que l’édifice tienne.


Moi, par exemple, j’ai un énorme problème avec le final.


A la fin on découvre qu’en fait on incarne un personnage qui est le produit de l’imagination d’Ethan Carter. Toute sa famille est morte dans un incendie. Lui s’est endormi dans une pièce voisine, à cause du monoxyde de carbone, et notre personnage n’est qu’un héros de l’imaginaire de Ethan qui est en train de réécrire l’histoire de la disparition de sa famille. Et on reste avec cette métaphore du dormeur qui ne doit pas se réveiller. Car se réveiller ce serait se confronter à la réalité et constater alors qu’il n’y a pas de magie dans ce monde désolé. Que tout est simplement dur, froid, rouillé. Un monde a l’abandon que l’âme d’enfant d’Ethan ne pourra peut-être plus jamais réenchanter.


Alors OK, ça cherche à dire quelque chose et ça dessine une mélancolie qui n’est vraiment pas inintéressante.
Mais tout ça n’arrive qu’à la fin et en plus ça n’explique pas vraiment tout.


Mais alors, du coup, Prospero voit le vrai monde où un monde fantasmé ? Parce que des fois je trouve un vaisseau spatial et en fait – non – ce c’est qu’un cabanon avec des magazines. Par contre, pour ce qui est de la jambe découpée sur la voie, elle reste toujours là, quoi qu’il arrive ! Alors c’est quoi ça ? Le réel ? L’imaginaire ?
Et c’est quoi ce pouvoir au juste ?
C’est le personnage de Prospero qui est censé avoir des dons surnaturels ou bien c’est juste une mécanique de gameplay que l’histoire n’est pas parvenue à justifier ?


En bref, c’est juste le bazar ce jeu…


Alors OK.
C’est court. C’est innovant. Il y a une bonne atmosphère et ça ne nous prend pas par la main…
Soit…
Mais – désolé – moi j’ai trouvé ça globalement bancal et frustrant.
Si j’y avais joué en 2014, peut-être que je me serais dit « Ah c’est plutôt bancal mais c’est quand même malin… »
Sauf que le problème c’est que j’y ai joué en 2019 et que je me suis dit : « Ah c’est plutôt bancal et c’est vraiment dommage qu’ils n’aient pas pensé à régler ça comme ils l’ont fait dans "Edith Finch"… »


Et c’est là qu’on y revient.
Au fond, « A Vanishing of Ethan Carter » n’a rien d’original pour moi par ce que j'ai eu le malheur d'y joué après « What Remains of Edith Finch » pourtant sorti trois ans plus tard.
Et j'aurais beau me raconter ce que je veux, mais moi mes sensations m'ont toujours ramené à cette même idée : cet « Ethan Carter » c'est vraiment du « Edith Finch » mais en moins bien.


« Une expérience narrative qui ne nous tient pas par la main » nous disait-on ?
Bah ouais, comme « Edith Finch » quoi...
...Sauf que dans « Edith Finch » l’intrigue nous met dans la peau d’un personnage qui est comme nous : c'est-à-dire qu’il n’y connait rien. Il découvre. Et donc pas de dissonance ludo-narrative à subir.
...Sauf que dans « Edith Finch » on a mieux balisé le chemin du joueur pour éviter qu’il se perde trop. Pas de perte de temps inutile du coup. Pas de rupture de rythme non plus.
...Sauf que dans « Edith Finch » l’espace de balade est plus ramassé, ce qui rend les phases de recherche moins longues et moins fastidieuses.
...Sauf que dans « Edith Finch » les épreuves sont plus diversifiées et la narration y est mieux intégrée.
...Sauf que dans « Edith Finch » l’ambigüité fantastique de l’intrigue est mieux gérée. Avec un final qui sait lui aussi faire rejaillir de la mélancolie, mais sans nous torturer l’esprit sur des dizaines d’inconnues…


En bref, c’est con, mais c'est tout ça qui, mis bout à bout, explique que j’ai finalement bien peu d’appétence pour ce « Vanishing of Ethan Carter »…
…Mais c’est aussi ce qui explique que j’ai malgré tout pour lui beaucoup de respect, d’attachement et d’affection.
Parce que sans ce jeu, il n’y aurait pas eu de « What Remains of Edith Finch ».
C’est juste ÉVIDENT.


La narration au travers d’objets qu’on découvre en marchant.
La place centrale laissée à l’interprétation et aux déductions personnelles.
L’intrigue à double lecture, mi-fantastique, mi-mélancolique.
Tout « Edith Finch » s’est construit en grande partie sur le modèle d’« Evan Carter » (l’autre partie s’appuyant sur le modèle d’un autre prédécesseur : « Gone Home ».)
On sent que les gars de chez « Giant Sparrow » se sont dits : « Eh ! Mais ce que vient de défricher cet "Ethan Carter", c’est juste énorme ! Y’a juste plein de trucs qui clochent qu’il faut qu’on pourrait régler en faisant un autre titre qui s'en inspire ! »
Et rien que pour ça, je respecte ce jeu.


Donc non, je ne suis pas fan de « The Vanishing of Ethan Carter ».
Mais par contre, oui, je concède à ce titre le fait qu'il ait su poser sa pierre dans l’histoire du jeu.
Et rien que pour ça, je considère qu'il mérite pleinement la reconnaissance qui lui est due.

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le 22 déc. 2019

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