Deux fois reine

Le destin d'Aliénor d'Aquitaine est sans conteste l'un des plus passionnants du Moyen Âge. Duchesse à 13 ans, reine de France à 14, puis reine d'Angleterre (après annulation de son mariage avec Louis VII) et femme politique de premier plan au gré de ses disputes et réconciliations avec Henri II, jusqu'à sa régence pour son fils Richard et ses tractations en faveur de son deuxième enfant Jean (sans Terre).

Le regretté Martin Aurell nous offre ici une biographie d'Aliénor qui prend beaucoup de pincettes. Dès l'introduction, il rappelle la rareté et la partialité des sources disponibles sur sa vie et son refus personnel de s'adonner à de la psychologie de bas étage pour tenter de donner du relief au personnage. Pourquoi pas. Cela donne un livre par moments un peu déconnecté de la figure autour de laquelle il est censé tourner, mais en contrepartie on en apprend beaucoup sur le XIIe siècle dans l'Occident chrétien par l'intégration d'incises qui éclairent sur les choix politiques ou la mentalité religieuse de cette époque troublée.

Court (160 pages broché), l'ouvrage est en réalité une retranscription d'un cycle de conférences donné pour le disque. Aurell adopte un ton pédagogique ce qui rend l'ouvrage tout à fait abordable pour un novice de la période, et même du Moyen Âge. Le style est simple, proche de l'oralité, et agréable à lire, si l'on excepte les digressions sur la généalogie inhérentes aux ouvrages sur la période. Car on comprend que le mariage et la descendance sont les pivots de la stratégie politique médiévale, une obsession pour les puissants et une crainte pour celles et ceux qui ne parviennent pas à engendrer d'héritier. Le poids de l'Église dans la vie affective et sociale de la cour est aussi dépeint avec talent, nous offrant un regard sur une institution dynamique et en constante recherche d'adaptation dans le contexte des croisades.

Nécessairement, le parti pris par Aurell contribue à quelque peu diluer la figure d'Aliénor en ne lui rendant pas sa chair, comme avaient pu le faire Régine Pernoud ou Ralph Turner. Scrupuleusement tourné vers les sources, l'historien en tire un portrait bien éloigné de la légende noire dont elle fut affublée dès son vivant par les chroniqueurs (tous des hommes) afin d'expliquer comment cette femme avait pu, avec une telle longévité pour l'époque (elle meurt à 80 ans), exercer une si forte influence sur la vie politique de son temps.