Liste de

23 films

créee il y a plus de 6 ans · modifiée il y a plus de 5 ans

Harakiri
8.6
1.

Harakiri (1962)

Seppuku

2 h 13 min. Sortie : 24 juillet 1963 (France). Drame

Film de Masaki Kobayashi

Marius Jouanny a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Par où commencer, si ce n’est par le constat indéniable d’avoir pris la plus grosse claque cinématographique depuis un sacré bout de temps ? Ce « Hara-Kiri » est tellement plus qu’un film de samouraïs… Il traite avant tout de la dignité humaine : celle qu’on a retiré à 10 000 samouraïs devenus sans emploi du jour au lendemain par décision impériale, et qu’ils tentent désespérément de retrouver, par tous les moyens, y compris bien évidemment la pratique qui donne son nom au film. La portée sociale du film est essentielle car elle confère toute la consistance au tragique qui s’insinue peu à peu, dans une logique progressive astucieusement amenée par les enchâssements de récits. Car c’est bien là que réside toute la liqueur du film de Kobayashi : il garde ses meilleures cartes, aussi bien en terme narratif que de mise en scène, pour la dernière partie dont l’explosion iconique et antisystème vaut bien celle d’un film de Leone.

Je vois en lui un Park-Chan-Wook, avec la même obsession du cadre symétrique parfait et du mouvement millimétré, mais dénué de tout maniérisme, de l’enrobage outrancier : le spectacle de « Hara-Kiri » est beau démesuré, il n’en reste pas moins la plupart du temps une très modeste et émouvante plongée historique et sociale. Le générique de début, parcourant les lieux déserts qui seront répandus de sangs et de corps en suspensions dans le combat final, annonce magnifiquement la couleur : avec une maîtrise absolue, Kobayashi compte bien mêler des intentions historiques côtoyant un certain réalisme à la virtuosité formelle époustouflante de son cadre. Dans cette optique, le combat au sommet de cette montagne, avec les herbes hautes courbées par le vent et la fumée comme attestant d’une tension en ébullition, est un paroxysme comme on en voit très peu au cinéma. Mine de rien, en 2H15, Kobayashi atteint et transcende même l’imaginaire du cinéma japonais par l’érosion du pouvoir impérial dans le sang et la fureur : on tient peut-être là le classique nippon ultime, aux côtés des « Sept Samouraïs ».

In the Mood for Love
7.8
2.

In the Mood for Love (2000)

Fa yeung nin wa

1 h 38 min. Sortie : 8 novembre 2000 (France). Drame, Romance

Film de Wong Kar-Wai

Marius Jouanny a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Rétrospectivement, il serait facile de voir dans la filmographie de Wonk-Kar-Wai une certaine redondance, celui-ci racontant toujours peu ou prou des histoires d’amours manquées, des destins brisés par des cœurs incapables de battre à l’unisson. Cependant le chemin tracé de « Chunking Express » à « In the mood for love » est celui de l’adolescence à l’âge adulte d’un cinéma qui gagne en maturité et trouve une saveur différente. Dans le premier, c’est l’instabilité émotionnelle des personnages, un idéalisme brouillant les perceptions du réel et empêchant l’union des âmes dans une ambiance fiévreuse et frénétique à un tel point que le cinéaste change de personnages principaux en plein milieu de métrage. Dans « In the mood for love », la tragédie développée est celle de deux mariés voisins d’appartements que les circonstances rapprochent et éloignent invariablement dans la tempérance subtile et enivrante d’un air de violon inoubliable https://www.youtube.com/watch?v=U66BEZIln8Q&list=PLxJMKPfuRrKLlw1moOXRq7a13DhguM5hx.

Leurs conjoints respectifs, que l’on ne voit jamais à l’écran (un parti-pris remarquable) sont les fantômes de vies qu’ils pourraient savourer normalement chacun de leur côté. Les voilà donc l’un et l’autre délaissés, finissant par passer des soirées ensemble dans l’impersonnalité d’un restaurant, puis dans la plus grande ambiguïté de leurs chambres à coucher. Evidemment, tout le reste les sépare : personnalité, désir, commérage de voisins indiscrets… En variant les partitions musicales omniprésentes qui donnent corps à l’œuvre par leur répétition, en conférant une subtilité foudroyante à la romance mise en place, où le moindre rapprochement des mains porte à confusion, Wonk Kar Wai construit l’un des plus belles histoire d’amour du cinéma. Et nous sert au passage un chef-d’œuvre de forme, aux scènes vertigineusement bien éclairée et cadrée, à la picturalité intimiste qui marque une quintessence du cinéma asiatique, magnifiant notamment la pluie à plusieurs reprises, comme le faisait Kurosawa en son temps, mais en couleur ici.

Stalker
8.1
3.

Stalker (1979)

2 h 43 min. Sortie : 18 novembre 1981 (France). Drame, Science-fiction

Film de Andreï Tarkovski

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« Stalker » est un monstre de cinéma, qui a l’instar de certains Kubrick nécessite des conditions de visionnage particulières (en l’occurrence, une version restaurée dans une salle de cinéma, c’est appréciable). Pour ce qui est son oeuvre la plus aboutie à mon sens, Tarkovski ne ménage pas son ambition : celle de prendre à contrepied le genre de la science-fiction (bien plus que dans Solaris) pour y introduire ses propres obsessions et une mise en scène contemplative pendant 2h40. Car même dans le sous-genre de la dystopie tendance apocalyptique, « Stalker » est unique, bien qu’il ai inspiré des films comme « Les Fils de l’Homme » par la suite.

Pas de haute technologie, pas d’impression futuriste quelconque, seulement un monde urbain gris, gangréné et boueux, où les hommes vieillissent, et où la police sévit au coin de la rue. L’introspection est totale : Tarkovski présente briévement ses personnages, leur donnant l’aspect de fantômes en perdition, pour privilégier une atmosphère à se damner, où les mouvements de caméras sont d’une lenteur quasiment imperceptible, sans pour autant que le film ne souffre d’une seconde de trop. Voilà un équilibre salvateur que peu de cinéaste ont accomplis !

Et comme tout est affaire de contraste, la ville cède la place à « la Zone » que les personnages traversent illégalement, endroit prétendumment investis par des extra-terrestres où la nature a repris ses droits sur la civilisation. Le mystère qu’elle renferme est radicalement paradoxal : la beauté d’une nature sauvage et des vestiges humains en décrépitude est censée cacher des pièges mouvants et innombrables, sans qu’on en ai la preuve. Les personnages avancent donc mètre par mètre dans un tension hors du temps, pour atteindre le coeur de « la Zone », où il est dit qu’on peut exaucer tous nos voeux. De cet idéal les deux voyageurs sont sceptiques, l’un écrivain, l’autre scientifique, et tentent le coup moins par foi que par intérêt personnel. Leur guide a une toute autre vision de l’endroit, et ce sont leurs dilemmes moraux qui donne toute la consistance à ce voyage troublant et majestueux, angoissant et beau à s’en damner.

Les Diaboliques
8.1
4.

Les Diaboliques (1955)

1 h 57 min. Sortie : 29 janvier 1955 (France). Drame, Policier, Thriller

Film de Henri-Georges Clouzot

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Difficile de trouver les mots pour un tel chef-d’œuvre, qui concentre toute l'amertume que le réalisateur porte sur les relations sociales et toute la virtuosité qu'il déploie pour produire un thriller en bonne et due forme. Twist narratif, scènes glaçantes, phénomènes inexplicables et potentiellement surnaturels, toute la recette est récitée sans que pourtant à une seule seconde Clouzot ne tombe dans le domaine du prévisible. La tension est alors gérée d'une main de maître, à grand renfort d'effets de montage visuels géniaux parfaitement accouplés au montage sonore et de mouvements de caméra qui font tout le sel de la scène de dénouement, terrifiante et monumentale. M'est avis qu'on pourrait démontrer sa richesse formelle dans les écoles de cinéma au même titre que la scène de la douche de « Psychose » ou celle de l'avion dans « La Mort aux trousses ». La violence distillée par le métrage est d'autant plus perverse avec cette conclusion, qui fonde l'ambiguïté d'un trio de personnages forts et excellemment interprétés (Simone Signoret, notamment) alors que le postulat narratif initial se basait déjà sur une situation de de domination phallocrate révulsante. Dans les moindres détails, de l'expression « ma petite ruine » à la scène de la baignoire, Clouzot impose au spectateur une posture morale ambivalente qui déconstruit le monde de l'enseignement scolaire et la cellule familiale jusque dans leurs dernières fondations. « Les diaboliques » révèle toute la perfection du cinéma de Clouzot, à la fois classique et iconoclaste, jouant aussi bien avec la crédulité du spectateur qu'avec ses représentations sociales.

Ed Wood
7.4
5.

Ed Wood (1994)

2 h 07 min. Sortie : 21 juin 1995 (France). Biopic, Comédie, Drame

Film de Tim Burton

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Ce « Ed Wood », je le gardais sous le coude depuis trop longtemps : à force de répéter à qui veut l’entendre que la mort artistique de Burton est actée depuis les années 2000, je n’en pouvais plus de désirer voir le métrage qui paraissait l’acmé de son cinéma en 1994. Mon intuition ne m’a pas trompée : il s’agit bel et bien à mon sens du meilleur film du cinéaste, celui notamment qui développe le mieux son thème le plus récurrent : celui de l’artiste outsider et méprisé. L’ironie tragique qui parcourt ce biopic me parcourt encore de frissons : à croire que Tim a besoin de contraintes pour sublimer sa fièvre créatrice, celle de ce film étant de représenter une histoire vraie. Il s’agit de l’histoire d’un metteur en scène de cinéma d’horreur/science-fiction, hétérosexuel travesti au passage, considéré deux ans après sa mort par la doxa charognard comme le pire réalisateur de l’histoire du cinéma.

Il faut voir avec quelle sens de l’esthétisme en noir et blanc, quel respect admiratif Burton narre la vie d’un homme qui, malgré les revers constants de la critique et du public, les difficultés monstres pour financer ses films (l’amenant jusqu’à faire appel à une paroisse comme producteur !) garda la tête haute pour exprimer ce qu’il a dans les tripes (son premier métrage filme un personnage travesti). Sortant de l’oubli une vieille star oubliée et morphinomane ayant interprété Dracula des décennies auparavant, et entouré d’une bande d’acteurs évoquant presque « Freaks » de Borwning, Ed Wood, que les mimiques de Johnny Depp (ici dans son meilleur rôle) met rudement bien en valeur est le plus émouvant dindon de la farce qu’on puisse imaginer. Multipliant les plans ridicules dans ses films (il gardait toujours la première prise, et usait d’effets spéciaux foireux comme une pieuvre en latex sans moteur pour l’animer) la vision d’Ed Wood est aussi bien grotesque que sublime, et Burton nous la fait partager notamment à travers un générique de début dantesque. Cela en ayant la pertinence pudique de nous laisser quitter Ed alors qu’il n’a pas encore sombré dans la désillusion et l’alcool, qui l’emporteront à 54 ans. L’homme aura au moins eu la chance d’être accompagné jusqu’au bout par une femme qui l’aima pour ce qu’il était, sans peur pour son travestissement : une histoire d’amour qui débute dans le film par la plus belle des déclarations :
https://www.youtube.com/watch?v=vfhaNwDIDBs

Les Chiens de paille
7.6
6.

Les Chiens de paille (1971)

Straw Dogs

1 h 53 min. Sortie : 9 février 1972 (France). Drame, Thriller

Film de Sam Peckinpah

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Peckinpah signe ici à mon sens un sommet du cinéma américain. Le début des années 70 a accouché de quelques oeuvres confrontant le citadins au milieu rural en pleine dégénescence (« Délivrance », « Massacre à la tronçonneuse ») celui-ci en est probablement le meilleur représentant. Car il ne s’agit pas seulement de représenter le visage fantasmé du paysan consanguin rustre et violent, mais de faire surgir à travers lui nos angoisses les plus intimes et à ce niveau-là Sam ne fait pas dans la dentelle. Il joue sur tous les tableaux, à commencer par une descente aux enfers terrifiante dans sa représentation de la sexualité, d’abord enjouée puis traumatisante, la violence étant renforcée par des effets de montages chers au cinéaste. La déconstruction du couple, des câlins du début à la réplique finale, est simplement terrassante. Dustin Hoffman est quant à lui parfait dans son rôle de petit bourgeois intellectuel et effacé qui va s’affirmer dans la fureur et le bruit. Jusque dans une dernière partie en mode « Alamo » magistralement orchestrée. Voilà du cinéma douloureux, choquant, mais qui n’est jamais outrancier ou gratuit, laissant même une part, certes infime, mais bien présente, d’humanité aux agresseurs. Peckinpah nous dévoile ainsi le plus noir visage du Nouvel Hollywood.

The Lost City of Z
7
7.

The Lost City of Z (2017)

2 h 21 min. Sortie : 15 mars 2017. Aventure, Biopic, Drame

Film de James Gray

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

C’est mon premier James Gray, donc je me sens pas d’en faire une critique développée. Il m’en coûte pourtant ! Voilà un réalisateur qui porte sa réflexion jusqu’au bout, fait feu de tout bois et sait proposer un registre métaphorique qui laisse rêveur. C’est précieux pour un cinéma américain qui est trop souvent maladroit, pompeux ou scolaire avec les biopics historiques. Il faut dire qu’ici le sujet est pour le moins attrayant : celui d’un militaire anglais au début du XXème siècle qui laisse sa femme et ses enfants de côtés pour partir cartographier la Bolivie en vue de résoudre un conflit naissant entre ce pays et le Brésil. Le film impose déjà là une posture critique sur les institutions : cet officier voit dans ce dur périple (des mois entiers dans la jungle, quand même) un moyen de laver une réputation entachée par son père.

C’est aussi en quête de gloire qu’il y repart aussitôt revenu, ayant découvert des traces de civilisations en plein milieu de la jungle, bien décidé à découvrir une cité inconnue. Mais c’est surtout une quête d’idéal : l’obsession de croire en une civilisation plus avancée que les Occidentaux, qui pourrait apporter des découvertes de grande envergure. Malgré un soin de rendre l’ambiance sauvage de la jungle sud-américaine et ses peuples primitifs, rappelant par là un certain Herzog et son « Aguirre, la colère de dieu », le film se passe en fait majoritairement en Angleterre, faisant justement de la jungle elle-même un idéal de beauté naturelle peu accessible au spectateur (même si la reconstitution historique de l’Angleterre de l’époque est appréciable). Tout n’est que frustration : lorsque notre explorateur côtoie les serpents et les moustiques, il ne pense qu’à sa famille. Quand il est avec sa famille ou dans les tranchées de 14-18, il ne pense qu’à sa jungle, et ce qu’elle renferme. Le dernier voyage parachève l’aura mystique de l’œuvre, où la quête devient initiatique et affective puisqu’il est cette fois-ci accompagné de son fils. Le grain de la photographie prend alors toute son ampleur graphique dans une scène nocturne à se damner. Avant une dernière scène qui révèle avec panache l’idée sous-jacente du film : nous sommes tous à la recherche d’une cité perdue.

Barry Lyndon
8.1
8.

Barry Lyndon (1975)

3 h 04 min. Sortie : 8 septembre 1976 (France). Drame, Historique, Aventure

Film de Stanley Kubrick

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Avec « Barry Lyndon », Kubrick atteint une certaine apogée de sa démarche de déconstruction de la narration cinématographique. Le film n’est certes pas aussi hypnotisant et formellement enivrant qu’un « 2001 » ou qu’un « Shining », mais le tour de force prend un autre détour, ce qui le rend autrement admirable : celui du récit historique. La promesse de voir évoluer la petite histoire dans la grande, d’articuler une épopée du XVIIIème siècle, est alors incroyablement bien prise à contrepied. A la manière d’un « Little Big Man », Kubrick filme les grandes batailles et la plongée dans les cours d’Europe décadente avec un sens de l’anti-spectaculaire inouïe, mais sans s’adonner une seule seconde à la légèreté humoristique. La déréalisation est ainsi complète : la voix-off acerbe, ces longs moments de paresse luxueuse où l’absurdité d’une telle condition sociale appesanti chaque scène, tout est fait pour matérialiser une angoisse existentielle qui attaque insidieusement le spectateur.

Une telle démarche peut très facilement rebuter, et l’aridité du style Kubrick trouve ici de tels extrêmes que « Barry Lyndon » s’impose parmi les métrages les moins accessibles du cinéaste avec « 2001 ». Ici, il n’y a pas la catharsis de « Orange Mécanique », « Shining » ou « Full Metal Jacket ». La violence n’en est pas moins omniprésente, mais bien plus sourde, même lors des scènes de duels, car euphémisée par des rapports de classes et familiaux malsains : lorsqu’elle éclate lors d’une seule scène, elle en devient d’autant plus insoutenable. Kubrick, par une mise en image picturale à souhait où il joue moins (pour une fois) sur les mouvements de caméras que sur l’esthétique figée de décors d’intérieurs et d’extérieurs transpirant le luxe et la volupté, marque encore une fois différemment que ses autres films. Et alors que le rythme laisse poindre un petit ventre mou en milieu de métrage, la tournure tragique que prend le récit redémarre l’intérêt pour une conclusion dans une finesse ironique qui n’aura finalement laissée aucun moment de répit durant les 3 heures de métrage.

Les Proies
7.5
9.

Les Proies (1971)

The Beguiled

1 h 45 min. Sortie : 18 août 1971 (France). Drame, Thriller, Guerre

Film de Don Siegel

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Le chef d’oeuvre définitif du tandem Don Siegel et Clint Eastwood, le voici. Mine de rien, toujours dans leur veine douce/amère, soufflant aussi bien la satire sociale mordante, la comédie sulfureuse et le brûlot anti-guerre, le cinéaste et l’acteur signent leur film le plus subversif et le plus maîtrisé. Avec l’un des postulats de départs parmi les plus réjouissants et excitants du cinéma américain : un nordiste blessé pendant la guerre de sécession est recueilli par des jeunes filles de 12 ans pour la plus jeune à la cinquantaine pour la propriétaire d’un pensionnat sudiste. D’abord craintive, elles vont l’accepter et entretenir des relations troubles avec lui.

Toute la radicale ambiguïté d’un cinéma comme celui de Paul Verhoeven, nouant des rapports de forces entre l’homme et la femme aussi torrides que destructeurs, est déjà là. Et le programme narrative est mené avec force d’inventivité de bout en bout : la ferveur que prend Eastwood à jouer l’immonde salaud enfanté par la guerre civile est incroyable. Quant à la réalisation, elle appuie le propos par des effets de montages visuels comme sonores fulgurants d’efficacité, et ce dès le générique de début. Il est rare d’en attendre autant d’un film et d’en ressortir aussi comblé, aussi admiratif d’un processus filmique qui reste cohérent et fertile de la première à la dernière seconde. Au vu de la tournure du récit, il paraît naturel que Sofia Coppola l’incorpore à son univers en réalisant un remake qui sort aujourd’hui même. Je vais le voir ce soir, on verra si elle s’approprie pertinemment un tel matériau d’origine.

Les Affranchis
8.2
10.

Les Affranchis (1990)

Goodfellas

2 h 26 min. Sortie : 12 septembre 1990. Gangster, Biopic

Film de Martin Scorsese

Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Rétrospectivement, il est facile de comprendre pourquoi « Le Loup de Wall Street » fut aussi bien reçu à sa sortie, tant il reprend à l'identique la forme et la démarche narrative des « Affranchis », plus de 20 ans après. Mais si je devais en faire pencher l'un dans la balance, je dirais que Scorsese a infiniment plus d'affection pour les mafieux des quartiers populaires que pour les traders de Manhattan (on peut le comprendre) et cela rend « Les Affranchis » beaucoup plus habité. Le film est à l'image de son plan-séquence qui présente les membres de la pègre : une photo de famille en mouvement, où tout le monde est présent invariablement : en vacances, au mariage ou bien pour enterrer les cadavres, ces affranchis de la loi ont une volonté collective apparemment inoxydable.

Là est toute la finesse du cinéaste, le jeu des apparences : pour traduire la vie dissolu et irréelle de ces mafieux dont le personnage principal aligne les rails de coke notamment durant une journée mouvementée (et pourtant comme les autres) décomposée heure par heure par la narration, Scorsese utilise une mise en scène d'apparat, qui multiplie les effets de manche et la bande-son rock sublime (les Stones, George Harrison, la jouissance absolue) traduisant justement par là la déréalisation d'un tel mode de vie. Alors évidemment, on peut le taxer de formalisme, mais je persiste à dire que tout cela n'est pas gratuit, et même la voix-off incessante parvient à garder un équilibre dans l'artificialité du rythme. Les basculements individuels qui amènent à une érosion des différentes cellules familiales (du couple aux amitiés) sont même là pour apporter une consistance dramatique au récit, qui ne perd toutefois jamais son mordant ironique. Un sommet du cinéma de Scorsese, dont je préfère néanmoins la radicalité de « Taxi Driver ».

Solaris
7.7
11.

Solaris (1972)

Solyaris

2 h 47 min. Sortie : 27 février 1974 (France). Drame, Science-fiction

Film de Andreï Tarkovski

Marius Jouanny a mis 8/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.

Annotation :

Voir critique.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia
7.5
12.

Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia (1974)

Bring Me the Head of Alfredo Garcia

1 h 52 min. Sortie : 2 janvier 1975 (France). Thriller, Policier, Western

Film de Sam Peckinpah

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

« Apportez moi la tête d'Alfredo Garcia » est bel et bien le film le plus personnel, et donc le plus radical de Sam Peckinpah. Reprenant des éléments narratifs de ses précédents films (la figure du couple tourmenté tirée de « Guet-Apens » et de « Les chiens de paille », celle de la quête castratrice qui finit dans un bain de sang par un rejet total de la hiérarchie comme dans « La Horde Sauvage ») il produit une synthèse narrative qui n'est pas seulement une compilation de ce qui fait son cinéma. Il pousse à bout sa logique macabre et iconoclaste, où les moments de répit sont d'autant plus précieux que la descente aux enfers est totale, organique. Peckinpah ose développer de vrais sentiments avec ce couple indubitablement sincère et en passe d'atteindre le bonheur. Il ose même renverser la logique infernale de la scène de viol abominable des « Chiens de paille » en narrant ici un sauvetage in extremis et salvateur. Mais c'est pour mieux défaire tous nos espoirs le temps d'une profanation de sépulture et d'un coup de pelle sur la tête. La suite adopte un ton pessimiste et halluciné, comme si l'on continuait de suivre Dustin Hoffman après son errance démente en voiture qui clôturait « Les Chiens de paille », jusqu'à son anéantissement total. En marge de la machine hollywoodienne, Peckinpah parvient donc à formuler une proposition de cinéma définitive, qui trouve certainement quelques limites par la radicalité de son exubérance, sans pour autant ternir cette mise à nue touchante des intentions du cinéaste.

L'Armée des ombres
8.1
13.

L'Armée des ombres (1969)

2 h 25 min. Sortie : 12 septembre 1969 (France). Drame, Guerre

Film de Jean-Pierre Melville

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Ce classique du cinéma français mérite bien son titre : avec une atmosphère dont la noirceur est à couper au couteau, Melville peint le portrait brillants de quelques résistants aux débuts de l'occupation. C'est ici moins une guerre asymétrique qu'un combat désespéré pour rester debout face à l'envahisseur : trop peu épaulés par les alliés, les résistants de 1941 à 1943 furent massacrés alors qu'ils faisaient parti d'une organisation impuissante. Ce n'est pas pour rien que les personnages passent tout le film à fuir, se faire arrêter, torturer, emprisonner, à exécuter les traîtres et à vainement tenter de délivrer leurs compagnons d'armes.

Ce cercle vicieux, dont le paroxysme est certainement la scène d'exécution où les Allemands laissent courir les condamnés en leur laissant croire à une chance de survie, est retranscrit avec une rigueur narrative remarquable par le cinéaste. Au point de donner à son récit des accents distopiques : on se croirait parfois dans une adaptation officieuse de "1984" tellement le regard des résistants, toujours terrés dans l'ombre, toujours à sillonner les endroits déserts pour se réunir, est celui de condamnés en sursis. Certains effets ont peut-être un peu mal vieilli (la pluie artificiel du générique de début est... risible) mais n’entachent pas le plaisir de découvrir un Lino Ventura fidèle à lui-même, pris dans un engrenage excluant tout moment d'accalmie et tout plaisir . C'est lorsqu'il rentre dans un bar à Londres peu avant son retour en France, voyant des couples s'enlacer et prendre du bon temps, qu'il prend conscience de sa condition de fantôme bientôt gisant.

M le maudit
8.1
14.

M le maudit (1931)

M - Eine Stadt sucht einen Mörder

1 h 57 min. Sortie : 8 avril 1932 (France). Policier, Drame, Thriller

Film de Fritz Lang

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :


Alors que « Metropolis » se terminait sur une affirmation collective par la réconciliation entre dominants et dominés, « M le Maudit » aboutit à un cri existentiel, symbole d’une individualité torturée et ambivalente articulant un questionnement éthique passionnant : celui de la responsabilité d’un tueur d’enfants. Au visionnage de son impeccable version restaurée (pas exactement le montage prévu par Fritz Lang, mais déjà plus proche que dans ses versions remaniées) on constate encore une fois à quel point le cinéaste touche juste dans ses représentations de la morale publique, il suffit de voir à quel point la peine de mort divise encore autant les sociétés (ou de lire un discours de Manuel Valls à propos du terrorisme) pour s’en convaincre. « M », est-il un homme comme vous et moi victime d’une névrose incontrôlable, ou simplement un monstre à abattre ? La réponse est d’autant plus difficile que les traqueurs du tueur ne valent pas plus chers les uns que les autres (notamment lors d’une scène de montage alterné délectable et ingénieuse) : entre une police profitant de la terreur générale pour renforcer son autoritarisme (ça vous dit pas encore quelque chose ?) sous couvert de chercher le coupable, et un syndicat du crime qui agit de son côté par intérêt commercial, les salauds sont innombrables. Le peuple, et son prévisible élan cathartique et paranoïaque, n’est pas non plus épargné, notamment lors de la scène du faux procès.

Fritz paraît bien peu humaniste avec ce métrage, ou en tout cas nettement moins qu’avec « Metropolis ». Il l’est pourtant dès la scène d’ouverture et sa démonstration empathique pour ces enfants insouciants et ces mères inquiètes. Puis, le discours final qui humanise indéniablement celui qu’on voyait comme le plus détestable d’entre tous montre la tolérance du cinéaste et sa volonté de ne pas hurler avec les loups. Les contrastes glaçants qu’il met en place, notamment entre scènes muettes et scènes sonores, achèvent d’en faire un réalisateur unique en son genre et inlassablement porteur de sens. Le rythme met certes un peu de temps à démarrer, et la vision du crime organisé est je le conviens très fantasmée, mais la réflexion est à ce point brillante qu’elle éclipse toutes zones d’ombres.

La Vérité
8.1
15.

La Vérité (1960)

2 h 10 min. Sortie : 2 novembre 1960. Drame

Film de Henri-Georges Clouzot

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Clouzot semble formuler ici sa réflexion sur la société la plus directe et la plus percutante. Film de tribunal, dialogue de rupture générationnelle, tragédie romantique « La Vérité » est tout cela et bien plus encore. C'est un brûlot contre le système judiciaire et une plaidoirie défendant l’irrationalité et l'oisiveté moderne contre un regard moralisateur qui ne cherche jamais à comprendre, mais seulement à accabler. L'ambiguïté de la position morale de Brigitte Bardot dans sa relation avec un bourgeois égocentrique jusqu'au meurtre est ainsi parfaitement exprimée, aussi bien par l'interprétation de l'actrice que par l'écriture du film. L'avocat général parfait salaud interprété par Paul Meurisse, l'avocat de la défense, les jurys et le public, Clouzot décrit scrupuleusement une mascarade qui laisse un goût amer. Les faits se dévoilent peu à peu au spectateur par des flash-back au montage très astucieux, proposant une radiographie de la jeunesse des années 60 typique et pourtant si juste. Clouzot avait beau avoir 53 ans à la sortie du film, c'était loin d'être un vieux con et il montre qu'il a bien compris les contradictions et les paradoxes de la vie d'une jeune femme encore trop jeune pour être adulte mais trop âgée pour être tout à fait innocente. A la fin du film c'est pourtant son innocence qui nous éclate au visage, et la pureté immaculée de son geste fatal. J'avais lu finalement que Clouzot abandonnait son classicisme formel avec « La Vérité ». Si dans la non-linéarité de sa narration je peux l'admettre, je ne vois pas trop comment justifier globalement un tel commentaire sur ce film, qui aborde surtout les thématiques du cinéma de Clouzot avec moins de détours et d'humour, plus d'acidité et de noirceur.

Une femme sous influence
8
16.

Une femme sous influence (1974)

A Woman Under the Influence

2 h 35 min. Sortie : 14 avril 1976 (France). Drame

Film de John Cassavetes

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Encore une fois, je suis rentré dans la salle avec quelques préjugés : je craignais que le cinéma de John Cassavetes soit aride, intello sur son nuage. Pour le coup, tout cela s’est rapidement effacé tant « Une femme sous influence » est généreux dans ses registres, et intelligent dans sa mise en scène. D’autant qu’il décrit en arrière-plan la réalité sociale d’un travailleur arraché systématiquement à sa vie familiale par un boulot aux horaires imprévisibles. Mais le fond du récit est bien cette cellule familiale dont le centre, la mère au foyer Gena Rowlands est une boule de névrose désespérante et intimement attachante. Fortement sociopathe, il n’y a qu’avec ses trois enfants et son mari qu’elle parvient à vivre et se faire comprendre : une expressivité démesurée, une sensibilité à fleur de peau tendance crise d’angoisses rendent certaines scènes quasiment insoutenables.

Mais le contrepied est bien là, salvateur : Cassavetes insuffle une dose de légèreté et de dérision qui exacerbe les contradictions et paradoxes familiaux (Gena enlace langoureusement son père et le répudie peu après, son mari invite plein d’amis à la maison avant de les foutre dehors, se rendant compte qu’ils ne peuvent lui être d’aucune aide, ou bien exige de sa femme qu’elle retrouve son exubérance après un refroidissement de six mois en hôpital psychiatrique) dans un déluge qui fait honneur au genre de la comédie dramatique. Puis, avec ces gros plans insistants, cette rigueur d’allongement des scènes parfois proche du documentaire ou du théâtre, Cassavetes propose une mise en scène moderne, sorte de croisement entre Arthur Penn avec un grain de folie Herzogien, qui trouve une consistance propre. Il me tarde de voir « Opening Night ».

La Barbe à papa
8
17.

La Barbe à papa (1973)

Paper Moon

1 h 42 min. Sortie : 13 décembre 1973 (France). Comédie dramatique, Road movie

Film de Peter Bogdanovich

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Peter Bogdanovich signe avec « Paper Moon » une comédie dramatique dont la place est paradoxale dans l'histoire du cinéma américain. Classique dans sa forme, dans son postulat narratif à mi-chemin entre Chaplin et Steinbeck (une enfant orpheline devient l'acolyte d'un petit truand très gentleman pendant la Grande Dépression) et dans ses ressorts comiques et dramatiques, il peut sembler convenu et inoffensif alors que le Nouvel Hollywood en plein essor à sa sortie proposait tout autre chose. Pourtant, il aborde frontalement des thèmes sociaux avec un ton doux-amère et un genre typique (le road-movie) qui appartiennent justement au Nouvel Hollywood. Sa mélancolie pourrait le rapprocher de « La Nuit du Chasseur » mais son refus de tout symbolisme pour sonder des individus pétris de contradictions brouille là encore les pistes. Autant dire qu'il constitue une anomalie fabuleuse et aussi un grand moment de cinéma par l'émotion qu'il transmet. Car il propose avant tout l'histoire simple d'une relation paternelle naissante, qui aboutie en faisant fi de la morale sociale qui voudrait qu'une petite fille soit éduquée selon une certaine norme familiale, ici déconstruite par les aspirations casse-gueule de ce dandy improbable dont les difficultés à assumer sa réussite sociale sont corrélatives à assumer la charge d'un enfant. Tournant le dos à tout désenchantement ou tout idéalisme, la fin parvient à perpétuer cette ambiguïté de ton entre la candeur et le drame, ce qui rapprocherait finalement « Paper Moon » du cinéma des frères Coen, et notamment d' « Inside Llewyn Davis ».

Le Trésor de la Sierra Madre
7.9
18.

Le Trésor de la Sierra Madre (1948)

The Treasure of the Sierra Madre

2 h 06 min. Sortie : 11 février 1949 (France). Aventure, Drame, Western

Film de John Huston

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Le cinéma de John Huston est pour moi un plaisir instantané : pas de chipotage, il installe son récit, le conduit d’une main de maître en se servant de chaque détail pour huiler sa narration, et redouble toujours d’intelligence pour amener le spectateur là où il ne s’y attend pas. La preuve : le cinéaste pose Humphrey Bogart en tête d’affiche, lui donne son rôle habituel de personnage irradiant de charisme mais ridé de désillusion dans la première partie du récit, pour mieux le faire sombrer dans un rôle dégénérescent à total contre-emploi. Tout comme « La Faucon Maltais », l’essentiel du plaisir de cinéma réside dans l’écriture, ici truffée de « set up/pay off » (quand un élément du récit anodin prend de l’importance plus tard) très astucieux et de tiraillements moraux marquants. Avec au milieu de tout cela, l’or et la richesse qui corrompt les individus malgré eux, trois associés partis quérir le précieux minerai au fin fond du Mexique, dans l’espoir de ne plus passer son temps à mendier dans les rues.

Certes, la mise en scène reste très fonctionnelle, mais pas dans le mauvais sens du terme. La direction d’acteurs est excellente, les cadrages et montages sont toujours justes : c’est la machine hollywoodienne dans ce qu’elle a de discrètement virtuose, proposant un registre de genre (ici l’aventure teinté de western) pour mieux avancer une réflexion inattendue dans la dernière partie du récit qui, si elle peut s’avérer un peu pompeuse et démonstrative, n’en est pas moins efficace. Car à la fin, ce n’est pas quelques kilos de poudres d’or qui restent, c’est l’idéal de vie, celle qu’on désire mener non dans une logique de luxure, mais de simple tranquillité.

Le Corbeau
7.9
19.

Le Corbeau (1943)

1 h 32 min. Sortie : 28 septembre 1943 (France). Drame, Policier

Film de Henri-Georges Clouzot

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Je n'en reviens pas que ce film ai pu sortir pendant l'occupation, car quelle satire sociale ! Clouzot dresse le portrait acide d'un petit village de campagne comme les autres, où le vernis des relations sociales est gratté par un rédacteur de lettre anonymes, signées Le Corbeau. Les opinions de l'époque sont décrite avec une lucidité et un sens du verbe remarquables, avec au centre du terrain d'observation un médecin de campagne bien mystérieux car beaucoup trop distingué pour le milieu dans lequel il vit. La révélation de son secret dans une scène flamboyante et sa romance avec la voisine aux mœurs légères sont improbables, mais admirablement traitées car elles confèrent à la narration un fil rouge et un contrepoint moins détaché à un récit qui est d'autre part presque flaubertien. Sondant aussi bien les relations entre classes sociales qu'entre sœurs et entre mari et femme, Clouzot ne relâche jamais sa verve théâtrale interprétée par des acteurs au phrasé irrésistible pour nous présenter une société en conflit perpétuel, où les notables ne pensent qu'à conserver leur poste en cherchant un bouc émissaire pour résoudre l'affaire du Corbeau et où les élans cathartiques de la foule rappellent ceux de « M le maudit » et de « La Nuit du Chasseur ». Tout cela est certes traité avec une forme très classique, mais Clouzot propose en réalité une discrète virtuosité tant ses cadrages et le montage accompagnent la dramaturgie avec un sens aiguisé de la mise en scène. Voilà du très grand cinéma français, je ne peux expliquer le mépris qu'avaient les auteurs et critiques de la Nouvelle Vague pour Clouzot que par une seule chose, si ce n'est son style d'écriture très théâtral : ils enviaient secrètement son génie cinématographique.

Blade Runner 2049
7.4
20.

Blade Runner 2049 (2017)

2 h 44 min. Sortie : 4 octobre 2017 (France). Science-fiction, Drame, Policier

Film de Denis Villeneuve

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :


Difficile d’émettre un avis construit tellement la densité du film fait surgir des émotions et des idées différentes. Seulement, Denis Villeneuve et Ridley Scott (il porte le projet depuis 10 ans, ne lui enlevons pas ce mérite) ont réussi le pari de donner une suite légitime, imposante et cohérente plus de trente ans après l’opus original. Puisant aussi bien dans le livre de Philip K. Dick des éléments que le premier Blade Runner a éludé que dans les thèmes chers à Denis Villeneuve (la filiation et la mémoire), cet opus parvient a proposer un contenu original, qui n’est pas simplement une redite ou une variation polie. D’autre part, la forme est émouvante de beauté, tantôt écrasante par des décors diurnes qui contrastent bien avec l’ambiance film noir de l’opus original, tantôt intimiste grâce à des personnages finement développés, qui réinterrogent le thème de l’intelligence artificiel. La démonstration n’est plus celle d’une altérité apparemment désincarnée qui se révèle infiniment humaine, mais d’une autonomisation de l’androïde, qui se réalise par la maîtrise de sa destinée.

L'Épouvantail
7.5
21.

L'Épouvantail (1973)

Scarecrow

1 h 52 min. Sortie : 26 mai 1973 (France). Drame, Road movie

Film de Jerry Schatzberg

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :


Schatzberg atteint avec "L'Epouvantail" un registre cinématographique infiniment précieux. Il y a plusieurs couches, la première étant la comédie, car l'émotion passe ici avant tout par le rire : Gene Hackman et Al Pacino forment avec ce film l'un des duos les plus drôles et attachants du cinéma américain. Le taciturne un peu violent et borné mais tendre et le clown triste et bienveillant ça paraît un peu convenu mais ça fonctionne du tonnerre de Zeus. La deuxième couche, c'est la fresque sociale, celle de deux paumés SDF qui parcourent les Etats-Unis avec le rêve américain en tête. La troisième, qui vient tout chambouler, c'est le drame, qui s'instille subtilement pour mieux éclater au visage du spectateur dans une conclusion abrupte, qui nous fait quitter les personnages comme ont les a rencontrés : sans préliminaires, comme un nuage qui apparaît à notre regard, traverse le ciel et finit par disparaître. C'est fort, et même si la mise en scène se reposant trop sur le jeu des acteurs est certainement convenue, tout est à sa place pour nous faire admirer l'effacement du cinéaste plutôt que de lui reprocher.

Police fédérale Los Angeles
7.5
22.

Police fédérale Los Angeles (1985)

To Live and Die in L.A.

1 h 56 min. Sortie : 7 mai 1986 (France). Action, Policier, Drame

Film de William Friedkin

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

On pourrait légitimement accuser Friedkin de formalisme avec ce troisième polar dans sa filmographie qui a certainement une intrigue plus convenue que « French Connection » et « The Cruising ». C’est pourtant celui que je préfère, car lorsque le cinéaste abandonne sa démarche inspirée du documentaire pour ériger une plus grande ambiguïté dans la moralité de ses personnages, et nous servir au passage des scènes d’actions parmi les plus dantesques du genre, je ne peux m’empêcher de prendre un pied monumental. Certains reprochent un duo de flic peu charismatique, et c’est bien normal : en anti-héros mue par la vengeance et la trouille, aux méthodes non seulement expéditive et immorale, mais aussi irresponsable et nuisible, ils ajoutent une dynamique presque burlesque au métrage et laissent le spectateur interdit par une telle ambivalence. De l’autre côté, un méchant qui a vraiment de la gueule, incarné par un Willem Dafoe au sommet. Là encore, la figure est ambiguë tellement son professionnalisme, sa relation amoureuse, ses talents d’artistes et sa mort au symbole plus christique que maléfique tendent à len rendre empathique.

Pis aussi, il n’y a pas plus représentatif des années 80 que ce film, dans son esthétique (quel générique !) et dans sa bande-son. Alors évidemment, cela en repousse certains, mais cela donne une vraie personnalité au film, aussi tranchée et affirmée que celle du « Le Convoi de la peur » ou « L’Exorciste ». Couleurs et montage tranchés, idées visuelles foisonnantes et atmosphère très soignée, le cinéaste reprend toute la démesure cinématographique des deux métrages précédemment cités pour l’incorporer à sa recette polar. Et c’est à mon sens une réussite totale, car Friedkin n’oublie pas non plus de poser un regard plus pessimiste sur un système criminel perpétué par la police elle-même.

Minnie et Moskowitz
7.3
23.

Minnie et Moskowitz (1971)

Minnie and Moskowitz

1 h 54 min. Sortie : 20 décembre 1972 (France). Drame, Romance

Film de John Cassavetes

Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Liste vue 265 fois