Cover Carnet de Curiosités : Lectures 2025
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118 livres

créée il y a 9 mois · modifiée il y a 3 jours
Les féministes t'encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir
7.2

Les féministes t'encouragent à quitter ton mari, tuer tes enfants, pratiquer la sorcellerie, détruire le capitalisme et devenir (2025)

Sortie : 10 janvier 2025. Essai, LGBTQ+, Poésie

livre de Alex Tamécylia

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

::Le titre est la citation non d'un autre livre mais d'une ragerie d'un télé-évangéliste.::
Pas sûr d'avoir la matière à une liste.

Acerbe, acide, violent et rapide sous ce très beau rose et les fines déliures de typographie. Certes chouette typographie inclusive (
https://typo-inclusive.net/) mais aussi jeux d'exposants et de majuscule déjà vu dans la poésie contemporaine, surtout fatiguants pour les yeux.
J'allais dire que je ne suis pas le public visé, qu’importe pour l’auteurice, ça c’est sûr. Est-ce ma place de commenter ? Je ne crois pas. Violent, acide, acerbe, drôle souvent mais Si Alex mord à tout va, il manque quelque chose à mettre sous la dent. Côté stylistique, poésie, pas trop ma came, je reste malheureusement très normé, normatif de ce côté là.
Je crois que comme pour Maîtres Anciens je ne me sens pas outré : n’ai pas trouvé ça si trash et, passé le choc anaphylactique, ai besoin d'arguments, d'exemples, de chiffres plus encore pour pouvoir réfléchir. Pas la démarche certes.

« Tu déconstruiras pas deux mille ans de patriarcat en trois Despentes et six margaritas.

« Ne pas prendre parti c'est défendre le crime. Dans le conflit pas de neutre possible. Le silence mène au pire. Feindre l'ignorance se taire c'est agir c'est décider de ne rien faire. »

Différentes Saisons
7.8

Différentes Saisons (1982)

Different Seasons

Sortie : 5 juin 1986 (France). Recueil de nouvelles

livre de Stephen King / Richard Bachman

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Surprise !? Longtemps que je lorgnais dessus avec ses 3 adaptations sur 4. Enfin un recueil de King qui pourrait vraiment me plaire ? N'est-il pas paradoxal de trouver chez ce "maître de l'horreur" quelque chose de confortable, de rassurant, de... connu déjà ? Comfy dirait-on aujourd'hui. Les mêmes loupiotes du ciboulot qui s'allument doivent être les mêmes que revoir de vieilles séries connues par cœurs — pour équilibrer son cortisol. Comme un doudou, couette lestée, d'un auteur que je lis très très peu et que je connais si bien. Stranger Things a dû, en 2016, réveillé ces neurones chez tout le monde. Si peu de fantastique. De la même façon, je serais intéressé par Cœurs perdus en Atlantide non pour les liens avec la Tour Sombre mais par son aspect sociétal et politique.

• Shawshank : je n'ai pas tant lu ce texte que réimaginé, refabriqué et revu le film dans ma tête tant Darabont est resté fidèle. Qu'importent les différences de descriptions. Pourtant je n'ai pas dû le revoir depuis 15 ans. Les quelques ajouts sont pertinents et cohérents. Un texte dès lors... désamorcé ?

• Un élève doué : Pus longue que ce à quoi je m'attendais mais n'est-ce pas King tel que je l'affectionne ? longuet, quotidien, scrutant les détails de vies minuscules étasuniennes quitte à patiner, devenir pâteux. Peu de souvenirs du film : déjà Magneto dans son charisme trouble et délictueux ? le bruit des bottes et un salut bien droit. "encore d'actualité" écrirait un. Un peu long, la partie curiosité historique s'escamote bien trop rapidement au profit de meurtres estivaux quelconques.

• Le Corps : Le fameux chef-d'œuvre ? Pour ceux qui n'aiment pas King ? Idem, quelques souvenirs brumeux, vaporeux du film, les acteurs, des arbres, une rivière. "le style pris à Hemingway, le thème à Faulkner." Tout King est là, non ?

• La Méthode respiratoire : Jure du reste, tâche un peu, en gâte la fin : pas adaptée, fantastique. Je l'appréhendais, le pitch ne me parlant pas. En effet, c'était peu intéressant, beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Elle vaut surtout pour le récit-cadre très XIXe siècle d'un club de gentlemen se racontant des histoires qui mériterait un recueil à part entière. Déjà pourtant il en dit trop sur les horreurs qui s'y cachent.

Poésies
7.6

Poésies (1929)

Sortie : 1929 (France). Poésie

livre de Paul Valéry

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Longtemps je me suis tenu loin de Valery, le percevant comme un poète en cravate, ministériel, marmoréen, Mallarmé asséché, SJP sans l'allégresse sous la fine moustache de diplomate, blanc, cérébral en diable.

« Maigre immortalité noire et dorée »

« Et la joie éphémère des cieux ! »

« La tendresse de la couleur »

« Les songes vains, les anges curieux » etc.

Valery a le chic pour les vers qui claquent, donnent envie d'écrire des livres juste pour leur donner des titrés citant ses bouts de vers, le vent se lève, etc. « Là-haut, par quelques feux s’annonce l’Univers » Mais au vrai dans l'économie générale du poème le plaisir esthétique, le goût du ver, l'émotion me passent à côté, me frôlent tandis que dans l'ensemble du recueil, je m'ennuie et compte non les pieds mais les strophes restantes. Pourtant je me suis enquillé avec plaisir les Symbolistes, l'Art, pour l'art, etc.

/ (Pire, je me sens toujours floué lorsque je lis un recueil de poésie et que l'on me sort une pièce de théâtre alors des mélodrames ! La poésie se dissout dans les didascalies, s'évapore dans l'absence de musique. Les poètes qui nous insèrent comme ça du théâtre me paraissent toujours perdre leur force, leur rythme, leur finesse pour une sorte de "jouer à". Mais c'est là problème d'édition.)

Cosmogonies
6.5

Cosmogonies (2020)

La Préhistoire des mythes

Sortie : 1 octobre 2020. Essai, Culture & société

livre de Julien d'Huy

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

[Encore un de ces livres repérés avant leur sortie et, au lieu de me précipiter dessus, que je finis par ne lire que des années plus tard, quand tout le monde les a déjà lus. Ma PàParaître.]

« Tous les éléments de ce chapitre montrent que la phylogénétique des mythes ne peut être exclusive, mais doit s’intégrer à un ensemble de méthodes. »

Loin des fariboles de la mythologie comparée engluée dans ses malaxages XIXe telle qu'elle semble plaire aux lecteurs enthousiastes d'Eliade. Foin du racontage "comme un roman" (je n'ai pas appris à aimer la Grèce avec les compilations de Vernant) et des grands systèmes totalisants, qui s'ils sont beaux, harmonieux, font plaisir à l'esprit comme un système de magie dans un roman de fantasy, n'ont quasiment aucune valeur scientifique ni d'adhérence au réel. Bref, pas de Campbell !

« Un mythe est donc moins l’image du monde que fait à l’image du monde où il se diffuse. »

D'Huy propose une méthode froide, fastidieuse sans doute, qu'il ne présente jamais comme inédite, certainement pas définitive, au contraire comme ancrée dans des propositions passées plus ou moins solides et, si fertile, toujours à contrôler et à affiner. D'où la déception, peut-être, parfois, de redire le connu, de ne pas en extirper de ces grandes constructions élégantes, ni de motif universel et absolu du fond de notre crâne ? On ne psychologise pas et c'est tant mieux pour moi, peut-être tant pis pour d'autres.

« Ce phénomène est bien connu en mythologie comparée : un mythe est un lieu vide, que remplit la culture de l’époque. Il est adapté par les générations successives à leurs propres conceptions religieuses, idéologiques et éthiques. »

« La parole du raconteur appartient en grande partie à son public. En contrôlant activement la façon dont est raconté le récit, il participe à son énonciation. Il devient ainsi un des éléments essentiels de la stabilité des mythes. »

La structure est très agréable, logique et progressive avec plusieurs fils rouges qui se rejoignent, satisfaisante, et si elle n'évite pas les répétitions inhérentes à ce genre de travail de vulgarisation, elle ne se lance pas cul par-dessus tête comme d'autres ouvrages.

*

« L’analyse aréologique des mythes réfute toute idée d’universalisme, mais aussi d’apparitions spontanées. Les mots "coïncidence" et "universaux de la pensée" épargnent souvent à ceux qui les prononcent la peine de se justifier. Mais les faits sont têtus. »

Blanche Meyer et Jean Giono

Blanche Meyer et Jean Giono (2007)

Sortie : 3 mai 2007. Autobiographie & mémoires

livre de Annick Stevenson

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Dom Giono ou le Festin de Pierre.

Au vrai, même si je connaissais déjà l'histoire je me suis demandé si tout cela n'était pas une mystification comme l'Elzéard de Giono, une enquête que l'on aurait dû sous-titrer 'roman' aux réf. bricolées.

Le fond est intéressant mais la forme particulièrement pénible. Oh c'est pourtant exactement ce qui m'a plu chez Mauvignier : reconstituer un passé fragmenté !

Je me souviens d'un commentaire lu il y a plusieurs années reprochant un côté voyeuriste, racoleur, partant inutile. Je ne suis qu'à moitié d'accord car comme toute approche biographique cela permet de montrer une facette méconnue du Manosquin et de dresser un portrait de Meyer l’oubliée. Même si l'on imagine bien les "ayant-droits", aka ses filles, tiquer à cette publication.

Le procédé n'est en fait pas tant celui de la romancière ni de l’enquêtrice que de la journaliste. Déjà ce n'est pas elle qui fût à l'origine de la découverte mais Hubert Nyssen, fondateur d'Actes Sud qui aura "chargé" Stevenson de la mettre en forme. Journaliste piquée de lyrisme. J'ai abhorré ses interventions, détesté son style gras et filandreux. Stevenson ne fait que paraphraser lourdement les mémoires non publiés de Blanche avec des citations incorporées comme dans un mauvais article de journal people*.
Plus que le portrait d’une femme, pour utiliser des termes simplistes mais habituels, « moderne », « forte » et « libre », que l’on devine dans les extraits, elle dresse une maîtresse dans l’attente qu’elle ne parvient pas à extraire de la gangue crémeuse de Giono. L'autrice reste très complaisante avec Giono, ah le génie créatif à l'œuvre peut bien tout excuser... Soupir.

À ce compte-là, autant publier les mémoires sans les extraits de lettres mais avec un fort appareil critique, rejeter cette glose épaisse en préface (Voilà c'est écrit comme ces mauvaises préfaces qui entortillent le texte) pour en faire une étude littéraire comme le récent Panof-Bourdieu. L’autrice apparaît comme un écran, un intermédiaire inutile et imposé qui, possiblement, déforme et simplifie la vie. Un éléphant nous présentant les tessons d'une fine porcelaine.

À dans combien d'années pour lire ces 1000 lettres/3000 p. ; sans compter tout ce qui ronfle, caché, dans les compactus d'autres bibliothèques ?

[* Suite en commentaires]

Chagall, Modigliani, Soutine... Paris pour école

Chagall, Modigliani, Soutine... Paris pour école (2020)

1905-1940

Sortie : 16 septembre 2020 (France). Beau livre & artbook, Histoire, Peinture & sculpture

livre de Pascale Samuel et Juliette Braillon

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

J'évoque souvent la qualité des textes des catalogues d'expositions, reprochant leur manque de ci ou de ça. Ici parlons de la quantité : il n'y en a juste pas, uniquement les panneaux explicatifs de chaque section, généraux. Surface. Admettons la présence de notices biographiques, d'une chronologie, d'un plan de Paris...

Soutine oui, et Chagall, vite fait, Modigliani m'ennuie finissant sa gloire sur des couvertures de Folio, Moïse Kisling aux grands yeux noirs qui aurait pu remplacer Modigliani dans l'imagerie populaire, mais aussi Eugène Zak, Georges Kars surtout, très Valadon, Jacob Macznik, Marek Szwarc, Henri Epstein, Adolphe Feder... En fait, jamais eu spécialement d'attraction, d'attrait, d'appétence pour des Années folles, la Butte, les bals, les guinguettes, Montmartre, la Rotonde, ces peintres, artistes, écrivains rassemblés sous les mêmes lampadaires, non ça ne me fait vraiment pas rêver... ce sans ironie. Et la peinture de l'époque, souvent, me déprime, me mine, la sculpture me parle plus tandis que la peinture a quelque chose de gris, d'une triste matité qui n'est pas celle de la fresque, des Macchiaioli disons, même dans les plus fortes couleurs, un je ne sais quoi de tourbeux dont seul Soutine aura su, je crois, tirer une puissance.

*


« Kisling, patiemment, écouta la leçon des maîtres. Puis un jour, il partit seul dans la forêt, où les arbres chantaient leur sève.
Il est arrivé à Paris portant, dans le regard, une candeur d’archange. Il fut enfant prodige. Nous pouvons le considérer comme le jeune héros de la peinture réaliste, et il se pourrait qu’il apparaisse un jour comme le meurtrier de la peinture métaphysique. »

Florent Fels, Kisling, Paris, Le Triangle, 1928, p. 8.

« Un de ces lieux privilégiés a été la Ruche de l’impasse Dantzig ; d’autres, au même moment, Montparnasse, le Montparnasse du Dôme et de la Rotonde, et le Montmartre du Bateau-Lavoir. Ils composent une géographie imaginaire, en dehors des terres connues et habitées, et où des destins également suspendus, flottants, improbables se sont quelque temps arrêtés et accomplis. Accomplis eux aussi dans l’imaginaire, en produisant des œuvres imprévisibles, véritablement neuves, inacceptables, inacceptées. Or c’est tout l’art moderne qui est sorti de là […]. »

Jean Cassou, préface au livre de Jacques Chapiro, La Ruche, Paris, Flammarion, 1960, p. 8.

Déplier le monde

Déplier le monde (2025)

Sortie : 1 septembre 2025. Essai, Culture & société

livre de Pierre Bergounioux

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Au départ, des discussions avec l'artiste Joël Leick, des textes manuscrits, livres d'artistes.

« Le millénaire naissant est celui du grand désenchantement. Nous titubons parmi les décombres du précédent, les certitudes perdues, les attentes anéanties. Il serait surprenant que l’art n’accuse pas le trouble où nous sommes. Il est dans le friselis de l’eau, le long du caniveau, trois brins d’herbe humides sur le macadam fissuré, rouillé. »

Comme dans ses Forges de Siam, Bergounioux fait de l'urbex. Ruines sidérurgiques du grand Est. C'est donc le Bergounioux que je ne goûte guère plus, celui qui, émietté, professeur, professoral, fait de la sociologie vieillotte aux références passées — peut-on encore lambiner sur Weber et Leroi-Gourhan ? — Attardé dans le siècle précédent, sa moitié, son effondrement (lorsqu'il dit "il y a 30 ans, c'était en fait 70), l'art arrêté aux Révolution du Ready-made, loin des saturations contemporaines, des nouvelles dynamiques politiques et autres métamorphoses sociétales auxquelles nous sommes aux prises. Pas moins répétitif que certains auteurs nostalgiques des anciens temps, de livre en livre et, même de chapitre en chapitre. Comme les ruines qu'il convoque, Pierre aussi est sépia mais je le savais déjà. Les photos (?) peintures (?) de Leick, anecdotiques.

*

« Cent ans ont passé. L'espoir naïf de la Belle Époque n'a pas survécu à l'abomination du XXe siècle. Nous errons parmi les ruines de l'espérance morte. Tout proclame l'entre-deux où nous sommes entrés, la désindustrialisation et le productivisme agroalimentaire et, là-dessus, l'hiver du cœur et de l'esprit. »

« La littérature, la peinture, la photographie n’enregistrent qu’une fraction de l’espace humanisé et de ses occupants. À cela, il y a deux raisons. D’abord, nous aspirons à l’achèvement, au fini, au repos parce que la vie est tension, effort, anxiété et que nous désirons, en secret, retrouver l’indifférence dont la naissance nous a privés et que la mort, seule, nous restituera.
Et puis les Beaux-Arts sont, dès l’origine, un élément du style de vie des puissants, des princes, des évêques, des grandes bourgeoisies de l’industrie, de la finance et du négoce. Il leur tend un complaisant miroir où ils reconnaissent les signes de leur élection, les emblèmes de leur réussite. C’est pourquoi les artistes ont mis à contribution les métaux précieux, usé de la langue pompeuse, sonore, du roi et de ses courtisans, couvert leurs toiles de pourpre et d’or. »

Goya de père en fille

Goya de père en fille (2025)

Sortie : août 2025. Autobiographie & mémoires, Peinture & sculpture

livre de Léonor de Recondo

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Dans la même collection que Toutes les époques de Murat.

« Aujourd'hui, je ressens à quel point l'histoire de l'exil familial insiste en moi. »

Comme Mauvignier, certes dans un style et un tempo totalement différents, si ce n'est opposés, de Récondo part de restes pour creuser l'histoire de ses ancêtres, leur exil, et s'interroger sur sa propre identité, via la bande Goya, les dessins du père, les sutures de l'art. En face, chez l'Iconoclaste, dans Marcher dans tes pas, elle explore plus longuement l'histoire et l'exil de sa grand-mère.

*

« A quel moment on se sent soi-même pris dans la nasse ? Conscients d'être pris dans celle-ci. Par « nasse », j'entends identité, transmission, idiome, langue paternelle, et toutes les émotions liées à ces notions-là. Ainsi que les silences qu'elles imposent.
La nasse, ce filet inextricable, peut prendre plusieurs formes : des histoires entendues dans l'enfance, des bribes de conversations, des anecdotes, souvent les mêmes, transportées par les rires, et puis une langue que bifurque, que j'entends sans comprendre, mon père passe du français au basque, puis à l'espagnol. Ça surgit de sa bouche sans crier gare. C'est rare, mais dans ces moments-là, il devient quelqu'un d'autre. Je le regarde sans le comprendre, et pourtant, je sens que ces langues sont aussi les siennes par la familiarité évidente avec laquelle il en prononce les mots. »

*

« Je mâchonne l'histoire au gré de la pointe sèche d'un peintre, Goya d'origine Basque lui aussi, qui se cabre devant les horreurs de la guerre et contre l'autorité cruelle de l'Inquisition.
Parfois, l'art est le seul recours, la seule expression possible pour dire l'obsession, pour l'extraire de la nasse, pour en faire quelque chose, pour ne pas étouffer, pour la prendre avec soi et respirer. »

La Maison vide
9.2

La Maison vide (2025)

Sortie : 28 août 2025. Récit, Autobiographie & mémoires

livre de Laurent Mauvignier

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

Mauvignier s'aventure sur des territoires qui me sont familiers : le début évoque Bergounioux..... d’autres noms que l’on devinera, ainsi que la maison vide, elle aussi, imprégnée de l'ancêtre, des Géorgiques. Tout ce que j'aime est là, ou presque.

Le narrateur trouve les mirabilis et indices du passé et joue au maçon. Nous ne restaurons plus comme à l'époque de Violet-le-Duc : les trous sont certes bouchés mais en laissant voir qu'il s'agit d'un rajout, d'une proposition ; parfois sont-ils laissés à nu pour montrer, justement le temps qui sera passé. Les rouages tournent sous nos yeux.
Sauf que la maison vide est bel et bien sous-titrée roman, comme toujours avec ces récits autobiographiques dont on ne saura jamais la part d'invention. Ceci dit on devine le motif des photos découpées dès les premières pages.

« j’invente comme un archéologue invente sa trouvaille »
La phrase mauvignienne est longue mais pas tant sinueuse que fonceuse, creusant droit avec le sillon de ses petites virgules, non pas marmoréenne à coup de masses, Phrase simple et tenue en laisse qui semble parfaite au sens où l'on ne voit jamais où l'on pourrait en enlever un mot, déplacer un point-virgule, rajouter un wagon, trancher un segment. La phrase étouffe par cette perfection hermétique, sans interstices, si claire et si limpide.

C'est peut-être un chouïa long ou alors il aurait fallu une couche en plus, un peu plus de complexité. Pas facile de trouver le temps dans l'effervescence de la rentrée. Surtout que la fin s’accélère et que Mauvignier escamote rapidement les dernières générations.

Dans un entretien : « J’ai toujours trouvé magnifique l’idée de Faulkner : "J’ai découvert qu’il valait la peine d’écrire sur mon petit timbre-poste de terre natale et que je ne vivrais jamais assez longtemps pour l’épuiser", mais je ne la comprenais pas complètement, alors que maintenant je commence à l’éprouver dans l’écriture. »
Puis : « Pour le livre que je suis en train d’écrire, j’avais une idée, un sujet. Je voulais d’abord parler un peu de l’arrière-grand-mère, mais au bout de deux cent vingt pages, je suis toujours avec elle et je n’ai pas vraiment commencé mon histoire. »


« Ce qui m’occupe l’esprit, ici, c’est comment ces histoires qui ont été obstinément tues ont pu traverser l’opacité du silence qu’on a voulu dresser entre elles et moi, pour arriver à se déposer dans ces lignes qui me donnent l’impression de les avoir menées à bon port et de pouvoir m’en libérer. »

L'Herbier des fées
8.1

L'Herbier des fées (2011)

Sortie : 26 octobre 2011. Album, Beau livre & artbook, Jeunesse

livre de Sébastien Pérez et Benjamin Lacombe

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Benjamin Lacombe c'est un peu le pendant, le côté pile, la face solaire de Ledroit dans ce kitschoune très années 90's, elfes, forêts, sylphes comme des statuettes comme on en trouvait à la Mandragore sur Paris.

Si j'affectionne les herbiers imaginaires (mais pas que), ça ne me touche guère. Mêmement le récit de voyage imaginaire d'un explorateur dans la forêt de Brocéliande avec ses lettres à sa femme et à a Raspoutine (!) reste trop maigre pour proposer quelque chose d'intéressant, tant côté romanesque que côté fausse biologie.

Destination Orion

Destination Orion (2023)

Voyage à bord du télescope James Webb

Sortie : 30 août 2023. Essai, Sciences

livre de Olivier Berné

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Orion a toujours été, avec Jupiter et ses lunes, ma bestiole céleste préférée, tant la constellation avec ses 3 points que la draperie de gaz. Fastoche ! me direz-vous c'est l'un des plus célèbres et les plus représentés.

La lecture d’ouvrages de vulgarisation est devenu frustrant. Ils reprennent invariablement les mêmes bases : rappels historiques, grandes découvertes, récit bordé et le sentiment de relire toujours la même matière, sans véritable possibilité d’accéder à un niveau plus approfondi. Pourtant, la recherche scientifique progresse par étapes constantes : ajustements, précisions, parfois remises en cause partielles. Ce que je pensais connaître – ou ce que j’avais compris de façon approximative – a évolué depuis les ouvrages classiques. Ces évolutions n’apparaissent cependant guère dans la littérature grand public. Les articles de recherche et même les ouvrages de licence Dunod me sont inaccessibles. Quant aux sites de médiation scientifique, ils privilégient un ton accrocheur. Des blogs de grande qualité comme Ça Se Passe Là-Haut atteignent rapidement la limite de ce que je peux suivre sans bagage technique. Ce qui me manque serait donc un ouvrage intermédiaire, une "mise à jour" des connaissances, débats en cours, hypothèses qui se renforcent ou s’affaiblissent. À la manière de Luminet plutôt que de Rovelli "Moi j'ai osé pensé que...".

La science ne se fait pas que dans l'abstraction des équations mais requiert aussi de mettre la main à la pâte tel Courtois qui devait coller des centaines de fibres optiques sur le miroir de son télescope pour cartographier le ciel profond. Et l’on sait à quel point c'est aussi histoires de laboratoires, de sous, de pressions, de coalitions et copinages, en somme de politique.

(Tout récemment une étude montre que même avec le système de peer-review les biais existent et son écrasants dans les citations.)

Le livre de Berné ne répond absolument pas à cette demande. Car c’est avant tout un récit, récit personnel, truffé d’anecdotes : il fait des nuits blanches, le collègue fait le café, ils y ont mis tous leurs efforts. Dans la mission, pas le café. (il doit y avoir des livres de socio sur comment la science est racontée, toujours comme une « aventure »)

A ce compte là j'aurais préféré un ouvrage collectif dans lequel chaque équipe présenterait son projet, ses recherches.

Fragonard et le Roland Furieux

Fragonard et le Roland Furieux (2003)

Sortie : 15 septembre 2003. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture, Littérature & linguistique

livre de Marie-Anne Dupuy-Vachey

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Fragonard, vers la fin de sa carrière qui n'était d'ailleurs pas la fin de sa vie, a illustré le Roland Furieux. Illustré n'est-il pas un bien grand mot ? Déjà car les 170 et quelques planches ne couvrent que le premier quart du livre... aussi qu'il s'agit non de tableaux ou de gravures mais d'esquisses, presque d'ébauches. Aériennes, flottantes, parfois informes. De grands traits épais à la pierre noire relevés de lavis diffus. Gribouille fougueuse, fumée hérissée... Exemple, le panache de Bradamante dans le chant II n'est qu'un zigouigoui, un gribouillis. Le spectateur doit imaginer, reconstruire — nous sommes à la limite du plaisir démiurgique de l'imagination et de la gageure ; et les spécialistes de distinguer, retrouver avec talent les chants pris en sujet.

Or ce que j'aime chez Fragonard c'est la pâte et la patte du pinceau virgulé, celle de la Tête de vieillard ainsi que les couleurs nacrées, les verts acidulés des Marionnettes.

Or ce que j'attendrais d'un Roland furieux illustré c'est tout son contraire, à savoir les ors passés de l'Italie en automne, le dessin précis et archéologique des armes et armes, armures et harnais, les textures des pierres des châteaux et des murailles, de l'écorce des essences d'arbres. Nada ici, à peine reconnait-on les personnages et encore ? À peine les épisodes. (je le répète ces couleurs et cette finesse ce sont ceux de Julien Delval).

Sur la traduction je me demandais si celle de Rochon était la demi-mesure. Ça tombe bien c'est celle choisie par Dupuy-Vachey pour accompagner les planches. Je n'ai pas tout relu. C'est en effet un juste milieu qui respecte la structure sans tordailler le Français. Peut-être un peu fade.

https://utpictura18.univ-amu.fr/serie/fragonard-jean-honore-dessins-illustrant-roland-furieux-larioste

« Italo Calvino définit le Roland furieux comme le "Poème du mouvement". C'est bien ainsi que l'a ressenti et traduit Fragonard. Du début à la fin, une même énergie sous-tend chacune des pages. Les chevaux galopent, se cabrent ou volent. Les héros courent et bondissent d'épisode en épisode. Quelques détails viennent souligner la rapidité de l'action, suggérer le souffle du vent ou le trot du cheval: les panaches ébouriffés qui surmontent les casques, l'ondulation des capes, les extrémités flottantes des belles écharpes barrant la poitrine des chevaliers ou ceignant leur taille. »

Les Enfants Tanner
8

Les Enfants Tanner (1907)

Geschwister Tanner

Sortie : 1985 (France). Roman

livre de Robert Walser

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

« Au moment même où il allait entamer un monologue intérieur [...] »

Ai-je le droit d'avoir été agacé (avec tendresse, indulgence) par Simon et ses takes éclatées pour parler comme en 2023 ? Et clairement atteint du syndrome du main-character, persuadé d'être entouré d'une mer de PNJ. Peut-on être surpris quand l'on s'attendait, pas la résille des attentes lancée par autrui, à autre chose ? Comme une incohérence, au moins un décalage avec la vision formée dans un reflet. Celui-là en tient aussi une couche côté nonchalance arrogante un brin juvénile... En fait, tous les personnages dès qu'ils se mettent à monologuer, soliloquer, pour revenir sur leurs propres discours. Sans doute car il me rappelle mon moi post-adolescence et que je n'ai plus 21 ans...

Simon ne se place-t-il pas entre Hypérion tout ruisselant de romantisme et Malte trop désespéré et englué dans son angoisse ? L'humour et l'ironie lui sauvent la mise. On finit par s’y attacher, si ce n’est s’attendrir.

« Mais que n’eût-on pas trouvé resplendissant ce matin-là ! Chaque chose brillait, étincelait, luisait, se fondait en couleurs et devenait musique pour les yeux. »

Tendres volutes, petits bibelots de sucre, grande lumière de la montagne. Pour parler en peintre comme Giono, je trouve le choix du Hopper et tout particulièrement celui-ci, l'un de ses plus moroses, sinistres, presque un contre-sens, prenant ce que Simon, justement, rejette en partie. La lecture est colorée, vivante, lumineuse, voire luministe : à la limite pour rester chez les Suisses et dans l'idée de la petite vie intérieure, un Vallotton, du Amiet ou du (Augusto) Giacometti et du côté des Allemands, "moderne", du Marc ou du Macke.

*

« On ne doit pas regarder les images trop longtemps dans le monde où je te conduis. »

« En bas dans la vallée on pouvait croire qu’il y avait quelque chose comme une ville, mais c’était plutôt un désir qu’un pressentiment. »

« Ses yeux avaient un regard froid et tranquille fixant le lointain comme s’ils pouvaient voir quelque chose de mieux là-bas. Ils semblaient dire : "Nous voyons, nous, de la beauté, ne vous donnez donc pas ce mal, vous autres, les yeux des autres, vous ne pourrez de toute façon jamais voir ce que nous voyons." »

« Il est clair qu’il aura souvent la nostalgie d’un passé meilleur, avec le bruit de la vie autour de lui. »

La Chasse royale

La Chasse royale (1953)

Sortie : 1953 (France). Roman

livre de Pierre Moinot

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Il s'était jeté depuis dans un autre monde où il y avait eu des marches, des armes, des plans d'attaque et des sommeils de plomb. Tout le reste était devenu lointain et gris, comme il le souhaitait. Il n'avait plus gardé au fond de lui-même que le secret d'un sourire. »

Pas Jaworski ni Geralt. Moinot a lu Genevoix avec ses forêts et ses chevreuils, ses brocards. Il a d'ailleurs prononcé un discours à l'occasion de l'ouverture du musée Maurice Genevoix dans les années 80.

« Voilà ! dit Philippe. J'aime quand tu parles comme cela ! Après huit heures de chasse tu en arrives aux formules. »

Giono peut-être, aussi, (il en recevra le Grand Prix en 2004) celui du Chant du monde avec de faux airs de récit antique, mythologique et cette amitié virile et surtout fraternelle. Les prénoms Philippe, Henri jurent dans le paysage tandis que celui d'Hélène lance sa grappe d'évocations. Mais il n'y a pas chez Moinoit cette rapidité, plutôt une urgence contenue, calculée, faite d'ellipses, de sauts de cabri dans la phrase, escamotant sans cesse le cliché, vrillant le banal, toujours inattendu dans ses images, de détails qui font claquer la langue.
Je pense alors à Michelet dans une phrase aux faux airs classiques, légère, roulée, lissée, sans ces gros-plans sur les corps et les arbres, sans surprise en somme. Quelques beaux passages, une certaine mélancolie rigide d'un autre temps. Ou à François Garde, autre haut fonctionnaire écrivain, collet monté, dans un registre différent qui n'est pas aussi fort qu'il pourrait ou devrait l'être. Ce n'est clairement pas désagréable à lire, ce n'est certes pas de la grande littérature, on a peu ou prou oublié Moinot à raison, mais de celle qui me convient.


*

« Il ne se rappelait pas maintenant quelle était la question à laquelle il ne voulait pas répondre. L'allumette lui brûla les doigts, il reprit sa marche et l'image de son souvenir se dessina sur le fond sombre de la forêt. Il ferma les yeux et l'image naquit de nouveau derrière un brouillard rouge, s'approcha, grandit, reprit sa place. « Mais qu'est-ce qu'il y a ? se dit-il. Pourquoi maintenant ? » Il lui semblait que des mois le séparaient du dîner à Haudrenne. Il s'était jeté depuis dans un autre monde où il y avait eu des marches, des armes, des plans d'attaque et des sommeils de plomb. Tout le reste était devenu lointain et gris, comme il le souhaitait. Il n'avait plus gardé au fond de lui-même que le secret d'un sourire. »

Terra Forma
7.7

Terra Forma (2019)

Manuel de Cartographies Potentielles

Sortie : avril 2019.

livre de Alexandra Arènes, Axelle Gregoire et Frédérique Aït-Touati

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Mad Maps et quelques ouvrages du même acabit en jouant avec les codes et normes et nomenclatures pouvaient dire quelques petites choses de notre monde mais la blague faisait long feu. Terra Forma va plus loin, plus profond, avec un horizon bien plus politique et de façon bien plus stratégique par ailleurs. Pas dans la blague mais dans le véritable projet.

« À une époque de démocratisation des cartes et de développement de l'open data, le problème n'est plus l'accès à l'information mais l'organisation de celle-ci. »

Sans grande surprise on y croise Morizot, Descola, Coccia, tonton Deleuze. Il y a donc parfois du Damasio dans la forme où un jeu de mot p/veut devenir concept. Incubateurs à cartes de la zone critique mais itou à histoires, futurs probables, ouvertures vers le Hope... il serait intéressant de voir ce qu'en feraient des auteurices comme labo d’écritures. N'est-il pas question chez l'un de zone, de furtivité ou chez son collègue Beauverger de trajectoires ?

« Un autre rapport à la vitesse aussi, et à l’espace. Quand j’étais fréole, je vivais de cartes. » (Damasio)

Il y aurait beaucoup à dire. Est-ce un travail de géographe, d’urbaniste ou de graphiste ? Sûrement des trois à la fois. N'étant pas le moins du monde les deux premiers, il n'est pas évident de jauger la pertinence, l'originalité, la rigueur de ces propositions. Abstractions vaseuses, cartes de châteaux en Espagne ou réels décentrements épistémologiques voués à une longue vie fertile ? Question que je me pose souvent avec les livres B42. C'est bô, très design, mais mouchoir de niche, ai-je l'impression.

« Nous serions, dès lors, des trajectoires errantes, instables, générant constamment leur espace en l'habitant. De ce point de vue, on a toujours perdu son propre Umwelt, on est toujours en train de le refaire, et le monde lui-même est toujours en train de nous échapper. Si la notion d'appartenance à un territoire est à revoir, comment penser politiquement la composition, l'agencement de nos espaces de vie, de nos habitats ? C'est à l'ancienne question des frontières qu'il faut désormais s'attacher. »

Un cahier avec d'autres mises en pratique concrètes, précises avec les particularités, obstacles, (couleurs !) de ces cas aurait permis d'y voir plus clair. C'est aux autres de s'en emparer et d'expérimenter.

http://s-o-c.fr/index.php/terraforma/ (+ À lire Gaïagraphie.)

Une drôle de peine

Une drôle de peine (2025)

Sortie : 20 août 2025. Récit, Autobiographie & mémoires

livre de Justine Lévy

Nushku a mis 5/10.

Annotation :

Je lis peu de littérature contemporaine.

J'ai hésité avec le Pourchet, le Minard.

Je ne connaissais Levy ni d'Eve ni d'Adam.

Certainement pas qu'il s'agissait de la fille de BHL et l'ex d'Enthoven.

Cela a clairement et bêtement changé mon regard sur le livre ; ils y apparaissent.

Le Masque et la Plume a aimé.

Et pourtant j'ai déjà lu ça. Le sujet n'est toutefois pas le plus léger ni le moins anodin, bien au contraire, certainement pas le plus inintéressant ni le plus inutile : la maladie d'un proche et le deuil en suspend. Et à ce sujet un peu d'ironie grinçante, quelques tacles incisifs, gratuits et hors-sujets sur l'époque (le voyage de noce en Inde, les enfants).

Sauf que c'est écrit comme on parle, comme ça vient, en vrac, comme ici, sans charpente ni ossature. Style gluant de ses anaphores, asyndètes, parallélismes, répétitions, dialogues en homéostasie avec le texte. Il y a peut-être (et sans doute, ce n'est pas en soi pas mal écrit) un lourd travail derrière de polissage pour donner à lire la toile, l'emprise et l'empreinte de l'histoire de sa mère, cette tristesse qui lourde, reste mais cela ressemble à tout le reste (Kerangal est peut-être la seule chez qui j'accepte ce flasque pesant de la phrase). Arbitraire, de son temps, zeitgeist de ces romans si proches du réel, si proches qu'ils en deviennent trop collés.

*

« Je ne sais pas qui a dit que l'enfance est un pays dont on aura toujours la nostalgie et blablabla. C'est n'importe quoi. Il n'y a pas d'enfance perdue, manquée et retrouvée. Il n'y a pas d'enfance du tout. Il y a des petites personnes pas terminées, limitées, négligeables et négligées,des trucs dans lesquels on se prend les pieds,qu'on oublie, qu'on n'éduque pas. Elles vont bien, d'une manière ou d'une autre, devenir ce qu'elles sont. Elle va pousser toute seule, Justine,comme ces poulains tremblotant sur leurs pattes, à peine nés mais debout, déjà presque autonomes et qui n'emmerdent pas les chevaux adultes. Oui, à la fin des années 1970, elles l'ont bien compris, maman, Violaine et leurs copines, après tous ces siècles de temps perdu, gâche et volé aux femmes qui ont autre chose à faire que pondre et élever leurs marmots : l'éducation est un concept ringard. »

Enfers et Paradis

Enfers et Paradis (2004)

L'Italie de Dante et de Giotto

Sortie : 2004 (France). Essai, Histoire, Culture & société

livre de Elisabeth Crouzet-Pavan

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

S'il y a bien quelque chose qui m'agace et me fait fuir dans les livres d’histoire (mais aussi de sciences) ce sont tous ces bloopers aguicheurs : ‘se lit comme un roman !’, ‘Docteur Bidule est un enquêteur !’, ‘Enfin telle discipline n'est plus barbante !’ Ils en disent plus sur le lecteur ou la lectrice que sur le livre ... Quoique ils en disent aussi souvent long sur le livre : simplification, raccourcis, démagogie.

Or CP est historienne et fait de l’histoire, aka chiante selon la ligne directrice évoquée : affaires d’impôts, de taxes, de règnes, de commerce, de politique ; il s'agira de petits capitans, d'artisans anonymes sans le sou, d’agriculteurs qui vont à la ville, de quelques princes connus pas même cruels ; certainement pas de désastre de Pavie avec ses chevaliers sortis de l'Arioste, ce n'est pas même du Boucheron ; rien de romanesque, peu de rêverie à se mettre sous la dent là-dedans.
Délicieux.

Surtout que le style est très agréable, vif et alerte, fort et coloré quoique perclus de répétitions : « j'ai déjà dit », « j'ai dépeint ». L’historienne passe en effet plus de temps à dire qu'elle va dire ou qu'elle a déjà dit qu'à vraiment dire, ce qui laisse une impression de survol constant ; « je ne rappellerai pas«"», (bah pourquoi pas ?) et pourtant scrutineuse, besogneuse, les exemples nombreux ne sont jamais développés, évoqués, rappelés plutôt.
En fait, l’autrice part du principe que son lectorat possède déjà les bases sur la période et ne s'embarrasse pas du b.a-ba, elle ne traduit pas le latin ni les termes italiens dans ce contexte médiéval (manque d'un glossaire). Il m'aura donc souvent manqué l'événementiel, par manque de connaissances précises sur cette période pré-Renaissance mais aussi pour raccrocher les wagons thématiques. Car E&P est synthétique dans les deux sens du termes : se posant au-dessus de l’historiographie, problématisant sans cesse, très jugeurs avec les précédents (beaucoup de « Il ne faudrait pas croire pour autant »), rappelant au demeurant sans cesse les risques et périls, simplifications, raccourcis, contrastes forcés, qu'elle s'efforce d'éviter tout au long de sa réflexion. Ce mince double bind est toujours nécessaire en histoire. Et un livre très rapide, concis et dense en 400 pages.

L'Empereur-Dieu de Dune
7.7

L'Empereur-Dieu de Dune (1981)

Le Cycle de Dune, tome 4

God Emperor of Dune

Sortie : 1982 (France). Roman, Science-fiction

livre de Frank Herbert

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

« Parce qu’il est persuadé que mes souvenirs sont la clé de sa liberté. Il croit que j’édifie notre avenir à partir de notre passé. »

Jusqu'ici la grappe était facile : Dune pouvait se lire comme un roman autonome, le Messie comme un diptyque et les Enfant comme une trilogie. L'Empereur-Dieu tranche, ouvre une nouvelle séquence plutôt que se poser en tétralogie ou diptyque avec les Enfants.

Sur ce tome, j'avais lu tout et son contraire : le pire, le meilleur, le plus profond, le plus chiant. Au vrai cette divergence polarisée existe pour tous les tomes. Tout change, tout reste pareil à commencer par le style désordonné et comme jeté d'Herbert. Pourtant y est dissout ce qui me plaisait dans les précédents : la densité elliptique, rapide et riche dans des pages concaténées de trop, sans soin pour son lecteur, bâtisseur de monde par la bande au carré, au cube.
Plus encore que le Messie et ses complots de rideaux ce tome est un huis-clos, une pièce de théâtre à la distribution resserrée mais au propos dilué, répété, tournant autour de son pot d’or. C’est l'œil du cyclone dans un monde qui a la mine d'un univers dépeuplé. Idaho le dit lui-même : « C’était comme si les trois personnes réunies dans cette pièce étaient les derniers vrais humains de l’univers entier. » Flottant d'autant plus, a-bstrait, abscons et obtus car la planète Dune perd toute la présence tellurique (encore) qu'elle pouvait avoir. Si les vins ont des climats les planet-operas aussi et celui de Dune s'évapore, s'étiole. On ne l'a quitté pourtant pas pour autant à aller explorer la galaxie. (précisons que nous n’attendions pas des lasers à tire-larigot).

Je ne comprends guère de chose au Sentier, retcon permanent, gigantesque et galactique de Paul et sa prescience (oh bien sûr je ne doute pas que l'on puisse piocher quelques phrases dans le méli-mélo pour raccrocher les wagons...) largement non prévu par son auteur en 1965 ou 1972, « Que de la frime » rétorque souvent 'le' Duncan.

Après le Grand Juge blanc, le Grand Ver jaune. (Fisk encore avec Hwi, aussi maladroitement et absolument écrit, que sa Vanessa.)

Du mal à accrocher aux Atréides qui auraient la même idiosyncrasie sur des millénaires. De manière générale toute cette mémoire génétique inconsciente. Tragique Idaho emprisonné dans ses propres lui passés, son atavisme, autrui le connaissant mieux que lui-même. Il perd néanmoins de sa superbe (et sympathie) avec ses rages homophobes et misogynes.

Méridien de sang
7.8

Méridien de sang (1985)

Blood Meridian

Sortie : 14 avril 1988 (France). Roman

livre de Cormac McCarthy

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

"Et ils prirent une fois de plus la couleur de la terre par laquelle ils passaient."

Beaucoup sont venus à Faulkner via C. MC. De mon côté c'aura été l'inverse : "des auteurs comme Faulkner ?", le nom qui revenait le plus souvent et j'en attendais tant ! Une déflagration, un coup de fouet, de tonnerre et de feu, chamboulant le podium des auteurs, relançant la roue du ciel des fixes. C'est pour ça que je le gardais dans ma besace comme un bloc de dynamite, de nitro sous pages. À manier avec précaution, sous le plomb de l'été, dans la moiteur pégueuse de la canicule.

Fût-ce le cas ? En partie, explosion au ralenti, elliptique, compendieux. Dialectique entre ces dialogues lapidaires comme des coups de couteau, tranchant dans le chichi de la ponctuation, lardant les verbes déclaratifs et ces passages plus littéraires, pas moins saississants, frémissants (faulknériens).

On parle parfois d'écriture à l'os, or là c'est le monde qui l'est, décharné, sec, desséché, rongé, gratté pour mettre à nu le géologique. Monde de cuirs, d'or, de viscères. Tout en glaise, boue, terre, céramique fendillée. Vous ai-je dit mon amour pour la céramique ancienne ? (Ars'O a dû lire McCarthy pour son Bain de boue.)
Tandis qu'ils agonisent, le Hussard dans le désert, que sa violence demeure. Les Raisins de la colère dévoyés. Cette même obsession du lever des soleils et de la roue des étoiles, de la poussière levée et des cendres retombées.

Un roman tellurique, géologique.

(J'ai imaginé le juge avec la tête, le corps et la voix de D'Onofrio. (J'avais déjà vu des représentations du juge, interprétations qui forcent trop le côté ogre (Harkonnen), albinos fantastique à mon goût.))

*

« Maintenant seulement l’enfant s’est enfin défait de tout ce qu’il a été. Ses origines sont devenues aussi lointaines que l’est sa destinée et jamais plus tant que durera le monde il ne se trouvera des sols assez sauvages et barbares pour éprouver si la matière de la création peut être façonnée selon la volonté de l’homme ou si le cœur humain n’est qu’une autre sorte de glaise. »

La Traduction du monde

La Traduction du monde (2022)

Essais littéraires

La Traducción del mundo: las conferencias Weidenfeld 2022

Sortie : 14 février 2025 (France). Essai, Littérature & linguistique

livre de Juan Gabriel Vásquez

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

Ce type de conférence ou d'essai captive et accroche car le parlant peut se placer à la fois dans la position de l'auteur et celle du lecteur. Des fusées qui éclatent et des escarbilles comme des envies de lectures et de relectures, de découverte d'eaux inexplorées par nous, dans la grande toile du monde.
Vazquez est quelqu'un d'intelligent et de précis et si cette finesse pourrait tendre à la froideur, à la distance il semble au contraire d'une infinie chaleur. Ces quatre conférences données à Oxford nous le rapprochent : il murmure.
Et bien sûr sa vision de la littérature, comme Borges, comme Cercas et son point aveugle, se superpose à la mienne.

Invité dans le Book Club pour en parler avec :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-book-club/plaidoyer-pour-la-fiction-avec-juan-gabriel-vasquez-8029344

*

« La vie est un point de vue :

Nous sommes fatalement enfermés dans notre propre point de vue, dans ses particularités, dans les limites de notre regard. Adopter le point de vue d'un autre est l'une des tâches les plus difficiles qui soient : cela exige de fortes doses d'imagination et de flexibilité morale, de curiosité et de clairvoyance. Ce n'est pas à la portée de tous et c'est regrettable, car les limites de ce qui est personnel sont aussi des limites politiques. »

« Quoi qu'il en soit, au fil de notre discussion, il ne nous a pas échappé que ces préoccupations font partie intégrante du genre : il semblerait que le roman ne puisse progresser sans traverser de temps à autre une insurmontable crise d'identité. J'ai dit à Hisham qu'on pourrait écrire une histoire du roman au XXe siècle, par exemple - en dressant l'inventaire non pas des romans, mais des défenses du roman, comme celles exposées par George Orwell en 1936, Salman Rushdie en 2000 et Zadie Smith en 2019. Ou en recensant les morts du roman, décrétées aux États-Unis après la disparition de William Faulkner et d'Ernest Hemingway, dans la France du Nouveau Roman ou encore au Royaume-Uni, sous l'influence de George Steiner, V.S. Naipaul et même Will Self. Ces avis de décès sont monnaie courante. Cependant, il était pour moi évident que, depuis mes débuts en tant que romancier, le rôle de la fiction s'était déporté. Mais comment ce déplacement s'était-il opéré, et en quoi cela nous concernait-il ?

Ces interrogations et bien d'autres, similaires, m'ont longtemps accompagné. »

Toutes les époques sont dégueulasses
7.6

Toutes les époques sont dégueulasses (2025)

Ré(é)crire, sensibiliser, contextualiser

Sortie : 8 mai 2025. Essai

livre de Laure Murat

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Il serait possible de résumer ce livre à "c'est du bons sens" et a le mérite de remettre les choses à plat, mais l'on sait qu'avec ces débats portés à blanc le bon sens s'évapore... plutôt car le bon sens variera selon chacun (mais tout ne se vaut pas non), c'est la retombée, l'à froid, la réflexion dépliée. Comme l'évoque Murat dans une interview du Monde, ces débats nous obligent à choisir le camp et le risque de s'y barricader n'est jamais loin.

À noter deux-trois saillies boomérisantes sur les réseaux faisant penser à Lydie Salvayre qui m'en gâtent le goût : « Ne sont-ce pas les mêmes adolescents qui sont choqués de voir un sein dénudé dans un tableau du XVIIe siècle et qui passent leur temps devant Game of Thrones, où il y a un viol par épisode ? » Non ? Ce ne sont pas justement pas les mêmes ? D'ailleurs je n'ai jamais vu de jeunes choqué·e·s par un sein, [ou alors dans un contexte très particulier de croyance, qui n'ira pas regarder GoT non plus] mais plutôt choqué·e·s qu'Instagram le censure précisément ?! Je vois par contre un regard critique ("analytique et dialectique" pour reprendre ses propre termes) sur l'histoire de l'art et ses biais qui ne sort pas de nulle part. Heurt non que le sein soit nu mais qu'ils le soient tous. Bref une petite phrase, détail que je surinterprète peut-être.

*

« Car éliminer ce qui gêne aujourd'hui au motif que cela nous offense, c'est priver les opprimés de l'histoire de leur oppression. Faite de James Bond un féministe ou seulement un homme respectueux des femmes et, dans cinquante ans, on ne comprendra plus rien à l'histoire de la misogynie ordinaire dans les années cinquante. »

« Dès lors, où est la solution ? Elle est très simple. Vous jugez James Bond sexiste,Agatha Christie raciste et démodée ? Eh bien, arrêtez de les lire, ainsi que ceux et celles qui perpétuent des stéréotypes. Passez à autre chose. Tournez-vous vers des livres contemporains, qui ne baigneront pas dans l'atmosphère des années 1930 et les relents de la xénophobie. Choisissez de lire ce qui correspond à votre temps. Mais gardez bien en tête, pour reprendre la formule d'Antonin Artaud, que "toutes les époques sont dégueulasses" et que, fatalement, le siècle prochain éprouvera un malin plaisir à débusquer nos aveuglements actuels. »

L'Inversion de Polyphème
7.2

L'Inversion de Polyphème (1997)

Sortie : 13 mars 2025 (France). Nouvelle, Science-fiction

livre de Serge Lehman

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Stand by me obviously.

Petit manque d'épaisseur quotidienne dans le milieu pour donner plus de corps et un mystère pas si fort vers la fin.

Pas mal d'éléments que l'on retrouve dans sa récente BD Les Navigateurs : la bande de copains, le monde invisible superposé au notre, la banlieue morose, le sacrifice final. Dès lors en effet une adaptation en BD (ou mini-série) ne jurerait pas avec le reste du paysage éditorial !


[Olivier Girard :]

« J’ai parlé de prototype à propos de cette novella ; on pourrait aussi bien parler d’archétype, tant elle réunit l’essentiel des qualités propres au format, et tout ce que l’on apprécie par ici. Il y aurait beaucoup à dire sur ce récit, ses racines et son matériau. Mais ce qu’on retiendra avant tout, c’est qu’il s’agit d’une déclaration d’amour. À l’imaginaire en général, et à la science-fiction en particulier. Une déclaration d’amour merveilleusement mise en abyme. L’ émerveillement, voilà de quoi il retourne, encore et toujours. »

*

« La bande était née comme ça, autour des échanges de livres. J’y occupais une position particulière parce que j’écrivais mes propres romans. Ce détail faisait toujours sourire les profs (sauf Hélène Horowicz) et suscitait le mépris de mon père, mais il fascinait les autres élèves. Pas les romans eux-mêmes : le fait de couvrir des cahiers entiers pour le plaisir, d’ouvrir et de fermer des guillemets, de nommer des personnages. Comme si c’était un pouvoir tombé du ciel.

J’en avais profité pour organiser les choses à ma manière. Ce qui me poussait à écrire à ce moment-là, c’était la peur de manquer de livres ; j’étais terrifié à l’idée d’épuiser un jour le rayon SF de la bibliothèque municipale qui, pour l’essentiel, se composait des six cents premiers volumes de la collection Anticipation du Fleuve Noir et de quelques vieux Ditis illustrés par Benvenutti. J’achetais tout ce que je pouvais trouver aux Loges, mais avec l’argent de poche que je recevais, ça n’allait pas très loin : un ou deux bouquins par mois, une poignée de BD et c’était tout. »

Roland furieux
8.2

Roland furieux (1516)

Orlando furioso

Sortie : 29 septembre 2000 (France). Poésie

livre de L'Arioste

Nushku a mis 9/10.

Annotation :

[Trad. Reynard avec des gros bouts d'Orcel.]

Si longtemps envie de le lire — chaque été, "cet été !". Terriblement hésité pour les éditions toutes ces an.. décennies ; balançant pour la "traduction" classique croyant y trouver la fidélité puis récemment penchant pour la "trahison" gardant l'esprit, l'effet du poème mais devant tordre l'italien. Entre matière et manière pour paraphraser Smal. L'une me paraissait engluée dans son XIXe siècle françisant, l'autre aller au-delà du texte. Revirement, j'ai donc commencé avec celle d'Orcel, charmé, emporté, mais sans réellement imprimer le récit, porté par la langue plus que par les aventures. Entre périphrases, synonymes lointains, mots raccourcis (car Orcel doit couper et non délayer), il n'est pas toujours évident de distinguer ce qui procède de la poétique de l'Arioste du gaussage d'Orcel. J'ai donc switché sur la Reynard, à mon corps défendant, frustré de sa platitude, gêné de ses escamotages (les "pommes crues" disparaissent), simplifications et allusions lissées, réf. escamotées pour revenir de temps à autre aux parfums d'Orcel, comparant de ci de là avec l'Italien et Google trad.

Lecture toute aussi zigzagante que le "labyrinthe de l'Arioste" donc, tissant les péripéties de chevaliers et les éditions. N'était-ce pas de bon aloi ?

Drôle comme face à d'autres textes je n'ai jamais fait de telles simagrées ? Peut-être le juste milieu est-il dans le travail d'A.Rochon ? Pas facile à trouver tandis que les 4 tomes reviennent à presque 200 €… Vous ai-je déjà parlé de mes hésitations sur la trad. du Quichotte et ma lecture plusieurs fois recommencée ? A l'été prochain !

« En langue de cigale, merveilleux mélange
— Tristesse pouchkinienne et morgue des latins —,
Comme un lierre obsédant qui s’accroche et s’épanche,

[…]

Aimable et vif Arioste, renard itinérant »

(Mandelstam)

Bref, je n'ai pas évoqué le texte. C'était tout ce que j'attendais sans pour autant la surprise qu'ont pu avoir d'autres, j'imagine. J'avais eu, il y a longtemps, un cours sur l'icono du Roland et avais donc la tête déjà pleine de ces épisodes. Qui ils, faut bien l'avouer, finissent pas se ressembler voire... lasser. Mais l’envie immédiate de relire.

[Suite en commentaires]

Borders

Borders (2021)

Sortie : février 2021. Beau livre & artbook, Photographie

livre de Wilfried N'Sondé

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

"Borders" de Jean-Michel André est un projet photographique à la fois esthétique et politique qui s’inscrit dans une réflexion contemporaine sur les frontières, l’exil, les migrations et les limites géographiques et mentales.

La palette de couleurs est douce, souvent très lumineuse et les compositions extrêmement construire : pas de sur le vif, il y a chez André une dimension contemplative, voire introspective, réflexive. Pas de légende, à raison. Le risque de la simple émotion visuelle n’est donc pas loin. Pourtant, il explore les traces physiques et psychiques que les frontières laissent sur les corps et les paysages. L’expérience de l’attente, de la séparation, de la perte d’identité, du déplacement.
Le texte de N’Sondé évoque la litanie, à bout de souffle, à bout de corps.

*

« Frontières - tracés artificiels et sinistres flétrissures de l'horizon... Qui ignore encore que l'humain est entité debout, en mouvement perpétuel ? Ces barrières infligées à la Terre lacèrent la course des vents et donnent à leurs souffles des accents funèbres.
Elles sont le point final des rêves d'accueil, le coup d'arrêt des espoirs de lendemains meilleurs.Des lambeaux de chair, de la peau et du sang ornent les murs et les grillages hérissés de barbelés, du métal pour stopper les corps. Check points, miradors, cicatrices des paysages,sentinelles qui font d'un songe un cauchemar.
Qui sont-elles, ces silhouettes sans nom qui s'y précipitent la peur au ventre, poussières errant au milieu du désert, points qui clignotent et se déplacent lentement sur l'écran d'un radar balayant la surface de la mer ?
Enfants, femmes, hommes en partance, devenus traits d'union entre les mondes d'opulence et les contrées de misère. Ils se lèvent, grondent, brouillent les certitudes d'hier et démasquent les mensonges d'aujourd'hui.

Ils sont ceux qui se couchent dans la boue, manquent de s'enliser, résistent pourtant et se noient parfois sous la vague déferlante. Des fuyards, un pas, puis un autre, encore un effort vers l'avant,ne jamais abandonner, ils sont habités par une force irrésistible, l'attrait de là-bas... atteindre l'autre côté, à n'importe quel prix. »

Béatrice Helg : Géométries du silence

Béatrice Helg : Géométries du silence (2025)

[Exposition, Arles, Musée Réattu, du 5 juillet au 5 octobre 2025]

Sortie : 2025 (France). Beau livre & artbook, Photographie

livre de David Campany, Nathalie Herschdorfer et Daniel Rouvier

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

La poule devant le couteau c'est moi devant les expos de photo. Cela glisse comme sur les plumes d'un canard. Ce n'est pas que je n'apprécie pas mais, pour faire un mauvais jeu de mot, ça n'imprime pas, surtout lorsque ce sont des photos documentaires, amatrices, prises sur le vif, floues, colorées, érigées dans des tirages grand formats. Des tirages dont je ne tire pas grand chose pour moi. (par excès, par manque d'un texte explicatif, explicite.) Saturation pour ma part d'images et de cette esthétique que tout un chacun, amateur s'étant offert un petit Leika, continue sur les réseaux depuis 10 ans (photos de rues, silhouette floues penchée en N&B dans un appart haussmanien vide, etc.)
Puis il y a la photographie construite, fabriquée, plastique, filleule des Surréalistes. Helg, comme Nielsen, va plus me parler car évoquant la peinture, l'architecture. Tout tout en me gênant un peu : cela ressemble à des photoshop de jeunes ado goth qui écoutaient Within Tempation, fans de Burton et postait des arbres flous sous la lune auréolées sur leur Skyblog.

Café Salé.net Artbook 04
8.6

Café Salé.net Artbook 04 (2010)

Sortie : 12 mai 2010. Beau livre & artbook, Peinture & sculpture

livre de Collectif Café Salé

Nushku a mis 6/10.

Annotation :

Comme les précédent un triste manque de textes ; interview avec les piliers ou à l'inverse les petits nouveaux frais émoulus, step-by-step et tutods des grosses machines, tips, chronologie, glossaire, portraits (souvent ces liens Blogspot sont morts et les retrouver n'est pas si facile...). On peut entendre que cela changeait de façon radicale le type d'ouvrage et le travail à investir.

Familiers, pontes, seniors, piliers, toujours là, toujours debout : Sepjy, HK, Yuio, Bandini, Emmanuel Malin, Gax, Gate, Meignaud, j'en oublie. D'autres que j'oublie ou ne reconnais pas... Tandis que le cœur du forum, le noyau originel, autrement dit les stars, ont quasiment disparus, happés par leur carrière : Sparth, Simenonetti, Viag, Briclot apparaît par endroits, Made... etc.

Sinon cela ne tourne-t-il pas en rond ? Dans l'esthétique, la technique, les ambiances. Les volumes se suivent et se ressemble à peu près, si ce n'est la lente évolution générale.

Pièces
7.5

Pièces (1961)

Le Grand Recueil III

Sortie : 1961 (France). Poésie

livre de Francis Ponge

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

« Il aura suffi d'y penser ou plutôt encore de l'écrire. »

Pièces est le troisième volume du Grand recueil, après Lyres et Méthodes, paru en 1961 et qui regroupe ses poèmes présentés dans l'ordre chronologique. Solution de continuité avec le Parti pris des choses, ceci dit ici avec plus de variété, partant d’hétéroclité, parfois, osons le dire, plus de lassitude, dans un tri chronologique linéaire. Je reste happé par l'idée du dossier-poème, mettant à nu l'ossature, dévoilant les rouages, les variations, quitte à laisser des trous ou des parties de guingois. Tout poète (poème ?) devrait y passer.

(Barthes et Derrida en embuscade. Je trouve la glose pongesque étonnamment verbeuse.)

*

« (Le fait que la vie est un phénomène chimique explique aussi la confusion qui la caractérise, la lutte incessante des corps les uns avec les autres, Cela va ensemble. Et les repentirs. Le remords.)... est étroitement condamnée parses mœurs. »

« Ainsi, plongé dans le désordre absurde et de mauvais goût du monde, dans le chaos inouï des nuits, l'homme du moins compte les soleils »

« À son propos ainsi à son image, me faut-il lancer des phrases à la fois assez hardies et sortant uniquement de moi, mais assez solides et faire ma démarche assez légère, pour que mon corps sans les rompre sur elles prenne appui pour en imaginer lancer d'autres en sens divers - et même en sens contraire par quoi soit si parfaitement tramé mon ouvrage, que ma panse [pensée] dès lors puisse s'y reposer, s'y tapir, et que je puisse y convoquer mes proies - vous, lecteurs, vous, attention de mes lecteurs afin de vous dévorer ensuite en silence (ce qu'on appelle la gloire)..

Oui, soudain, d'un angle de la pièce me voici à grands pas me précipitant sur vous, attention de mes lecteurs prise au piège de mon ouvrage de bave, et ce n'est pas le moment le moins réjouissant du jeu : c'est ici que je vous pique et vous endors ! »

La Littérature nazie en Amérique
7.6

La Littérature nazie en Amérique (1996)

Literatura nazi en América

Sortie : 2003 (France). Recueil de nouvelles, Littérature & linguistique

livre de Roberto Bolaño

Nushku a mis 8/10.

Annotation :

/ (La littérature hispanophone [ainsi que la littérature allemande, plus précisément autrichienne] sont les deux parents pauvres de mes lectures. Oh, je vois les Nobel défiler, mes éclaireurs les classer haut, si haut et je n'y viens pourtant jamais ou à mon corps défendant, comme forcé. Obligé d’aimer. Sans doute la seule sphère ou cette pression parasociale se fait jour (consciemment, sûrement)./

Bolanõ et moi ce ne sera jamais l'amour ouf. Ce sera une histoire de malgrés. Malgré les jeux, les faux-semblants, le mal, sans majuscule, en sourdine... comme chez d'autres des fixes de mon ciel immense. Car quelque chose me gène dans son style ou plus précisément me manque. Froid et sec mais sans la justesse précise de Borges. La distance. Ce n'est pas la faute aux traducteurs je pense mais quelque chose de consubstantiel à son approche littéraire. L'on pourrait penser à un contraste entre son grand sujet et la méthode, par la bande, de biais, through a looking glass disent-ils et ce style neutre mais cela ne fait guère d'étincelles. Je crois que les Détectives seront le grand livre que j'aurais aimé aimer (voire écrire ?), en vain. "Malgré que" si l'on me permet la faute.

Oh pourtant je me suis pris au jeu malgré ne pas pouvoir saisir, sans doute, toutes les allusions littéraires américaines, politiques, idiomatiques. Qu'importe, la sauce finit par prendre. Non par grands coups de fouet mais le moulinet constant, les éclats d'humour, d'évocation en demi-phrases, une ironie certes distante mais jamais surplombante et donc méprisante. Ce n'est pas ce jeu de miroirs, gimmicks faciles qui font écran de fumée.
Les vies que j'ai le moins aimées sont donc les deux dernières, plus longues, narratives, plus romanesques, plus bolanuesques ? Dont ce poète-tueur-aviateur qui deviendra Étoile distante.

J'aime quand les écrivains résument leur approche en une seule phrase au détour d'un paragraphe aux airs anodins : « un reflet distordu au milieu d'un chaos d'histoires ». Ou même de la littérature même ?

*

[Heredia] : « et La Confession de la rose (1958), où il renonce aux grands espaces du pays pour se concentrer sur l’intérieur d’un asile d’aliénés et même sur l’intérieur des têtes des patients, avec un emploi abondant du monologue intérieur, de points de vue différents et d’un jargon “médico-détectivesque” qu’en son temps on applaudit chaleureusement. »

Les Noces de Cadmos et d'Harmonie
7.6

Les Noces de Cadmos et d'Harmonie (1988)

Le nozze di Cadmo e Armonia

Sortie : février 1991 (France). Essai

livre de Roberto Calasso

Nushku a mis 7/10.

Annotation :

Quelle frustration quand un livre nous tombe des mains. Nous nous sommes trompés de période, le temps était à une autre lecture. Sur la fin, le temps aura advenu.

Lire Calasso est un délice et un défi. C'est qu'il faut lâcher prise tout en étant dans un état presque second de concentration, d'acuité intellectuelle, pour se perdre en le suivant dans les pérégrinations de son labyrinthe mental ; le coq à l'âne originel.
Moins dense et difficile, dira-t-on, que la Ruine de Kash.
Le livre est fragmentaire, composé de micro-histoires mythologiques, des connues mais surtout des moins connues, de citations à peine attribuées, de récits et de réflexions philosophiques au sens le plus large, menant parfois à une pensée métaphysique. Dans le flou. Il ne suit pas une logique discursive classique mais cherche plutôt à suggérer un sens par l’accumulation, les échos et leurs correspondances.

Décousu, disparate, troué de béances comme ces grandes toiles de l'artiste Saraceno où l'ennui peut tomber et des pépites de sagesse de son auteur. En effet, l'Italien se place dans un entre-deux, un entre-sol fertile : il a les pieds dedans, les mains dans son jus mais, gardant la tête hors de l'eau et dans les nuages peut la voir dans son ensemble.
La première partie tend à lasser tandis que la seconde, plus anaytique, plus calessienne, emporte, trace.

« Dionysos offrit la couronne à Ariane en cadeau pour leurs premières noces. La couronne, signe de tout ce qui est parfait, tel un héraut du silence propice, avait exercé une séduction enveloppante. Mais, en grec, "séduire" veut dire "détruire" : phtheirein. La couronne est la perfection de la tromperie, c'est la tromperie qui se referme sur elle-même, la perfection qui inclut en elle la tromperie. »

Dans Le Monde, à l'époque : « En Italie, on a lu les Noces comme une fiction, explique Roberto Calasso. C'est, au sens strict, une mythographie. Je ne suis pas favorable à ces définitions restrictives du roman et du romanesque que l'on donne parfois, en France notamment. La grandeur du roman est de ne pouvoir être enfermé dans aucune forme rigide. Sa seule contrainte, et ce qui l'identifie, est d'être une narration. Dans Balzac, on trouve des dizaines de pages de réflexions, d'analyses, de digressions. Or, si Balzac n'est pas un romancier, qui l'est ? Ma façon de comprendre le mythe ne peut s'exprimer qu'à travers une narration. Le récit ne peut être compris que par un autre récit. Il y a des choses qui sont dites dans le récit et

La Bulle de Tiepolo
5.2

La Bulle de Tiepolo (2005)

Sortie : juin 2007 (France). Roman

livre de Philippe Delerm

Nushku a mis 4/10.

Annotation :

Doublement eu. Dès que ça a l'air d'évoquer de près ou de loin, en long ou en court, la peinture, j'accours. Et car oublié ce que c'était Derlem. Le pire c'est qu'un jour je lirai son Sundborn !

Je parlais de la vie triste terne chez Beucler. N'est ce pas là aussi le petit vivotage médiocre monté à peine en épingle ? Normal de s'y retrouver (si vous appartenez aux mêmes catégories que Delerm, bien entendu !) tant c'est du passe-plat quelconque. Il y a clairement de l'auto... dérision ? justification ? avec ce livre dans le livre, Granité café, évoquant clairement la Première gorgée de bière & cie. Court en longueur et sur pattes. Tout y est un peu mou, un peu triste, fatigué, arriéré dans le siècle.

Des phrases mi-molles sur la vie : " Celui qui veut garder les instants n’est-il pas toujours aussi celui qui ne sait pas les vivre ? "

Ceci étant, les deux-trois passages sur Tiepolo fils (pas Giambattista, le père) et Vuillard ne sont pas si pires que ça. (Michon évidemment à l'arrière-plan du crâne, l'attente).

« Cerner les métaphores secrètes d'une œuvre, non pour l'expliquer, mais pour ouvrir des pistes de lecture, des rencontres possibles avec les questionnements les plus intimes des spectateurs, qu'on voit toujours de dos. »

*

« C’est tout à fait nouveau, cette sensation de fêlure qu’il imagine dans l’univers de Vuillard. Jusqu’à présent, ce choix de l’intérieur — toujours des chambres où l’on pourrait rester malade, des salons étouffés par le poids des étoffes, un éclairage de petit jour derrière une fenêtre, mais plus souvent de lampes basses allumées sur fond de papier peint — lui apparaissait comme la marque d’un monde indéfectible, où il avait plaisir à s’enfoncer parce que rien ne pouvait s’y passer — rien d’autre que l’aventure du style. Bien sûr, il sentait cette mélancolie qui s’attachait à l’inclinaison d’une épaule, cette femme cousant de dos près de sa compagne, sous la suspension. Bien sûr, sous la quiétude apparente de la scène, il aimait qu’on puisse envisager des pistes opposées, tristesse, sérénité, attente, blessures, espérance, résignation. Mais la force de cette incertitude était une question de forme, le chemin audacieux, presque maladroit, de la ligne d’épaule. »

Nushku

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