Un livre en trois parties de longueurs inégales :

Combray :
Le narrateur est jeune enfant. Combray est le petit village dans lequel il passe ses vacances d’été, le village de la tante Léonie (« tante au sens large, car la femme est la fille de sa grand-tante – la sœur de son grand-père maternel). Le narrateur, dont le nom n’est jamais mentionné, y souffre d’un manque affectif. Chaque soir à l’heure du coucher, il aspire au baiser maternel qui lui permettra de s’endormir. Mais les parents ne sont guère démonstratifs et le père s’emporte de cette sensibilité de son fils qu’il juge excessive. Sois un homme mon fils, écarte-toi des jupons maternels ! Ce que, justement, le narrateur se montre incapable de faire. L’idée même l’en rend malade.
Combray, c’est le temps des vacances. Le temps des balades en famille. A partir de la maison de tante Léonie (madame Octave qui reste alitée depuis la mort de son mari) on peut partir, soit du côté de chez Swann (vers la plaine) ou du côté de Guermantes (vers la rivière – la Vivonne – et les boqueteaux). Deux côtés fort différents qui ont tous deux leurs attraits.
Le côté de chez Swann, c’est l’amour, le passage obligé le long des grilles de la maison de Charles et de sa famille : la très belle et sulfureuse Odette de Crécy (épouse Swann) et Gilberte leur fille unique dont le narrateur s’entiche. Maison entourée des fameuses aubépines que le narrateur aime tant et sur lesquelles Marcel a écrit sa célèbre et magnifique tirade. Le côté de chez Swann, c’est aussi l’aspect charnel de l’amour, le côté de Mr Vinteuil et de sa fille aux amours lesbiennes. Le côté des femmes peu recommandables (et qui attire tant le narrateur).
Le côté de Guermantes est à l’opposé. Sur le plan géographique d’abord, car pour aller se balader de ce côté-ci, on ne sort pas du jardin de Léonie par la même porte. Les Guermantes sont les châtelains de la région. Des gens fort riches qui ne viennent presque plus dans leur château. Cet éloignement les a rendus comme immortels aux yeux des riverains. Un mythe qu’on s’empresse de venir admirer béatement lorsqu’un membre de cette illustre famille daigne paraître (à l’église pour un office). Le côté de Guermantes est un côté plus élevé, plus mystérieux, aux antipodes des espérances terre-à-terre du côté de chez Swann. Lorsque la famille part de ce côté, chacun sait que le narrateur et ses parents rentreront tard. Car la promenade est bien plus longue et les entraine bien plus loin. Il n’est pas rare qu’on ne rentre qu’à la nuit. Dans ce cas, dès le retour, on se presse de monter rassurer tante Léonie avant même de songer à se changer.
A côté de cette opposition « horizontale », une dichotomie « verticale » scinde la maison de tante Léonie en deux. Le rez-de-chaussée est l’endroit où la famille reçoit. C’est la vie de la maisonnée, l’aspect social, mondain de la famille. Charles Swann y fait de fréquentes apparitions, presque quotidiennes (son défunt père était un ami du grand-père). Le narrateur, jeune, est écarté : il doit manger rapidement afin de monter dans sa chambre et laisser « les grands » à leurs affaires.
L’étage, lui, est une zone de solitude. La partie intime de la maison, celle dans laquelle on se repose et à laquelle les amis n’ont pas accès. Quand Swann rend visite à Léonie, celle-ci fait dire qu’elle repose, ou qu’elle réfléchit et qu’elle recevra ce dernier « plus tard ». L’étage est la zone dans laquelle le narrateur se morfond, seul, espérant follement que sa mère quitte les mondanités (ne serait-ce qu’un instant) pour venir lui dire bonsoir et l’embrasser. Espoir souvent déçu qui tient le narrateur éveillé, seul avec ses pensées.
Cette première partie, à la campagne, est une critique sociale dans laquelle Proust décortique les différents « notables », notamment l’obséquiosité de Langredin, snobinard qui cherche par tous les moyens à attirer le regard des puissants.

Un Amour de Swann :
Dans cette seconde partie, sensiblement plus longue que la précédente, le lecteur change et de lieu et d’époque. Il quitte la campagne pour Paris et fait un bond en arrière de plusieurs années alors que le narrateur n’est pas encore né. Il poursuit néanmoins son récit, tel une voix off décrivant avec détachement une scène se déroulant sous yeux.
On suit cette fois les pas de Charles Swann, dandy célibataire, riche et fort cultivé. Vie mondaine, de théâtres en salons, de la princesse des Laumes (de la famille des Guermantes) aux Verdurins. La première, parangon de raffinement, les seconds plus mesquins et envieux : leur clan est à la limite de la petite société sectaire qui se complait dans la médisance et la bêtise. C’est pourtant à eux que s’accoquine Swann qui délaisse par là même ses autres relations. Comportement dicté par son amour irraisonné pour la très belle Odette de Crécy, femme aux mœurs légères (une courtisane) qui se lassera rapidement de lui. Mais Swann qui se consume pour elle ne renonce pas. Il sombre dans le ridicule puis dans la folie. Ses connaissances rient tout d’abord – amicalement. Puis les critiques se font plus mordantes. On se moque, on parle dans son dos. Swann n’écoute pas, n’entend pas, tout à son obsession.
Dans cette partie, une pièce musicale (la Sonate de Vinteuil) revient tel un leitmotiv. Petite phrase que Swann entendit longtemps auparavant sans en découvrir le nom et qu’il réentendit bien plus tard aux côtés d’Odette dans le salon des Verdurins. Réminiscence (autre volet de la madeleine de Proust) qui sera chargée d’érotisme au plus fort de sa liaison avec Odette puis de douleur lorsque celle-ci ne sera plus que cendre.
Swann, dans les affres de la jalousie, finit néanmoins par se raisonner et se détacher d’Odette. Odette qu’il finira tout de même par épouser (mais cet épisode n’est pas relaté dans le livre) car le couple enfante Gilberte dont le narrateur tombe amoureux dans la première partie.

Noms de Pays : Le Nom :
Troisième et dernière partie, beaucoup plus courte que les deux premières car elle ne s’étend que sur quelques dizaines de pages seulement.
Le lecteur revient au présent, à la suite de la partie qui s’est déroulée à Combray. On retrouve le narrateur qui est rentré à Paris avec ses parents. Nous sommes en hiver et il nous parle de ses premiers émois amoureux pour Gilbert avec laquelle il joue aux Champs-Elysées saupoudré de neige. La Seine est gelée et la glace suffisamment épaisse pour permettre au tout Paris de se retrouver au milieu du fleuve.
Swann et Odette ne semblent pas ravis que leur fille unique fréquente un membre de la famille à laquelle ils se trouvaient jadis liés. Ils laissent néanmoins les deux enfants à leurs jeux.

Proust, c’est avant tout un style très particulier. De longues phrases aux différentes propositions séparées par d’innombrables virgules. Phrases qu’il m’a souvent été nécessaire de reprendre pour retrouver le début de la proposition dont j’avais perdu le fil à la suite d’une longue digression en parenthèse. Une écriture particulièrement dense, aux paragraphes parfois interminables. Ecriture que j’ai trouvé très exigeante : il me fallait une très grande concentration pour parvenir à entrer dans ce texte assez difficile (mais pas autant que je l’avais toujours craint). Des retours en arrière ont parfois été nécessaire car je « décrochais » et lisais des phrases sans m’en apercevoir, sans en avoir conscience. Un style magnifique que j’ai beaucoup aimé lorsque je parvenais à m’immerger entièrement dans l’histoire (à l’occasion d’une longue période de calme absolu). Mais une lecture qui m’a laissé épuisé à la fin de ce premier tome et qui m’a empêché d’enchainer avec les Jeunes filles en fleur, dont j’ai remis la lecture à plus tard.
BibliOrnitho
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le 20 juin 2012

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