Récit biographique. Sylvain Tesson nous emmène dans sa piaule de location en Sibérie. Il part pour six mois avec beaucoup de bouquins et de la gnôle pour se bourrer la gueule. Certes. Intéressant propos.
Le tout étant biographique, il ne faut pas s'attendre à moult péripéties. Sylvain Tesson s'expérimente. Il se pose lui même la question : ai-je une vie intérieure ? La réponse est : oui, celle du bobo moyen.
Il a trop lu et veut trop montrer sa culture, d'où des phases telles : "je passe deux heures dans la position du docteur Gachet peint par Van Gogh."
Mais on s'en cogne, mon coco...
Il fait aussi des haïkus pouraves. Il est tellement content de lui.


Après un début poussif (très poussif), Tesson a captivé mon attention durant une ou deux dizaines de pages, où l'immersion dans la rude nature sibérienne nous touche par sa poésie. La poésie du réel. Cette nature vierge est sidérante et une description tombe parfois juste. Mais combien de pédanteries pour décrire les choses simples ! Et quel besoin l'auteur avait il de nous accabler avec ses idées très banales : verbeuses, ciselées dans leur forme mais si plates. Sa seule idée : jouissons de l'instant. Cessons de nous encombrer du passé et de l'avenir.


Les activités de l'auteur laissent songeur. N'ayant rien à faire, il marche parfois des journées entières pour rendre visite à un voisin et se torcher la gueule à la vodka. Au début, on se laisse prendre par la main. A la fin, on se lasse du récit grandiloquent de ses randonnées pédestres en milieu froid. J'aime le style. Mais là, c'est trop : je comprends à peine ses descriptions trop recherchées.


Ah l'impossibilité de dire les choses simplement ! À trois métaphores par paragraphe, c'est l'overdose.


Sa descente d'alcool m'inquiète sincèrement : à le lire, une bouteille de vodka y passe tous les deux jours. "Je me lustre les nerfs avec 50 cl de vodka" : je ne sais qu'elle est la relation la plus compliquée de Tesson : celle avec la bouteille, ou avec la langue française ?


Au delà de l'ennui visqueux que distille cet essai, je souhaite parler d'une chose qui m'a frappé et fait rire : la propension de Sylvain Tesson, grand voyageur, à juger un peuple à coup de clichés et de petites phrases, que lui seul doit trouver spirituel.
Florilège : "les russes bâtissent toujours les choses dans l'urgence, comme si les fascistes allaient débouler d'une minute à l'autre" ; "on commence par défoncer les blancs talus puis on éventre les Polonais" ; "le banya, version slave du sauna, illustre le mépris des Russes pour la temperances" ; 8 mai : "les Russes de l'an 2010 n'en reviennent toujours pas d'avoir battu les fascistes" : bah non, connard, tu écoutes juste une émission de radio où l'on commémore la victoire de 1945, exactement comme en France, parce qu'il faut bien meubler.


Vers la page 200, moment de grâce : Sylvain Tesson nous livre quelques beaux moments de contemplation, très sincères. On pense à la frénésie active de sa propre vie : mais pourquoi ne parvenons pas à nous arrêter et à contempler un moment le ciel ? A cet instant là, étrangement, Tesson calme son verbiage.


Je concluerai sur un dernier point : Tesson triche. Il prétend partir dans la solitude pour s'éloigner des hommes et se confronter à lui même et à la nature, dans un acte gratuit, en somme. Mais il en tire un livre à vendre aux gogos français : l'acte gratuit ne l'est plus pour un sou. J'imagine l'auteur Tesson dans la solitude, grattant son manuscrit à refourguer à son éditeur parisien, et calculant les droits d'auteur qu'il va bien pouvoir tirer de son amour inconditionnel de la nature.


Alors il gratte ! Le salaud, il n'a souvent rien à dire. Il va jusqu'à nous commenter les ouvrages qu'il lit, comme le Fouquet de Morland (page 172) : mais qu'en ai-je à foutre, du Fouquet de Morland ? Si je souhaite lire un livre d'histoire, je peux l'acquérir, plutôt que de me taper un succédané absurde dans une cabane sibérienne. Entre deux plaisantes description, Tesson nous abasourdit de niaiseries : on dirait un gosse savant qui veut faire valoir partout son érudition et nous assène sa maigre et enfantine philosophie. Et le gaillard ne craint pas d'être répétitif.


Surprise, à l'ultime fin du livre, l'auteur se fait plaque sa copine : "la femme qu'il aime", mais dont il n'a pas parlé une seule fois en deux cent pages de journal intime en Sibérie ! Pas une seule allusion ! Une fois ou l'autre : ne pas penser a la caresse DES femmes. Donc, mon coco, tu te fous d'elle. Tu pars six mois en Sibérie, sans prendre, ni donner de nouvelles. Mais mon vieux, si ta femme avait voulu d'un mec qui se barre six mois sans reparaître, elle aurait pris un sous marinier... Ce que ce mec s'aime, et quel égoïsme. Nous noyer avec ses commentaires débiles sur les livres qu'il bouffe et ne pas mentionner une seule fois que sa copine lui manque ? L'auteur découvre être un "sale mec dont le caractère assèche tout et crée le désert autour de lui." Le lecteur que je suis confirme.


Je ne saurai conseiller la lecture de cet ouvrage, mais chacun a le droit d'épancher ses vices, même le goût pour les aphorismes pompeux et pseudo-philosophiques. Sylvain Tesson lui aussi avait le droit de nous livrer son journal intime de collégien en Sibérie. Il aurait eu aussi le droit de ne pas nous gonfler avec ses bavardages.

AntonJørgen
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le 30 avr. 2019

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Anton Jørgen

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