2084
6.4
2084

livre de Boualem Sansal (2015)

Sansal traite dans 2084 des plus grands maux de l'homme : la lâcheté, la bêtise, l'ignorance, la peur, l'avidité. On a qualifié ce livre et son auteur d'anti-religieux et ils le sont sans doute dans une certaine mesure, mais seulement dans celle où la religion est le vecteur, ou plutôt le révélateur de ce qu'il y a de pire dans l'homme.


Le roman s'ouvre sur cette phrase : "La religion fait peut être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité." En fait, la critique de Sansal est beaucoup plus large : la religion, du moins cette religion-là, fait haïr non seulement l'humanité mais le monde entier. Sauf que ses promesses sont de toute évidence fausses, elle n'offre que le mirage d'un arrière-monde qui n'existe pas. La religion est chez Sansal un nihilisme absolu : elle a retiré l'amour du monde et y a laissé le vide.


Sansal écrit merveilleusement bien, j'ai lu parmi d'autres critiques qu'on lui reprochait de mal écrire, je ne comprends pas, mais enfin peu importe. Sa langue est précise, et une langue précise est toujours honnête. Elle est en sorte l'exacte opposée de l'Abilang, la langue sacrée aux mots exclusivement duosyllabiques, et qui ne transmet rien sinon des rites, des ordres, des peurs, et quelques mots utilitaires.


Ce que l'on peut reprocher à Sansal, c'est qu'il n'y va comme qui dirait "pas avec le dos de la cuiller". Il n'y a véritablement rien à sauver en Abistan, pas même le petit peuple, lâche et ignare, qui s'organise en milices de surveillance et de délation. Tout est exécrable au plus haut point, l'auteur insiste bien là-dessus. Cette caractéristique (l'insistance, la grosseur du trait) est souvent un défaut rédhibitoire car j'aime qu'on laisse au lecteur la possibilité, même par une lucarne minuscule, d'avoir un avis différent du sien, ou du moins d'entrapercevoir des motifs d'espoir, de survie, au sein d'un monde aussi horrible soit-il. (J'accepte plus aisément ce défaut chez certains auteurs disons de pure fiction comme Lovecraft par exemple).


C'est mon seul bémol, même si en l'exprimant je sens bien que je le fais d'une tour d'ivoire d'où Sansal, fait rare parmi les écrivains contemporains, ne se tient pas, puisqu'il a choisi de rester vivre en Algérie, à la merci des fatwas abattues sur sa tête. Le fait que 2084 soit sorti en 2015, entre les attentats de Charlie Hebdo et ceux du Bataclan, le rend bien plus pertinent qu'un roman ou un essai. C'est un cri, de fatigue et désespoir, dont les défauts vibrent et résonnent autant que les qualités. Exactement ce que dit la préface quand on la lit dans le bon sens : 2084, ce n'est pas jamais, ce n'est pas un jour, ce n'est pas dans 81 ans, c'est ici, et maintenant.

Orazy
8
Écrit par

Créée

le 26 avr. 2019

Critique lue 71 fois

Orazy

Écrit par

Critique lue 71 fois

D'autres avis sur 2084

2084
RaphPec
5

Arrêtez de comparer ce livre à 1984 svp !!

Très décevant ! Le roman ne tient pas du tout la comparaison avec 1984. Il ne suffit pas d'écrire une dystopie avec 84 dans le titre pour être le nouvel Orwell. La première partie est ennuyeuse: de...

le 18 sept. 2015

18 j'aime

5

2084
Surestimé
8

"Que faire lorsque, regardant le passé, on voit le danger foncer sur ceux qui nous ont précédés dans

2084 est un livre vigoureux et plein de chausse-trappes. De tous les livres de la sélection Goncourt que j'ai lus, c'est celui qui, jusqu'à présent, m'a donné l'impression d'être vivant. J'ai lu une...

le 29 oct. 2015

15 j'aime

2084
MonsieurBain
5

Le dernier siècle

Si en toute rentrée littéraire il nous est donné à voir un phénoménal engouement pour quelques nouveaux livres, il est à remarquer que ces succès sont d'origines plurielles, et si, bien entendu,...

le 26 sept. 2015

15 j'aime

7

Du même critique

Nightflyers
Orazy
4

Pur génie

Donc, résumons : ces gens ont embarqué au sein d'un vaisseau spatial à la rencontre d'une civilisation extraterreste prétendument intelligente. Il y a le capitaine, le chercheur, la psychologue, le...

le 17 mars 2019

19 j'aime

6

Rester vivant
Orazy
7

Le monde comme il va

On acclame souvent Houellebecq pour son regard aiguisé sur notre monde, la clairvoyance de sa critique. Il me semble pourtant que non seulement Houellebecq n'est pas un anti-moderne, mais que c'est...

le 17 juin 2019

8 j'aime

3