Le rapport à la nature dans le jeu vidéo

Annotation :

Je vais surtout parler de jeux auxquels j'ai joué, sans thèse profonde ou fil conducteur net.

Il faut remarquer d'emblée que c'est putain de difficile de présenter un écosystème dans toute sa splendeur et sa complexité.

Modéliser un arbre, c'est relativement facile. Mais chaque arbre est unique, a une histoire, des différences de formes et un contexte particulier. Chaque espèce d'arbre interagit avec une pléthore d'atures formes de vie...

C'est vraiment difficile, et trop s'attarder sur ces 'détails' coûte du temps, de l'argent, et sûrement des images par secondes. Et ce sont, aux yeux des développeurs, et des joueurs, des 'détails'.

L'humain est au cœur des aventures vidéoludiques. Le reste du monde vivant est relégué au second plan, en tant que décor de fond, de mécanique d'histoire ou de gameplay. D'élément éphémère jouant un rôle symbolique. Rarement une fin en soi, ou un aspect fondamental du gameplay.

On retrouve souvent par exemple dans Skyrim une présentation extrêmement simplifiée de la forêt. Des conifères à foison, des grandes étendues montagnardes générées procéduralement, des arbres espacés de façon semi-aléatoire. Quelques plantes d'intérêt pour le joueur. Pour le reste, souvent, un décor de fond et pas grand-chose de plus.

Annotation :

L'hostilité. La peur.

Le monde sauvage, c'est le danger, l'aggression. Cette présentation du monde naturel domine de façon écrasante la représentation qu'on peut trouver dans le jeu vidéo (et une bonne partie de la culture occidentale/mondialisée contemporaine).

Un ours, par défaut dans un jeu vidéo, ça attaque sans réfléchir. Un loup isolé également. Ca fonce. C'est un danger. Aucune coexistence possible. C'est l'homme ou la nature, pas les deux. Peu importe que dans la vraie vie, un ours va GENERALEMENT, SANS CONTEXTE PARTICULIER CHANGEANT LA DONNE éviter le contact humain, fuir et rechigner à se battre. Non, dans le jeu vidéo, l'être humain est une proie tant qu'il ne devient pas pré-emptivement prédateur. Le conflit viendra à lui inévitablement s'il n'agit pas ainsi.

Sans domination de ce monde naturel pour le soumettre à son contrôle, sans rapport de forces, l'être humain ne peut exister sans danger. Tout espace hors du contrôle de l'humain est automatiquement hostile, suscite la peur et la tension.

J'ai parlé d'ours, mais les jeux vidéo regorgent de bestioles surnaturelles encore plus puissantes et automatiquement dangereuses. Beaucoup présentent une spontanéité émotionnelle forte, de la colère brute. La symbolique et le rapport émotionnel entre l'humain (le joueur) et la nature sont très riches à analyser.

Annotation :

Un autre cas de figure extrêmement fréquent.

La nature vue uniquement comme une ressource, et traitée de façon linéaire comme telle.

Là-bas, il y a du minerai. On y va, on l'extrait, point. Le bois, on le coupe. L'animal, on le tue. Ce ne sont que des ressources.

Aucune réflexion sur les conséquences écosystémiques du déboisement et aucune interrogation sur les conséquences des actes de prélèvement. Ces conséquences n'existent donc pas aux yeux de ceux qui infligent ces perturbations. Aucune sensibilité par rapport au vivant, ou au naturel. Regard purement extractiviste et fonctionnel.

Le vivant n'existe pas. Il n'y a aucune différence dans la présentation entre une pierre et un arbre, un poisson et une lance.

Annotation :

La nature est un terrain de jeu. Hostile de nuit, navigable le jour. Rien n'est impénétrable ou inaccessible. Tout est aisément remplaçable. Un bac à sable au sens le plus brut du terme. Il y aura toujours du sable, et tout ce qui est atteignable peut être soumis à la volonté du joueur.

Le monde proposé a une souplesse telle qu'on y voit autant le regard et la culture de la personne derrière le clavier que ce que le jeu présente de lui-même. Le joueur/la joueuse peut tout soumettre à son contrôle, industrialiser, extraire, réduire des zones entières à néant. Tout comme il y a la possibilité de vivre dans un environnement très peu travaillé.

Cependant, les animaux étant tellement jetables par construction, et les écosystèmes imperturbables et trop simplistes, il manque des pans entiers du fonctionnement du monde vivant pour sortir de cet aspect bac à sable et prendre le jeu au sérieux. Le monde vivant est pris pour acquis, et l'être humain n'a pas un impact mesurable ou important, dans cet univers.

Annotation :

L'un des rares jeux à avoir des messages et une réflexion écologique.

Il s'agit d'une espèce de jeu d'optimisation dans lequel on positionne des éléments technologiques ayant un rôle de régénération précis (un truc qui fait venir la pluie, un drone qui plante des graines, ...) pour transformer un désert en lieu buissonnant de vie. Il existe une version gratuite sur itch.

Je m'attends à ce que ce jeu ait des reviews très favorables, tellement il est bienséant et confortable dans ce qu'il prodigue (le gameplay est accrocheur, par ailleurs, et l'esthétique de la version itch chatoyante).

Refus d'accepter certains principes élémentaires du fonctionnement des écosystèmes :
- La nature n'a pas besoin de nous pour se reconstruire dans beaucoup d'endroits.
- Les solutions ultra-technologiques pour régénérer une zone nécessitent de détruire d'autres endroits pour produire ces technologies
- A la place d'utiliser des solutions très simples, rustiques, en jouant sur les cycles de succession des écosystèmes et de la bonne gestion de l'eau, il faut à tout prix des solutions ultra-technologiques qui n'existent pas encore et n'existeront peut-être jamais.


Et donc :

Manque de confiance en la nature, au point où on peut peut-être penser que le regard derrière ce jeu est celui de quelqu'un qui ne la voit que de loin.

Lien non effectué entre la technologie utilisée pour créer ces zones dévastées, et la technologie (utopique, à l'heure actuelle, soit dit en passant) utilisée pour réparer. Comme si on pouvait, fondamentalement, réparer les erreurs effectuées par un regard technocratique et des outils de la civilisation industrielle en prenant une approche technocratique et des outils de la civilisation industrielle, c'est-à-dire en ne changeant rien.

Il faut à tout prix que l'homme apporte la solution. Le monde vivant et naturel n'a pas le droit d'utiliser des solutions préexistantes, et l'homme n'est pas tenu de coopérer avec ces forces-là. Il faut qu'il invente dans sa tour d'ivoire des miracles pour réparer """les conneries des autres""", en utilisant pourtant les mêmes outils.

NB : Je me suis bien amusé sur ce jeu, même si au fond je déteste le message et la mentalité véhiculés.


Ne croyez pas que ce jeu soit un pas dans une bonne direction. C'est comme dire qu'Avatar est un jeu avec des velléités écologiques.
Même si dans ce film l'histoire a peut-être une telle prétention, ce que le contexte véhicule, c'est cet amour et cet intérêt pour l'ultra-technologie in

Annotation :

On pourrait croire que ce jeu d'apparence contemplatif et visant sur le papier à proposer une aventure toute en détente et à construire un rapport avec ce que certains appellent 'la nature' serait un exemple de tolérance et d'un regard un peu différent.

Il n'en est rien. Ici, on est dans l'incarnation la plus extractiviste et productiviste, la volonté de contrôle la plus totale, le rejet du chaos, de la complexité, des écosystèmes.

Les arbres sont une gêne. Peu importe qu'il existe des modèles passés et présents fonctionnels et ayant un tas d'avantages sur l'agriculture industrielle et sur la culture de la terre mise à nu. Ici, c'est le modèle industriel dit 'conventionnel', sinon rien.

La permaculture ? Non. Il faut labourer, il faut de l'engrais. Les herbes spontanées ne faisant pas partie de la culture sont des mauvaises herbes. Il faut les détuire.

Simplification, monoculture. Nous sommes dans l'un des jeux avec un des regards les moins tolérants du naturel dans son design et renforçant le plus l'idée inconsciente qui sous-tend la technocratie que l'homme et la nature sont fondamentalement distincts et incompatibles.

Animal Crossing et les Sims partagent un certain nombre d'éléments avec Stardew Valley sur ces points.

Annotation :

Les Pokémon sauvage ne sont pas territoriaux, ils sont agressifs.

Seul un rapport avec un humain peut tempérer leur caractère, leur spontanéité forcément dangereuse.

Le monde naturel n'est pas tellement vu comme dangereux. Il est vu à travers les yeux d'un enfant, traversant des grottes sombres, des donjons et des villages avec le même regard naïf, et la monomanie constante de poursuivre cette aventure obsessive.

Les Pokémon ne se mangent pas les uns les autres. Ils ne meurent pas dans la nature, ne se reproduisent pas dans la nature, il n'y a pas de cadavre de Pokémon. Ils sont tous compatibles en tant qu'animaux de compagnie pour les humains, mais pas du genre à aboyer quand tu as le dos tourné et à avoir leur propre personnalité, non. Ils sont bien rangés dans leur boîte, et sortent uniquement quand l'humain en a besoin. Ils n'ont pas de traits propres une fois capturés.

Ce sont des caricatures d'un regard anthropocentré incapable de concevoir la nature dans sa complexité, et refusant de s'intéresser à certains mécanismes fondamentaux des écosystèmes, comme la prédation, la mort, la sexualité et le processus de dégradation. Tout ce qui est associé à l'émotionnel, au sauvage, au spontané.

Annotation :

Rapport extrêmement différent au naturel, issu d'une culture non occidentale.

Présence beaucoup plus marquée du céleste.

Sans un guide, l'humain se perd en refusant d'accepter les forces divines bénéfiques issues du naturel, et se retrouve à libérer des forces maléfiques.

Le mal dénature et fait perdre de sa vie à l'environnement. Le mal, c'est le froid, la non-vie et le désert naturel. Le vaincre, c'est restaurer et refaire jaillir la vie, mais n'est pas possible par un humain seul.

Différents symboles incarnant le spontané -le loup, l'artiste, par exemple- cette fois-ci pris au sérieux et non dévalorisés.

Annotation :

La nature contemplative.

La sous-partie considérée comme belle et acceptable aux yeux de beaucoup.

Pas de ronces, pas de petites fleurs sauvages pas remarquables. Pas de moustiques et de marais gluants et boueux.

Des fleurs dans des prairies, et c'est tout. Prairies qui ressemblent plus à des monocultures de gazon et d'éoliennes à mes yeux que l'image des zones extrêmement diversifiées qu'on peut trouver en France, quoique les grandes plaines états-uniennes fonctionnent peut-être très différemment.

Le monde des humains du début du jeu est morne et gris. La beauté ne peut pas y être, la nature non plus.

Annotation :

La nature, c'est le terrain de nos peurs.

Aucun répit dans Limbo. Loin d'être neutre, la nature est la source de tous les dangers. Tout veut nuire. Le monde naturel est terrifiant, faisant écho à la peur de la nature fréquemment ancrée dans notre culture.

Certes, le monde industriel s'avère tout aussi dangereux. Mais là où les décors en-dehors de la ville présentent une certaine vraisemblance, une partie des usines traversées est complètement abstraite dans sa structure, un dédale incohérent et ainsi partiellement déconnecté de la réalité. Et la ville qu'on traverse ensuite semble humaine mais est plus un parcours d'obstacle en ruine qu'un environnement directement hostile. Et la ruine abandonnée relève plus de la nature, de ce qui échappe au contrôle de l'humain que de l'artificiel et de l'ordre.

Annotation :

Le rôle du Witcher a quelque chose de symbolique.

Le monde naturel est hostile, source de créatures dangereuses et même anti-humaines par essence. Vivre dans la campagne, c'est risquer sa vie. Chaque village a ses morts, ses disparus, ses créatures hantant la vie des résidents.

La sécurité, c'est la ville.

Le Witcher incarne le garde-fou entre le monde naturel et le monde humain, qui sont donc ici deux choses très distinctes. Il a un pouvoir que les autres non pas, une capacité à combattre et à comprendre ce monde naturel.

En ce sens, le Witcher relève plus, aux yeux des humains, du monde naturel que du monde des humains. Incompris par les humains apeurés et méfiants, échappant aux contraintes de leur culture de la peur, le Witcher est un pariah. Une interface nécessaire pour conserver l'équilibre entre ces deux mondes, mais trop teinté par le naturel, au point où il n'est plus tout à fait humain. De même, elfes et nains relèvent du non-humain, et subissent un traitement très semblable.

Il s'avère, quand on creuse un peu, que le monde naturel n'est pas toujours éminemment incompatible avec l'espèce humaine (et vice-versa). Le Witcher arrive à faire la part des choses entre l'anti-humain, et toutes ces créatures (souvent, par contre, humanoïdes) qui ne sont pas intrinsèquement hostiles.

Par contre, le naturel reste fondamentalement incompatible avec l'humain qui lui, voit le monde de façon manichéenne et ne reconnaît pas l'existence de créatures neutres.

Il faudrait que je rejoue aux 3 jeux parce que je pense que ce regard est incomplet. Je pense par exemple à Skellige, dans le 3, où le rapport est peut-être un peu différent, et la présence du Witcher non indispensable dans ce qui constitue vraisemblablement une dualité moins tranchée.

Annotation :

L'une des thématiques sous-jacentes à Thief 1 et 2 est celle du paganisme et des forces naturelles associées.

Thief 2 oppose les païens et la puissance des forces naturelles libérée au machinisme, à la structure et à l'industriel ordonné et froid des Mécanistes.

La série transmettant beaucoup de détails et de narration par son level design, c'est autant voire plus par les environnements que cette dualité se ressent que dans les éléments d'histoire. Les païens vivent dans des cabanes désordonnées dans des forêts sombres et chaotiques, les machinistes sont dans des bâtiments géométriques et précis, éclairés et métalliques.

Garrett est un intermédiaire qui n'a pas de réelle vocation de maintien d'équilibre, même s'il joue finalement ce rôle, s'opposant à l'un et l'autre des extrêmes dans les deux jeux, et par son rapport historique avec les Gardiens. Son comportement qui paraît certainement erratique et évasifs aux yeux de ses ennemis agit dans l'opposition à la structure et du rejet de l'ordre humain en place.

Pour autant, Garrett dépend inévitablement des humains et vit dans la Cité. La nature est un lieu de passage dans laquelle sa présence est tolérée, mais pas bienvenue. Si son rapport ambivalent avec Viktoria finit par suggérer qu'il retrouve plus de ses valeurs en ce qu'elle incarne, Garrett ne perturbera jamais cet équilibre dans la direction favorable à Viktoria.

Annotation :

La nature est un élément de décor dans lequel la voiture ne peut pas s'épanouir, constituant inconsciemment une gêne pour l'humain contemporain cherchant à se défouler.