Quand je suis arrivé au bout de la lecture, le diagnostic fut sans appel.
Merde. Il a raison Tillinac. Ce sont les autres qui ont tort.


Moi aussi, serais-je un réac au fond ?


J'en ai bien peur. Mais avant de me faire à cette nouvelle assomption, laissez-moi vous décortiquer une réalité que j'espère plus nuancée sur ce mot tellement connoté.


Je tiens d'ors et déjà à la précision, Je suis réac au sens ou l'entend Dennis Tillinac. Car le réac aujourd'hui est une sorte de pot-pourri où on y jette que des ingrédients avariés. Ce terme appartient à ces nouvelles galaxies de mots-valises, de mots dévitalisés même, des mots sirotés de leur sens originel pour désigner tout et surtout n'importe quoi. Sous cet attribut à l'insinuation péjorative, on détermine, on catalogue, on divise et on proscrit. Homo reactus exhibe ce visage rabougri à la mode, teint blafard pour un type enfermé sur lui-même et prompt à désigner l'autre comme la source de tous ses malheurs. Créature médiatique, il déverse sa bile plateaux TV après plateaux TV, répand son fiel insidieusement pour mieux imprégner les esprits faibles. Cachez les enfants, le réac arrive !


Je ne vous ferai pas l'injure d'adosser à cette description une liste de noms propres, vous les connaissez aussi bien que moi.


Mais revenons à la racine. Le mot réac comme l'explique Dennis Tillinac possède une étymologie limpide. Voyez plutôt : en réaction contre les tendances de l'époque. Nous brassons déjà plus large.


Parce que le réac demeure un allergique à sa société, il est un voyageur en transit qui hésite à prendre le train fou de la marche du monde. Il reste circonspect devant sa silhouette trop propre pour être honnête, et n'augure rien de bon quand à sa contenance. Du reste Il préfère esquiver l'appel et raconter pourquoi il reste à quai.


Première disjonction. Le réac décrit son désamour pour l'époque. Il ne l'aime pas. Et elle le lui rend bien. On ne tance pas impunément son milieu.


Mais pour être aimée, il faudrait qu'elle soit aimable cette époque. Une époque constituée de soubresauts médiatiques, d'impératifs moraux et d'indignations sélectives, de buzz à l'infini et de zappings généralisés. Une sorte d'usine gargantuesque qui ne produirait que des produits infâmes ou aseptisés à la chaîne. Produit. Le mot fâche d'emblée.


Le libéralisme et encore plus son excroissance libertaire n'est pas du goût du réac. Il l'abhorre prodigieusement. Il sait qu'elle n'est qu'une ruse du capitalisme pour capter toujours plus les velléités individuelles et le mener vers le marché de masse. Ce que Michel Clouscard et d'autres ont théorisé avant-lui. Clouscard tiens, penseur marxiste s'il en est et qu'on ne soupçonne pas de pencher à droite.


Parce que le réac n'est ni de droite, ni de gauche (bien au contraire).
Le réac ne marche qu'a l'affect. Et uniquement à cela. Il se méfie des portes-drapeaux comme de la peste et renâcle farouchement à jouer le jeu des boutiques partisanes. Il place l'idéologie à la marge mais les idées en haute estime. Défiler et militer ? Très peu pour lui. Il ne s'embarrasse pas de ces considérations politiques vindicatives. Il aime en revanche bavarder et disputailler un avis à la loyale, sans a priori insensés. Le réac optera toujours davantage pour l'échange d'un mot dans une ambiance intimiste plutôt qu'un micro privatisé dans une assemblée frénétique de dévots.


Denis Tillinac dans le texte :



Je préfère les idées qui émeuvent à celles qui mobilisent, les
sourires de l'humour aux hargnes de l'engagisme,
les amitiés choisies aux fraternités collectives.



Parce que le réac est un romantique. Lui seul le sait car il ne cède pas aux charmes factices de l'émotion perpétuelle. Il connaît la différence entre sensibilité et sensiblerie. La première ne s'achète pas et éclot d'une subtilité rare, absente du monde contemporain. Et parce qu'il croit au caractère sacré de le fraternité, il ne dilue pas son amitié en alliance, ne la dilapide pas devant les voyeurs assoiffés d'exaltation. Les prestidigitateurs modernes qui distribuent des illusions teintées de passions ne sont que des imposteurs. Le réac ne joue pas le jeu de ce frisson libre de circulation. La préciosité demande de la retenue et de l'exigence.


Parce que le réac conserve un sens du tragique et de l'Histoire. Il ne regarde pas les fantômes du passé avec dédain et se garde bien de les juger. D'abord ils ne sont plus là pour répondre. Sa position me rappelle cette phrase prononcée par Gandalf le magicien dans le Seigneur des Anneaux de Tolkien.



Nombreux sont ceux qui vivent et méritent la mort.
Et certains meurent alors qu'il méritent la vie.
Pouvez-vous la leur donner ?
Alors ne soyez pas si empressé d'infliger la mort en jugement.



Le réac rompt avec le discours de repentance, tellement en vogue dans notre société. Il ne s'agit pas de nier les affres du passé, mais d'en éviter cet écueil consistant à moraliser les faits historiques. Cette pratique relève de l'anachronisme et biaise la réflexion. Expliquer et contextualiser plutôt que s'émoustiller. Battre sa coulpe et quémander le pardon ne profite à personne. Le sanglot déshonore plus qu'il n'apaise et contraint la société d'aujourd'hui à se distancier d'une forme d'analyse rationnelle. D'où les tensions entre ceux qui se disent victimes "au nom de" et les autres qui se disent garants "au nom de". Pour illustrer son ressenti, Dennis Tillinac rappelle ce très joli texte du poète carribéen Derek Walcott, prix Nobel de littérature:



Je dis à l’ancêtre qui m’a vendu et à l’ancêtre qui m’a acheté:
je n’ai pas de père, je ne veux pas d’un tel père,
bien que je puisse vous comprendre, fantôme noir, fantôme blanc,
quand l’un et l’autre vous murmurez « Histoire ».
À vous grands-pères à qui intérieurement j’ai pardonné,
je vous adresse, comme le plus honnête de ma race,
un étrange merci. Je vous adresse un étrange,
amer et pourtant exaltant merci
pour cette immense friction et soudure de deux grands mondes,
pareils aux moitiés d’un fruit jointes par son propre jus amer,
je vous remercie de m’avoir placé, exilé de vos propres édens,
dans la merveille et le prodige d’un autre.



Voilà une attitude autrement plus féconde que les lamentations peu charitables d'aujourd'hui. S'approprier son passé, ce n'est pas en faire son procès mais au contraire en tirer une force du quotidien. Faire naître de cet écho un témoin élégant et assouvi, pas une bassesse qui accuse l'autre d'être un héritier d'une époque qui ne réclame pas son dû. Mais cela demande de la tempérance et surtout un recul qu'on ne perçoit malheureusement plus.


Parce que le réac est spirituel. Il déplore l'absence de verticalité dans nos sociétés. Le trou béant laissé par le départ des valeurs traditionnelles a ouvert le champ aux plus viles intentions. Ces structures paradoxalement, formait comme un cocon, un bouclier contre une globalisation toujours plus invasive. Après la marchandisation des objets, le corps humain semble être le prochain cœur de cible de nos thuriféraires mondialisés. Plus rien de sacré, d'intouchable, tout peut être matérialisé et empilé sur un comptoir.
Voilà une piste intéressante pour comprendre ce retour du fait religieux chez nos compatriotes musulmans. L'état ne proposant plus aucune espèce de transcendance, l'homme se tourne naturellement vers le réconfort d'un idéal qui le dépasse et l'inspire.
La déconstruction toujours plus croissante du monde d'avant par nos élites a permis cette dichotomie, génératrice de beaucoup de tensions présentes.


Parce que le réac est allergique aux épithètes. Il rejette farouchement l'armada sémantique de la caste médiatico-politique à l'œuvre dans la société. Celle qui se pense plus procureur que journaliste, plus douanière que pluraliste. Faut dire qu'elle ne laisse rien passer. Elle traque en meute sans relâche et repère derechef le malheureux qui a osé franchir le Rubicon de la pensée.
Vous savez le fameux « dérapage» ! Leitmotiv scandé à chaque instants, pour tout et absolument n'importe quoi. Il serait judicieux que ces gendarmes de la syntaxe sûre nous donne les coordonnées GPS de cette route sacrée, afin qu'on puisse en étudier les bas-cotés. On dépasse la ligne si vite de nos jours... Prudence !


Parce que le réac est incrédule quand aux néologismes contemporains. Les -ismes et les -phobes parmi les plus célèbres. Ils sont de petites étiquettes manufacturées pour mieux distinguer les gens, les restreindre toujours plus à une particularité qui ne les définit en aucun cas. La tyrannie de l'encloisonnement est le mal de l'époque. Je vous laisse deviner à qui profite cette subdivision toujours plus segmentante de la société. Atteindre le salut de l'âme par la consommation est une bien triste réalité à laquelle le réac ne souhaite pas être assimilé. Excusez-le.
Il souhaite au contraire s'affranchir de cette réclusion, déchirer les carcans imposés et se ressembler avec son prochain sous la bannière nationale, ultime protection pour barrer la route à tous les marchands de mauvaise augure.


Parce que le réac est patriote. Il respire plus que quiconque la terre sous ses pieds et le murmures de ses aïeux. Il est fier de son appartenance et le revendique à l'encan.
On le fustige pour cela. Tant de passion pour la mémoire est suspect, Il ne donne pas assez de gage en vertu du monde moderne. Pourquoi ces pétillements dans les yeux pour une époque rance et moisie ? Vous savez cette fameuse France rance, constituée de clochers d'église et de villages séculaires. En quoi cette démonstration est-elle nécessairement une haine révélée à l'égard de l'étranger ?
Au contraire il célèbre la culture et l'identité, aujourd'hui marqueurs ambigus mais hier encore valeurs de partage, formant un socle commun pour n'importe quel Français, peu importe son origine.


Le réac a les oreilles qui chauffent quand il entend certains qualifier cet amour immodéré de ringard voir nauséabond, autre terme en vigueur pour dissoudre le réac, dernier qualificatif de leur champ lexical à base de bruit et d'odeur.


Il y a peu j'entendis sur un célèbre talk show du samedi soir un nouveau philosophe, fils de, et sorte de clone adolescent de BHL qualifier la France de terre d'appellation d'origine contrôlée. Ce mépris est tout bonnement insupportable. Depuis leurs tours d'ivoires parisiennes, il semble que ces fameuses élites mondialisées ne soupçonnent même pas les milles richesses de la France. Tant mieux d'un coté. Ça en fera toujours plus pour le peuple.


Le réac est insensible à ce mythe du citoyen du monde. La terre n'est pas une friche plate et ouverte à tous nos désirs. La moindre des choses et de s'essuyer les pieds avant de rentrer chez l'autre et d'attendre sa bénédiction pour franchir le pas.


Parce que le réac est un paradoxe. Un énorme paradoxe. Il n'échappe pas lui-même à ce qu'il dénonce. Il se complaît dans cette appartenance réac et se renferme étrangement dans un tiroir définit par un ensemble de norme ou d'idéaux. Ça ne mange pas de pain finalement d'être réac. On se colle le tampon et nous voilà membre du club. Sous couvert de filiation avec l'un des points soulevés, est-on un réac ? Combien de valeurs avons-nous besoin pour nous réclamer de cette branche ? On pourrait en outre lui reprocher un mépris, pas de classe car le réac ne se soustrait pas en terme sociologique, mais il prolifère un royal snobisme à dédaigner ses semblables. Il aime tellement pester devant l'agitation frénétique du monde qu'une certaine irascibilité ne lui est pas toujours étrangère.


Mais Le réac aussi, et c'est en cela qu'il demeure un indécrottable romantique*, fantasme un monde d'autrefois. Sa nostalgie adoucit les contours et ennuage les infortunes. Il est fort à parier que ses propres Héros, qu'il évoque sans arrêts, ne perçoivent pas du même œil bienveillant ce monde perdu.


Je me place volontiers dans cet égarement de la réflexion.


C'est pourquoi, contrairement à ce que j'annonçais en début de critique, j'essaye de rejeter cette décoration. Je préfère tendre vers une autre expression que Denis Tillinac dissémine au fil de son formidable essai. Celle de « l'honnête homme». Un citoyen à l'esprit souple mais néanmoins solidement amarré.


-



  • Merci à la douce Brune Platine de m'avoir permis d'emprunter son expression
    pour la placer dans mon texte.

Liverbird
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le 7 oct. 2016

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