Antigone
7.4
Antigone

livre de Jean Anouilh (1944)

C’est un dossier complexe.


D’abord, on retrouve là absolument tout ce qui constitue le gauchisme : néo-romantisme réduit à l’individu individualiste, nihilisme qui rechigne à s’avouer comme tel, puis qui le revendique avec arrogance (le moment “révélations sur Polynice”), narcissisme geignard qui tente de se faire oublier en recourant à l’émotion niaise du retour à l’enfance (“la petite nounou ; la petite Ismène ; le petit Hémon ; le petit Créon ; et moi, la petite Antigone !”), et donc, aussi, le jeunisme (les vieux ont tort, les jeunes ont raison ; tout vieux n’est pas dictateur, mais tout dictateur ne peut qu’être vieux ; etc.). Autant de thèmes qui se retrouvent encore aujourd’hui chez ceux qui se disent “jeunes”. Créon a donc bel et bien raison, lorsqu’il dit qu’Antigone est déjà morte : elle n’avait en réalité aucune raison de résister, Polynice n’était, effectivement, qu’un prétexte. Esthétisme du nihilisme, romantisme de la cause “pour rien”, du refus pour le refus.


Est ainsi évacué le politique. Ou plutôt : les deux antipodes que sont le psychologique et le politique, plutôt que de s’exclure l’un l’autre, se parasitent en fait l’un et l’autre. C’est-à-dire que le choix n’est pas réellement fait ; il ne s’agit pas d’une oeuvre idéologiquement radicale, de laquelle on pourrait dire : “le psychologique évacue le politique”, et dénoncer cette opération. Non, on balance entre les deux, on sent bien la présence du politique, mais on sent aussi la prépondérance du psychologique, ce qui fait que, et l’un, et l’autre, se trouvent amoindris. Ce qui voudrait être une figure de la résistance est par trop caractérisée dans sa faiblesse, dans son rapport à sa soeur, est par trop incarnée dans sa singularité radicale, pour pouvoir prétendre être autre chose qu'Antigone, et seulement Antigone ; le refus du “oui”, sa persévérance dans la pulsion de mort, la soustrait à toute possibilité de politisation (si elle l’a étée, ça n’est que par idéologie, en passage en force) ; elle n'est que Antigone, petit être narcissique qui ne s’est pas remise de son enfance et de son lot de frustration. Créon subit lui aussi le même sort : ce n’est pas “la Loi”, “le Pouvoir”, c’est simplement Créon.


En revanche, cette réduction, à lui, lui profite. A tel point que le vrai, beau et grand sujet d’Antigone, ce pourrait être Créon lui-même. Car il dépasse ses petits atermoiements de petit tyran peiné (“qu’il est difficile d’être un dictateur” - sur le ton de Didier Bourdon) pour atteindre à une vraie profondeur psychologique. Mais gare ! Car, de ce fait, l’identification dérive ; et il se pourrait bien que la réputation sur laquelle on base le prestige de la pièce se révèle un peu plus bancale…


Mais louons les (au moins) deux grands moments de cette pièce : l’irruption d’Ismène, en brusque revirement et conclusion de la tension jusqu’ici accumulée, qui bouleverse de par son désarroi qui la place en décalage total vis-à-vis de ce qui se joue réellement. Elle était déjà bouleversante chez Sophocle (il faudrait donc se pencher un peu plus sur son cas). Et puis aussi la dernière scène, avec le soldat ; encore une fois, le narcissisme d’Antigone joue contre elle mais paradoxalement met en valeur ceux qui lui font face, en l’occurrence ce soldat d’une platitude affligeante, révélé dans cette platitude par Antigone, et donc révélé dans tout ce qui fait sa tristesse.

Créée

le 7 mars 2021

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