Le cinéma en 2019

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Remercions SensCritique pour la suppression de mes activités sur le film, et donc de mon annotation.

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Je suis assez impressionné je dois dire, rarement j'aurais vu un documentariste aussi proche de la neutralité - si tant est qu'elle soit possible -, de la simple volonté d'un constat froid. Plans long, topographie de la ville, ni voix-off ni entretien et toujours une distance entre la caméra et le sujet pour ne sombrer ni dans l'empathie, ni dans le mépris. « Les choses sont là, pourquoi les manipuler ? » disait Rosselini, ça se prête bien à Wiseman - du moins à ce film - on est face à la photographie d'une part des Etats-Unis, un simple constat, Wiseman tourne autour de la ville, laisse les choses se faire, et le spectateur reste seul juge et interprète des images.

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Sur le papier, le film a tout pour m'agacer mais je dois avouer qu'il fonctionne plutôt bien. Peut-être parce qu'il renoue avec l'évidence d'un certain idéalisme que l'on trouvait dans le classicisme hollywoodien (la comparaison avec Capra ne me parait pas totalement fausse) et qu'il parvient de ce fait à nous faire oublier le didactisme et la naïveté de son discours. Il le doit aussi à cette espèce de ligne claire qui le parcours, à sa fraicheur vivifiante, à son humour bien dosé et à la pudeur de ses émotions. Et puis bien entendu, il y a ce duo d'acteurs, caricatural, oui, mais assumé comme tel avec bienveillance, en résulte une harmonie et une beauté certaine assez désarmante.

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Je trouve le film assez touchant, mais quelque chose me déplaît dans sa structure, je l'ai ressenti dès le départ dans le montage, où de façon un peu maladroite, raté, on atterrit dans la famille d'Eastwood, puis plus tard chez les DEA. Disons que ça m'a semblé forcé, bancal, et en règle général, je trouve la venue de thriller dans le film, un peu vulgaire, même si elle amène à deux belles choses à la fin du film : un renvoi à Un Monde Parfait et une transmission d'une génération à l'autre, qui malgré sa simplicité trouve une certaine émotion dans sa dimension testamentaire (et on sait aussi que cette idée de transmission est essentielle chez Eastwood). Là où le film me plait par contre, c'est quand il se consacre uniquement au personnage d'Eastwood, qui semble tout droit revenu d'entre les morts pour porter un dernier regard sur son époque, pour se rattraper, s'excuser et pour en quelque sorte reconstruire (c'est parfois un peu vulgaire, mais la nonchalance et la légèreté assumés incitent à la bienveillance). Il le fera financièrement dans un premier temps, et réussira à reconstituer des lieux propres à une communauté (les vétérans etc...) puis physiquement, dans un adieu paisible, en reconstituant, rejoignant sa cellule familiale délaissée. Bref je trouve le film très maladroit dans sa dramaturgie, mais il y a quelque chose d'assez beau - et très drôle n'oublions pas le ton du film - dans ce qu'il a de plus intime.

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J'ai aimé, mais il y a un entre deux de ton, de forme dans le film qui fait qu'il ne m'a pas complètement touché. Il y a une grande pudeur, si ce n'est une réserve dans la mise en scène d'Hamaguchi, une grande précision dans la composition qui - pour moi - ne laisse pas place à l'imprévu, à la passion à la rupture formelle, or c'est ce qu'Hamaguchi semble faire. Il y a ces quelques rares plans qui arrivent sans prévenir et semblent tirés d'un drama ou d'un anime (à titre d'exemple la rencontre entre Asako et Baku), ou encore ces sursauts presque oniriques dans le film (le retour de Baku au restaurant) et plus généralement l'amour fou, déraisonné d'Asako, tout cela semble aller au-delà de ce que la mise en scène autorise. En soit, ce style est compréhensible et à l'image de son héroïne aux passions et rêveries dissimulés derrière une grande réserve, mais ça n'a pas entièrement pris chez moi, j'y ai ressenti une certaine distance - avec je le reconnais quelques percées - voire un certain mauvais goût par moment.

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Fondamentalement, le plan séquence de ce film et celui de Kaili Blues existent pour la même raison : filmer en plan séquence, donc au présent, un lieu (réel ou rêvée) où les strates mémorielles et temporelles s'entrecroisent. L'idée est belle, intelligente et son exécution dans KB reste un des plus beaux gestes cinématographiques de ces dernières années, par contre dans ce film son exécution me semble raté. C'est à dire que le plan séquence de KB n'était pas soumis à l'idée de performance, il ne montrait pas sa technique, il était même instable, il laissait place à l'accident, à la déroute et seule son essence et son émotion existaient. C'est tout le contraire dans ce film, tout est là pour nous rappeler systématiquement la performance, non seulement dans sa technique pure et sa gratuité (le plan en tyrolienne, l'envolée, le cheval qui frôle le caméra...), mais surtout dans la connivence qu'il crée avec le spectateur à plusieurs instants : que se passe t-il si Luo perd au ping-pong ? Si le voyou ne marque pas le point au billard ? etc... . Tout ça crée non seulement une vision permanente du dispositif mais aussi une brèche avec notre réalité* qui va à l'encontre du désir sensoriel du film, et du voyage au sein de la mémoire du héros.

Et puisque Bi Gan se plait à citer Tarkovski, je vais le faire également : je comparerais certains éléments de ce plan séquence, à celui de la bougie dans Nostalghia, dans les deux cas, la réussite du plan est soumis à la réussite de l'action du protagoniste, cependant chez Gan cette réussite n'est là que pour renforcer la performance, si le héros échoue, le plan (perf) échoue, or chez Tarkovski non seulement les échecs du héros sont filmés mais la réussite de l'action donc du plan est sous tendu par ce qui fait vibrer le film : la survie de la foi et de l'espoir de Tarkovski. Un plan séquence comme acte de foi donc, non comme volonté performative.

* on pourrait me rétorquer, que cette brèche est voulue, la scène - ridicule - des lunettes et Lu essoufflé après l'envolée de la caméra (qui a du parcourir en vitesse le chemin pour arriver à l’atterrissage) vont dans ce sens. Mais pourquoi ? Je ne vois pas l'intention, et pire ça va à l'encontre de l'entreprise du film.

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J'ai du mal à comprendre les intentions de Jia Zhang-Ke, ou du moins, j'ai du mal à voir où se place son regard, à tel point que je trouve sa démarche un peu boursouflé et malhonnête. Dans sa grande construction elliptique il semble vouloir observer deux choses : le drame d'une femme qui s'est sacrifié, et les mutations socio-économique de son environnement, donc de la Chine. Il y a quelque chose qui ressemble avant tout à une volonté d'épater dans ce cinéma, et ce grâce à une structure audacieuse et complexe qui se garde bien de cacher ses effets. L'héroïne est ballottée de drames en rejets et jamais Jia Zhang-Ke ne se place de son côté ou semble s'intéresser un tant soit peu à ses sentiments, de même pour l'aspect socio-économique qui me semble plus là en toile de fond pour faire parler plutôt que pour transmettre véritablement quelque chose, un discours ou une vision.

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Vers les trois-quarts du film, Moretti, alors qu'il s'était jusque-là confiner au hors-champ, apparaît brusquement dans le cadre. De ce simple geste, alors que le film était jusque-là bien trop classique dans sa forme, émane un cri, une amertume, Moretti y avoue sans détour son impartialité, et alors que le récit (qui me tient à cœur) continue, Santiago, Italia trouvent tristement des échos contemporains. Il y a les images déjà, comme celles, terribles, d'une femme abattue, qui trouvent des résonances contemporaines, mais surtout de ces échos entre deux époques, ressortent les pires affres de la nôtre, qui nous a muré dans le silence et l'individualisme, et où nos « élites » ne finissent plus de patauger dans la crasse et l'inhumanité.

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Assez partagé, il y a de très beaux moments, qui sonnent très justes (je reconnais avoir un faible pour ce genre d'histoire) mais la position de Philippe Lesage par rapport à son sujet me déplait un peu. Ce n'est pas tant la distance qu'il opère avec le(s) sujet(s) filmé(s) qui m'interpelle, d'un pur point de vue de l'image l'équilibre me semble suffisamment juste pour ne sombrer ni dans l'observation clinique ni dans le pathos (d'un pur point de vue de l'image, je le répète). Par contre il en est suffisamment éloigné pour ne pas être « avec » les personnages mais dans une position de manipulateur - bien attentionné certes -, disons que Lesage me parait toujours avoir un coup d'avance sur ses personnages, il sait toujours avant eux ce qu'il va leur arriver et les y emmène promptement. Au programme : les premiers émois certes, mais surtout les premiers chagrins, déceptions et (donc) la découverte de soi même. Il ne faudra donc pas louper le moment de la larme : long travelling larmoyant étouffant l'adolescent(e), longue musique doloro-mélancolique et tout le tatouin, il ne faut pas louper le moment de larme, on est là pour ça. Le traitement des personnages entourant les 3 protagonistes n'est pas forcément très glorieux non plus, ils servent le programme, souvent grossièrement, Lesage l'assume pleinement, ils n'ont jamais le droit à leur plan, et lors de chaque séparation, un panoramique les écartera du film (ouste, tu reviendras demain - ou jamais).

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C'est tout de même un peu frustrant, il y a par instants des choses très belles, j'aime beaucoup le début du film, et cette façon qu'a Reygadas de capter cette terre et ces gens qui la peuple sans distinction de sexe et de classe, cette façon de filmer ces quelques instants de vie éphémères, cet autre temps qui révèlera toute sa beauté une fois confronté aux images de la ville. Ça, c'est pour la première partie - très courte - du film, Reygadas abandonne très vite tout cela pour se confiner à un petit drame bourgeois d'une vacuité assommante. A partir de là, le film devient au mieux ridicule, au pire très irritant, il tente bien de dire quelque chose des relations de couple, ou du moins essaye de le faire croire mais tout ça ne vole pas très haut malgré tous les efforts pompiers de la mise en scène (et il y a de quoi rire à certains instants !) pour nous faire croire que c'est le cas. Et quand bien même ça le serait, le tout me parait bien trop faux et plein de complaisance pour témoigner d'un vrai regard et d'une vraie analyse allant au delà du petit nombril de Reygadas. C'est tout de même un peu triste de voir ces cinéastes se débattre autant avec leur caméra pour se donner des airs de grand auteur afin de cacher le fait qu'ils n'ont rien à transmettre ou à dire, le pire pour Reygadas, c'est qu'il le fait avec le plus grand des sérieux.

(Merci de m'avoir rappelé l'existence d'Islands de King Crimson par contre)