Diderot
Diderot

livre de Pierre Lepape (1991)

Si vraiment il ne devait en rester qu'un - hypothèse heureusement absurde et inutile - je n'aurais pas une seconde d'hésitation avant d'appuyer sur le bouton : Denis Diderot über alles. Oui je rêve d'une "clean install" radicale, un effaçage du Disque Dur du monde pour repartir à zéro et patiemment tout reconstruire pas à pas, avec comme Système d'Exploitation le génie de Diderot, son intelligence, son humour, sa clairvoyance, son ironie, son goût du jeu, et sa haine absolue du dogmatisme.


C'est ce personnage à nul autre pareil que Pierre Lepape fait revivre dans son extraordinaire livre, qui retrace le parcours du philosophe bouillonnant. Il démêle avec art toute la pelote biographique de l'incomparable Denis pour composer un portrait tout en nuance de cet histrion formidable, stoïcien hystérique, affabulateur sincère, passionné incorruptible, qui se lance à 34 ans, presque inconnu, dans l'aventure hallucinante de l'Encyclopédie. Cette cathédrale inhumaine, illisible, inachevée et ratée, est aussi le plus merveilleux des plaidoyers, un pari philosophique et moral que Lepape raconte avec verve. Puis vient la brouille avec Rousseau, les luttes contre le pouvoir royal et l'Eglise catholique, l'amour épistolaire avec Sophie, les déboires familiaux, la tentation politique avec Catherine II de Russie, épreuves, aventures et fulgurances qui peu à peu construisent l'homme et le penseur, ce matérialiste athée amoureux de la vie et de ses contradictions infinies.


Pour Pierre Lepape, il ne fait aucun doute que non seulement Diderot est un esprit à part, mais que cette distinction est ressentie très tôt par son principal intéressé et qu'elle a une conséquence évidente et inévitable : Diderot trop à l'étroit dans son son temps, finit par comprendre que personne ne saurait le comprendre autour de lui. Une aventure parallèle commence alors, un roman dans le roman, à l'image de ces poupées russes littéraires que Denis aima tant. Ou comment, quand on est trop en avance sur les mentalités de ses contemporains, jouer consciemment à saute mouton avec les siècles, avec l'espoir que l'avenir, lui, saura apprécier et accepter. Et Lepape dessine avec finesse et amour les contours de cette œuvre souterraine volontairement pensée et écrite pour la postérité – pleine de formes nouvelles et d'idées impensables comme cryogénisées pour plus tard – montrant qu'elle est l'ultime chef-d’œuvre de Denis, qu'on ne peut voir comme les anamorphoses que de loin. En un mot comme en cent, si DD n'avait pas existé, lui seul aurait pu s'inventer.

Chaiev
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le 19 oct. 2015

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