[Ecouté en Audiolib]
Cela faisait plus de dix ans que je n'avais pas lu un livre de Stephen King, pour moi cela restait un truc d'adolescent. Au moment de choisir mon prochain livre audio pour mes trajets quotidiens j'avais donc laissé ce roman de côté. Après un petit tour sur SC pour me rendre compte des excellentes notes que reçoit ce livre et qui le place dans les meilleures productions de l'auteur de l'office du tourisme du Maine, je saute le pas.

22/11/63 est un roman sur l'Amérique, sur ce qu'elle est devenue sur ce qu'elle aurait pu devenir, sur les travers de sa société. Jake, prof d'Anglais en lycée se trouve par le hasard des rencontres investi d'une mission bien particulière, empêcher Lee Harvey Oswald d'abattre JFK en 1963. Grâce à un "trou" dans le temps qui lui permet d'atterrir en 1959 il aura tout le temps d'étudier celui qui restera dans l'histoire américaine comme une blessure et probablement le tueur le plus connu et paradoxalement le plus énigmatique.

Beaucoup de la subtilité du roman tient dans le simple fait que Jake n'a pas de De Lorean, il ne choisit pas son voyage, il débarque toujours le même jour d'été, dans la même arrière cour d'usine en 1959, donc chaque voyage est le premier. Pour se convaincre du bien fondé et de la faisabilité de sa mission il va tenter, lors d'un premier voyage temporel, de rendre meilleure la vie d'un élève de sa classe d'adulte victime d'un drame familial dans les années 60. De retour en 2011, le drame ne s'est effectivement jamais produit, mais est-ce pour le mieux ?

Exposée comme cela, l'intrigue semble simple, voir simpliste mais c'est sans compter sur un élément central, la résistance au changement qui meut le passé. L'histoire n'aime pas être modifiée, elle se défend, reprenant le principe de l'effet papillon, chaque fait et geste de Jake trouve à un moment donné un écho néfaste pour la vie des autres. Jake met du temps à s'en rendre compte car le meilleur mécanisme de défense du temps c'est tout simplement la vie des années 60.
Tout pousse Jake à ne pas poursuivre sa mission, les hamburgers/frites/bière à 1$ avant les conservateurs et la bouffe industrielle, sa Ford sunliner 1954 rouge à 250$ dont le prix du plein est anecdotique, la vie du lycée de la charmante petite ville du Texas où il s'établit et surtout Sadie. La jeune bibliothécaire Sadie Dunhill dont il tombe éperdument amoureux. Jake est grisé par cette vie facile, il est le chantre de la modernité car il a plusieurs décennies d'avance sur les grands changements de la société américaine, il respecte les femmes et il ne possède pas les racines racistes des états du sud. Il est une sorte de super-héros ordinaire.

Mais n'oubliez pas, le passé refuse d'être changé.

Vous l'aurez compris l'ambiance du bouquin a un charme dingue, l'Amérique des grands espaces et de la vie facile, Stephen King a une nostalgie profonde de ces années où on trouvait des Américains qui étaient bienveillants les uns envers les autres (sauf les noirs, faut pas pousser), où la bouffe était meilleure, où l'air sentait bon, où l'on pouvait aborder quelqu'un dans la rue sans passer pour un cinglé. Mais L'ambiance d'un livre ne fait pas tout et ce sont la chronologie et le style du bouquin qui m’ont le plus surpris. King complexifie son roman par une construction intelligente et subtile, les différentes époques parallèles que crée Jake fuient et résonnent les une dans les autres, par petites touches, des noms qui se ressemblent, des objets identiques, des situations qui se font écho.

En allant plus loin, le contraste entre l’aspect "bon enfant" des années 60 et la complexité du voyage temporel selon King traduit bien l'état du héros, tiraillé entre sa mission et son quotidien. On se rend compte que le voyage temporel n'est plus au cœur du livre car le rythme est donné par des événements dont l'importance face à l'histoire est sans commune mesure avec la "mission" de Jake. Pendant tout le roman on sent frémir une dimension insoupçonnée. A de nombreuses occasions dans le roman, King aurait pu nous laisser en plan sur un twist final décevant, mais non il va au bout de ce qu'il souhaite nous dire.

Stephen King nous livre un roman uchronique d’une redoutable précision et d'un charme fou en évitant de tomber dans l'optimisme béat. 9/10

PS: Au sujet de la version Audiolib, l'acteur François Montagut est parfait, et c'est heureux car un mauvais conteur aurait ruiné les 36 heures d'écoute. Un vrai acteur qui joue les répliques qui se doivent de l'être et laisse couler la narration en se faisant oublier quand il le faut.
Nanash
9
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Créée

le 23 juil. 2013

Modifiée

le 13 août 2013

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Nanash

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