À l'ombre des jeunes filles en fleurs par BibliOrnitho

Un livre en deux parties :

Autour de Mme Swann :
Faisant directement suite à la partie parisienne du « Côté de chez Swann », cette première partie de « A l’ombre des jeunes filles en fleurs » s’ouvre sur la vie citadine du narrateur. Visiblement, plusieurs années se sont écoulées depuis les jeux innocents avec Gilberte sur les Champs-Elysées. Le narrateur est maintenant un jeune homme et mademoiselle Swann occupe ses pensées à chaque instant. Les deux jeunes gens se retrouvent toujours « pour jouer » sur les Champs. Mais les jeux ont perdu de leur naïveté. On se regarde, on s’épie, on se frôle… et on en rit, non sans une certaine gêne ingénue.
Charles Swann a beaucoup changé. Lui jadis très mondain se trouve maintenant en marge de la très haute bourgeoisie. Son mariage avec Odette de Crécy a déplu. L’ancienne courtisane (la cocotte) n’est pas la bienvenue dans les meilleurs salons de la capitale. Mais sa grande beauté fascine toujours autant la gente masculine et un cercle se forme autour du couple. Des mondains, aisés. Des bourgeois un peu guindés, un peu vulgaires et parfois un peu ridicules. Des dandys, quelques vieux beaux ayant l’élégance et le verbe haut. Du menu fretin que la plus haute société regarde de haut et dédaigne : la princesse des Laumes, devenue duchesse de Guermantes, n’a jamais acceptée de rencontrer Odette et Gilberte malgré le souhait de Swann.
Quant au narrateur, lui, il ne rêve que de pénétrer dans cette maison. Cette maison qui est celle de Gilberte. Pour connaître la seconde vie de son amie et ne plus devoir attendre sa venue au parc sur les Champs-Elysées. Malgré toutes ses tentatives, il échoue – Swann et son épouse n’ayant pas une haute opinion de lui, alors que du temps de Combray, Charles était un proche de ses parents. Quand subitement, une lettre d’invitation ouvre les portes qu’on croyait devoir rester closes.
Le narrateur passe maintenant toutes ses journées chez les Swann où il jouit d’une aura flamboyante depuis que le bon docteur Cottard (mondain imbécile mais excellent praticien) a glissé un mot sur lui dans l’oreille d’Odette. Le proscrit est devenu un intime. Sorti du cocon familial, le jeune homme entre dans le monde et apprend à y naviguer. Mais ce temps passé auprès de Gilberte est au détriment de sa vocation d’écrivain, contrariée par son désir amoureux. Carrière dont ne voulait pas entendre parler son père mais rendue possible depuis que monsieur de Norpois (diplomate, ancien ambassadeur, grand ami et collègue du père au ministère) a convaincu ce dernier que la diplomatie n’était plus une situation enviable pour un jeune homme au contraire de la littérature. Le narrateur n’en a cure : ce temps passé avec Gilberte et dans le salon des Swann, les réflexions et l’enseignement qu’il en tire, l’analyse qu’il en fait lui seront utiles plus tard au moment de la création de son œuvre. L’écriture apparait alors comme le moyen de rechercher, et peut-être rattraper, le temps perdu.
Age d’or pour le narrateur qui, dans le salon des Swann, est enfin présenté à Bergotte, son écrivain préféré, auprès duquel il va poursuivre son apprentissage artistique. Mais bientôt le verni se craquèle. Gilberte se lasse peu à peu d’être portée aux nues et commence à avoir le vertige du haut de son piédestal sur lequel le narrateur l’a installé. Gilberte s’ennuie et leur relation se meurt, leur discussion se tari et un soir que Gilberte lui battait froid, le narrateur part blessé, bien décidé à ne plus revenir.
Sa décision qu’il voulait irrévocable ne l’empêcha ni d’aimer, ni de souffrir. Cent fois il manqua de lui écrire ou d’aller la voir pour lui crier de prendre garde « à son indifférence future », que bientôt il ne l’aimerait plus et qu’alors il serait trop tard. Mais il résistait, se contentait de rendre visite à madame Swann, de fréquenter le salon mondain de celle-ci chaque fois que son aimée était loin de la demeure familiale, n’écrivait pas, faisait le mort l’âme ravagé pour lui donner à penser qu’elle ne lui était pas indispensable. Mais au lieu de faire le premier pas que le narrateur attendait tant (un rendez-vous, une lettre…), Gilberte restait tout aussi muette. Puis le détachement se fit progressivement.

Nom de Pays : Le Pays :
Bien que souffrant toujours, le narrateur est en bonne voie de guérison. De son propre aveux, il était « arrivé à une presque complète indifférence à l’égard de Gilberte » quand il partit avec sa grand-mère pour Balbec – station balnéaire normande, huppée et à la mode, inspirée de Cabourg.
Arraché à sa routine confortable et rassurante, le narrateur s’inquiète du bouleversement que sera ce déracinement… et l’éloignement d’avec sa mère adorée. Mais petit à petit, de nouvelles habitudes s’installent. Sa grand-mère qui l’adore le couve de toutes ses attentions quasi maternelles, remplaçant efficacement Maman, restée à Paris.
Sa nouvelle vie s’organise autour de sa nouvelle chambre, de ses siestes que lui ont été prescrites par ses médecins, ses bains de mer, ses promenades sur la plage et la vie du Grand-Hôtel entre le directeur omniprésent et attentionné, les liftiers, les grooms, les repas dans la magnifique salle-à-manger et les autres résidents. Autres résidents parmi lesquels sa grand-mère reconnaît une de ses bonnes amies (la marquise de Villeparisis, apparentée aux Guermantes). Après avoir feint de ne pas la remarquer pour respecter sa tranquillité aussi bien que celle de son amie, les deux vieilles dames finissent par tomber dans les bras l’une de l’autre.
Le narrateur se félicite de cette relation : la marquise jouit en effet d’un grand prestige dans l’hôtel, tant auprès des résidents que du personnel ; prestige qui ne manque pas de retomber pour partie sur sa grand-mère et lui-même, flattant ainsi son égo. Nombreuses promenades dans la calèche de la marquise, déjeuner, thé et petits gâteaux en très bonne compagnie.
Le narrateur fit également la connaissance de Robert de Saint-Loup-en-Bray, petit-neveu de madame de Villeparisis en garnison à Doncières venu séjourner auprès de sa parente. Lui aussi apparenté aux Guermantes, il devient rapidement l’ami du narrateur : on les vit constamment ensemble. Le narrateur fit également la connaissance du baron de Charlus (Palamède de Guermantes, frère de l’actuel possesseur du château de Guermantes à Combray). Les liens avec cette illustre famille se resserrent donc dans cette seconde partie.
Seconde partie dans laquelle se resserrent les liens du narrateur avec l’illustre famille. Seconde partie qui est aussi la première apparition d’Albertine quand le narrateur découvre un essaim de jeunes filles se promenant sur la plage. Emerveillé, excité, affamé, il les regarde toutes avec envie, désirant connaître leurs noms, leur être présenté, les embrasser, pénétrer leur intimité. L’érotisme du texte devient évident et le lecteur tombe lui aussi amoureux de cette jeunesse qui peuple les rêves du narrateur. Sans cesse, il guette leur retour sur le sable, oubliant ses devoirs auprès de son ami Saint-Loup rentré dans sa garnison et qu’il avait promis de visiter, boudant sa grand-mère et madame de Villeparisis, mangeant à peine pour perdre le moins de temps possible et reprendre rapidement sa veille.
Et c’est avec de grands regrets et poussé par son aïeule qu’il gâche une journée à honorer un autre engagement : celui de rendre visite au peintre Elstir dans son atelier. Et contre toute attente, c’est là qu’il retrouve la trace de la jeune fille qu’il a inutilement attendu devant le Grand-Hôtel : Albertine Simonet (avec un seul « n ») lui est enfin présenté. Par son intermédiaire il fait ensuite la connaissance de toute la bande : Andrée, Rosemonde, Gisèle… deviennent ses inséparables amies. Il passe désormais tout son temps auprès d’elles, à l’ombre de ces jeunes filles en fleurs, s’allongeant dans l’herbe à leur côté, bavardant, jouant… et fantasmant. Il est obnubilé par la gente féminine comme peut l’être un jeune homme de son âge (âge jamais précisé que le lecteur ne peut qu’imaginer).
Amoureux d’Albertine, le narrateur feint toutefois de s’attacher à Andrée afin de gagner du prestige auprès de sa préférée, toujours persuadé d’arriver plus aisément à ses fins en simulant l’indifférence. Et Andrée, visiblement amoureuse de lui, joue le jeu et semble y trouver un certain plaisir (plaisir toutefois assez cruel).
Sûr de sa réussite avec Albertine qu’il croit assez légère, le narrateur fini par tenter sa chance dans les derniers instants de son séjour à Balbec. Mais la jeune fille lui refuse le baiser convoité. Les jeunes gens restent toutefois amis : Albertine ne gardant aucune rancune de cette tentative et le narrateur tombant de haut, s’aperçoit que son amour reposait finalement en grande partie sur l’espérance de posséder la jeune fille.
Puis la saison s’acheva, le mauvais temps revint. Le Grand-Hôtel se vida de ses estivants et ferma ses portes. Le narrateur regagna Paris.

Ce second volume me permet de renouer avec cette ambiance extraordinaire qui imprègne la Recherche du Temps perdu, dix-huit mois après ma lecture du Côté de chez Swann. Un texte riche en évènements, un narrateur davantage maître de son existence, moins en retrait.
Une texte riche non dépourvu de longueurs avec des paragraphes de dix pages durant lesquels le narrateur s’interroge, analyse, ergote et coupe les cheveux en quatre (notamment à la fin de la première partie quand il hésite tour à tout à renouer avec Gilberte pour y renoncer aussitôt. Mais au final, un texte merveilleux, empreint de magie et de poésie ou l’extase des envolées lyriques l’emporte sur la souffrance des passages difficiles.
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le 21 juin 2013

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