Ainsi parlait Zarathoustra est une oeuvre qui réclame au moins une semaine de lecture de par sa longueur et de par sa complexité stylistique. C'est un poème philosophique, c'est-à-dire qu'il allie deux formes de difficultés de compréhension qui sont à la fois le langage poétique riche en paraboles et à la fois un langage philosophique complexe. Ainsi, pour celui qui n'est pas familier de ces langages là, et il faut l'écrire sans mépris, c'est un livre extrêmement difficile à comprendre, à saisir et à lire. C'est pourquoi Friedrich Nietzsche a énormément suscité les fantasmes sur sa pensée à cause du caractère abscon de sa philosophie et également de son caractère ambigu : on peut parfois comprendre dans certaines pages ce qu'on veut y comprendre, on y met le sens que l'on veut y mettre. En conséquence, certaines idéologies de faibles d'esprit comme le nazisme et le fascisme se sont réclamés du nietzschéisme, pas tout à fait à tort et il faut être un esprit sain pour saisir la subtilité du texte complexe de ce vieux philosophe allemand. Ce poème comprend quatre parties, dont les trois premières sont les plus intéressants, la quatrième se contentant de poésies un peu futiles et ennuyeuses. Cependant, ce texte est une révolution copernicienne de la philosophie et pour le voir, il faut évoquer le triptyque de la pensée de Nietzsche : la Vie, la Terre et le Surhomme.


La Vie : Friedrich Nietzsche a une sainte horreur de la morbidité des hommes, il serait sans doute un détracteur d'Edgar Allan Poe bien qu'il en soit déjà un de la plupart des théologiens et philosophes qui le précédèrent. L'Homme ne doit plus se laisser frustrer ou se comporter comme une âme immaculée et sainte. Il doit se connaître, comprendre ses pulsions, mieux, il doit les épouser, les laisser libres et ne pas réprimer ses instincts les plus primaires. L'Homme est un animal, il mange, il fête, il danse et il fait la guerre. Il y a une virilité écrasante dans la pensée de Nietzsche et elle se caractérise par ce qu'il appelle la volonté de puissance. Qu'elle soit sexuelle, guerrière ou festive, l'Homme ne doit pas se soumettre aux religions, aux dogmes et à n'importe quelle idéologie, il ne doit pas se soucier de pitié et accepter le poids de la bienséance sur son dos, de l'esprit de lourdeur. Il doit s'affranchir, prendre de la hauteur, vivre sa vie grâce à la volonté et se surpasser lui-même, trouver sa propre vertu, créer et justement pas en se renfrognant dans un mode de vie religieux et morbide. L'Homme doit prendre ce qui lui est dû. L'Homme doit assumer être un homme (bon c'est vrai que les femmes prennent cher dans ce livre mais bon, regarder le passé dans un rétroviseur est une erreur grave en l’occurrence, qui n'était pas misogyne à l'époque ?)


La Terre. Nietzsche n'est pas platonicien, il ne croit pas en le monde des idées, il ne croit pas aux religions et en leurs paradis, il déplore ces hommes qui depuis le règne de Constantin se comportent ici-bas dans l'espoir d'un au-delà. Chaque idéologie de notre monde, même les plus athées, se calquent sur ce modèle religieux et platonicien. Notre philosophe le conteste et critique ceux qu'il appelle les hallucinés de l'arrière-monde. L'Homme ne doit plus vivre pour l'autre monde, il doit revenir à la Terre, au matériel, à SON monde. Il doit le comprendre, le connaître, l'épouser, en savourer les charmes et les douceurs. Il doit vivre sur Terre, pour la Terre et par la Terre. Ce n'est plus au Ciel que doivent s'adresser les prières des Hommes mais à la nature sauvage, païenne et vivifiante. De là à dire que Nietzsche est athée, c'est un grand pas que je n'ose pas encore franchir, mais pour lui Dieu est mort : il faut se consacrer entièrement au monde sensible et ne pas se fracasser sur les barrières invisibles d'un paradis perdu. Il ne faut pas être les calques d'un modèle céleste mais modeler notre Terre avec la volonté de créer, sans espoir ni desespoir de mort, car elle est naturelle. Le corps retourne à la Terre et reviendra de la Terre. Les atomes se forment et se déforment. C'est le cycle de l'éternel retour. L'Homme est toujours là, il ne s'évapore jamais, il vient et revient sur Terre, tout ce qui a été se reproduit, et tout ce qui se produit s'est déjà produit. C'est le matérialisme le plus spirituel et le plus puissant jamais écrit à notre époque.


Le Surhomme : Il s'agit là peut-être du concept le plus mal-compris et mal-perçu de sa philosophie. L'idée d'un homme nouveau a été repris par les pires totalitarismes. L'Aryen d'Hitler se calque de manière extrêmement grotesque de ce que dit Nietzsche de manière IMAGEE sur le Surhomme. Mais comment peut-on attendre d'un chef du IIIème Reich une subtilité sur un grand auteur tel que Nietzsche ? L'Homme n'est pas une fin en soi, dans notre monde c'est un squelette sans consistance nous dit Friedrich, et il ne doit pas se contenter de cela. L'homme ne doit pas être une fin mais un pont vers le Surhomme, l'Homme amélioré. Il ne doit plus vivre selon les traditions, il doit créer ses propres traditions. Il n'a pas à être le fruit d'une civilisation héritée des ancêtres, il doit créer sa civilisation pour ses enfants. C'est une philosophie des cycles civilisationnels et lire Nietzsche permettrait de comprendre l'anomie et le manque cruel de transcendance de notre société. Car oui, l'homme est vide, plat et il n'a plus de profondeur, il ne s'ancre nul part, il est hors-sol et il est triste. Se réapproprier le monde sensible, fonder sa civilisation, voilà qui le rendra homme supérieur, Surhomme. Ne laissons pas cette philosophie de la volonté aux hommes malades aux ambitions démesurées, chaque citoyen doit devenir un Surhomme avec sa vertu. Le monde, s'il cesse d'être un tombeau, peut redevenir le lieu où les Hommes vivent, pas le lieu où ils meurent et où ils se décomposent.

PaulStaes
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le 18 sept. 2017

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