Femmes d'été et femmes d'hiver, c'est à peu près ainsi qu'aurait dû être traduit le nouveau roman de Chris Kraus, successeur du vertigineux La fabrique des salauds. Le titre choisi en français, Baiser ou faire des films, trivial et provocateur, est certainement plus évocateur mais bien moins poétique, mais il n'est pas complétement étranger à la tonalité du livre, si l'on veut bien le teinter d'ironie, sachant que son héros, Jonas, est fidèle à son amie tout au long du livre (quoique) et pour ce qui est de filmer, ses projets ont plutôt tendance à prendre l'eau. Néanmoins, dans cette aventure d'un apprenti cinéaste dans le New York des années 90, Jonas va beaucoup apprendre et avoir matière à s'étonner, au milieu de personnages plus pittoresques les uns que les autres. Maniant la fantaisie et l'absurde avec virtuosité, Chris Kraus plonge son principal protagoniste dans une marmite fumante au gré de rencontres baroques où l'esprit beatnik et bohème semble prévaloir, de même qu'une certaine attirance pour le mauvais goût. Jonas, en provenance directe de la vieille Europe, est un peu décontenancé par l'extravagance des habitants de la Grosse Pomme et sa candeur (relative) nous trace le chemin de manière sinueuse, nous faisant assez souvent éclater de rire. Sauf que, tout de même, le sujet de l'Holocauste est aussi terriblement présent à travers le personnage excentrique de la tante de Jonas, qui ne l'est pas vraiment, sa tante, mais a bien connu son grand-père, qui a sévi durant la deuxième guerre mondiale. Jonas ne veut absolument pas faire un nouveau "film à la con sur les nazis" et préfère réaliser un film sexuel sur les oreilles, dont l'intérêt n'est pas garanti. Quoi qu'il en soit, cette chronique d'un apprentissage singulier, si elle n'a pas l'impact traumatisant de La fabrique des salauds, confirme en partie le talent du romancier, connu jusqu'alors comme un cinéaste doué (Quatre minutes). Écrire ou faire des films, Chris Kraus aurait bien tort de choisir entre les deux activités.

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le 18 janv. 2021

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