Il devient très difficile d'ouvrir un livre sans avoir auparavant subi en son être une forme de lavage de cerveau tout fait de préjugés et de clichés, qui doivent autant à la bêtise qu'à une sorte de mépris intellectuel communément partagé pour certains livres, notamment quand ils sont écrits par des femmes, et notamment certaines femmes qui ont l'audace d'inventer des nouvelles formes d'écriture. Je dois confesser ne pas être totalement insensible à certaines critiques féroces sur certaines auteures, comme Marguerite Duras entre autres, et que, parfois, elles me procurent une certaine satisfaction sadique et cruelle. C'est donc avec morgue et une très sérieuse mauvaise foi que j'ouvris Bonjour tristesse de Françoise Sagan, son premier roman, et que je m'apprêtai à le détester, avec snobisme et peut-être, inconsciemment, avec un brin de sexisme. Pourtant, ce livre a été un véritable plaisir littéraire, une jolie rencontre avec une prose légère et acidulée, comme une citronnade dégustée devant l'immensité azur de la Mer Méditerranée, ainsi qu'une belle histoire qui n'a rien à envier à certaines œuvres d'académiciens d'hier et d'aujourd'hui. De là à dire que Françoise Sagan s'élèverait au rang des auteurs des grands chef-d’œuvres de la littérature, il y a un pas immense à franchir. Mais quand bien même, Bonjour Tristesse est un très beau roman, très efficace et très introspectif sans pour autant être tellement auto-centré. L'histoire de cette jeune fille de dix-sept ans, partie en vacances avec son père dans une villa près de la mer, en été, qui se retrouve mêlée à une histoire d'amour entre son père et une femme de la haute société, pleine de décence et de convenance, nous touche à de multiples égards, et nous transporte assurément vers une réflexion sur la nostalgie, et en filigrane, quand le drame s'y mêle, à la tristesse.
Que ce roman puisse agacer, je le comprends totalement. D'abord, ce cadre estival a un côté très magasine féminin, drame de comédie romantique ou presque à la sauce Call me by your name, et cela a un coté très irritant, d'autant plus quand il est véritablement le réceptacle de toute la narration. Une fois ce cap passé, il faut également passer outre l'introspection d'une jeune fille adolescente des années cinquante, qui en plus d'être parfois franchement agaçante, regroupe tous les poncifs de ce qui révolte chez une jeune femme écervelée : l'inconstance, le caprice, l'impertinence et la fausse transgression. Pourtant, quelque chose me séduit beaucoup dans ce cynisme assumé, dans cette sincérité très vraie, et même dans cette clémence, qui consiste à comprendre l'autre, même si ses actes sont parfois en eux-mêmes intolérants. Il est fait un faux procès à Françoise Sagan qui est loin d'être un monstre, ni d'égoïsme ni de cruauté, et qui au contraire me semble très valorisée par ce roman. Surtout, il y a quelque chose d'absolument terrifiant dans la vision du personnage principal à la vue d'Anne, quand elle perd son armure pour montrer un visage dévasté. Il y a une véritable recherche de la tristesse, de ce sentiment qui finalement n'est pas définissable, qui est presque inconsistant dans la détermination de son sens, qui à mon humble avis, est très réussi. De plus, le roman fait la part belle à la féminité, et à de nombreux types de femmes qui sont toutes très détaillées, et qui, en comparaison, font des trois personnages masculins du livre des hommes ectoplasmiques, qui n'ont d'ailleurs comme seule source d'intérêt des femmes qui leur donnent une raison d'être. Cyril n'est rien sans le personnage principal, le père n'est rien sans Anne et sans sa fille.
Evidemment, le problème très souvent mis en exergue par les critiques de Bonjour tristesse est celui du style, très épuré et très prosaïque. Pourtant, et contrairement à ce qui m'a plus dérangé chez Marguerite Duras, la simplicité dépouillée du roman m'a d'une certaine manière réjoui parce qu'il ne se donne pas un air révolutionnaire, provocant ou même médiocre. Le style de Sagan est très restrictif, certes, mais a un seul objectif : informer et raconter l'histoire. Le roman repose uniquement, et il est vrai que cela peut déplaire dans un pays comme la France, sur l'histoire. Elle sert à provoquer le sentiment de la tristesse, à l'expliquer et à quelque part la symboliser. D'une certaine manière, c'est une réussite, mais très franchement, il est difficile de ne pas excuser quelques maladresses et quelques guimauves quand elles proviennent d'une jeune auteure de dix-huit ans. Le genre n'est pas celui que j'affectionne habituellement, et ne sera sans doute pas celui que je vais plébisciter à l'avenir, et pourtant, le côté très psychologique ne tombe pas totalement ni dans la facilité ni à côté, à un point tel que les critiques injustes faites à ce livre m'ont paru déplacées, faciles et totalement infondées. Bonjour tristesse restera comme un joli rayon de soleil caressant les falaises, et les peaux nus des jeunes amants, comme une douceur, une tendresse ou une larme.