Attention : cette critique s'adresse d'avantage à ceux qui ont déjà lu le livre qu'à ceux qui voudraient le lire. Elle contient de nombreux spoils et des références qui seront dures à comprendre si vous ne connaissez pas par avance l'intrigue. Donc si vous ne l'avez pas encore lu...ne le lisez pas. Vous avez infiniment mieux à faire de votre temps. Pour les autres :


Si vous étiez pré-ado au moment où vous avez apprécié ce livre, je ne vous traiterait pas d'abruti. Ce serait l'hôpital qui se moque de la charité : c'était une époque où je m'identifiai à certains personnages de Naruto, alors abruti, je l'étais au moins autant que vous. En revanche, si vous étiez adulte...et bien je ne vous en voudrais pas non plus. Être adulte n'implique pas forcément que l'on sache ce qu'est une Mary Sue, que l'on ait lu du Dostoïevski et que l'on passe ses soirées à se demander ce qui fait un bon ou un mauvais roman. Pourquoi prendre autant des pincettes? Et bien parce que par les temps qui courent, surtout sur internet, tout avis divergent un tant soit peu du sien est souvent vu comme une attaque personnelle. Et en l’occurrence, vu la note globale de ce livre, mon avis diverge radicalement du vôtre : la trilogie des MarchOmbres n'est pas seulement nulle, elle prend son public pour des idiots. Or ce n'est pas à vous que j'en veux d'avoir porté cette bouse faite livre aux nues : c'est à celui qui vous a tendu ce piège.


I-Trop de perfection tue la perfection


Il y a quelques qualités pourtant. Oui, le style se lit facilement. Oui, certaines descriptions de paysages sont bien faites. Oui la trilogie prend parfois des airs de conte et nous invite à rêver. Oui, on se surprend à vouloir être un MarchOmbre.


Et là commence le piège : évidemment que l'on veut être MarchOmbre, puisque tout ce que l'on sait d'eux, c'est qu'ils sont libres et parfaits! A commencer par le personnage principal, Ellana, l'incarnation du concept de Mary Sue. Pour ceux qui ne le sauraient pas, une Mary Sue est un personnage incroyablement parfait, tant d'un point de vue physique que moral. La Mary Sue est extraordinairement belle, mais ne le sait pas, parce que cela pourrait passer pour de l'arrogance (p.336 : "Pourquoi les hommes veulent-ils que je les suivent? [...]Qu'est-ce qui les attire? Je ne suis pas plus belle qu'une autre, je n'ai pas de courbes affolantes...") ; elle possède d'immenses qualités qui lui permettent de tout réussir, au point que même ses échecs sont en fait positifs (elle échouera à vaincre le frontalier, mais ce sera pour mieux progresser sur la Voie en apprenant que le doute ne doit pas la saper), mais elle est tout de même humble (ou faussement-modeste, je vous laisse trancher) ; elle a des qualités morales uniques (toujours prête à défendre la veuve et l'orphelin et pour cause : elle est quasi-invincible au combat); elle est désignée par une prophétie de sauvetage du monde qui bien entendu tourne ENTIÈREMENT autour d'elle (la prophétie du chaos...cette blague...); Ses parents sont en fait d'anciens membres d'un ordre d'assassins/de magiciens/de types über craqués qui protégeaient le monde (la mère d'Ellana était MarchOmbre, mais quel hasard!) ; Et bien sûr, elle combat des méchants tellement méchants qu'ils feraient passer les nazis pour des nounours sous weed (p.313 "-Ne cherchent-ils pas simplement à prendre le pouvoir? Jilano secoua la tête -Non. Leur objectif final est le Chaos. Destruction, sang et mort.").


Le problème, c'est qu'Ellana est tellement Mary Sue que tous les autres personnages en viennent à n'exister que pour la valoriser, et sont donc archétypaux au possible. Il y a donc : le meilleur-ami/amant qui ne va pas réussir aussi bien qu'elle et rejoindra donc les MÉCHANTS, avant que l'héroïne, grâce au pouvoir de l'Amour et de l'Amitié, ne le fasse redevenir GENTIL (je ne l'ai pas lu, mais franchement, c'est plié...). La MÉCHANTE qui va réussir à convertir le meilleur-ami/amant à sa cause, mais pas l'héroïne. Le deuxième amant qui va la faire hésiter et qui va mourir parce que prendre une décision aurait altéré sa pureté (et pour rendre le revirement du meilleur ami/amant plus horrible). Le Mystérieux Maître Initiateur, à la fois Sévère et Juste, qui n'est PAS DU TOUT une projection de l'auteur dans le roman....j'arrête-là, même si les exemples sont encore nombreux, vous l'aurez compris. L'univers en est tellement manichéen que ça en devient ridicule : qu'on bien pu dire les Tzliches aux Sentinelles pour qu'elles retournent leurs vestes? "-Whesh les gens, ça vous dirait pas d'arrêter de défendre l'Harmonie pour prendre le pouvoir avec nous? Alors que tout le monde sait que l'on ne veut que mort et désolation? Et qu'il est évident qu'on va vous trahir dès qu'on le pourra?-Lol, pk?-Euh...parce que yolo?-Lol, k!"


II-La différence entre profond et creux


Puisqu'on parle d'Harmonie : accrochez-vous, parce qu'on en arrive au vrai défaut du livre. Oui, jusqu'à présent, ce n'était qu'une mise en bouche. Car ce qu'il y a de pratique avec des oppositions aussi dichotomiques, c'est qu'elles peuvent masquer la flemme de l'auteur...et le fait que son livre ne contient en fait rien.


Réfléchissons un peu : l'Empire lutte pour l'Harmonie, contre le Chaos. D'accord. Mais qu'est-ce qu'au juste on appelle l'Harmonie? La paix? Mais dans ce cas, comment l'obtenir? Par la conquête militaire de tous les peuples par l'Empire? Par la diplomatie?Par la conversion à une religion unique? Par l'élimination des MÉCHANTS? Pas de réponses malheureux, ça nous ferait réaliser que les concepts de Bien et de Mal sont relatifs!


Mais justement, qu'est-ce qui les définit ces méchants? Ils veulent tout détruire, d’accord. Mais pourquoi? Qu'ont-ils contre l'Empire? Le fait qu'ils ne soient pas à sa tête? Que ses lois leurs soient défavorables? Au fait, quelles sont ces lois? Comment est-il géré? Administré? Quelle est sa population, son économie, la taille de ses armées? Est-il vraiment TOUJOURS pour l'Harmonie? Comment être sûr qu'il n'a pas commis d'horreurs? Quelle est sa politique actuelle? Et s'il est en déclin, corrompu, n'est-il pas légitime de vouloir le renverser pour le remplacer par autre chose? Impossible de le savoir bien sûr : s'il était réaliste, ça ferait des MarchOmbres de simples mercenaires défendant leurs intérêts!


On sait qu'il a fait suite à une période de Chaos. D'accord. Comment a-t-il vaincu les Tzliches à l'époque? Les MarchOmbres ont-ils aidés? Comment s'est-il formé? Étendu? Pourquoi ne peut-il pas s'étendre d'avantage? Parce que les Raïs sont trop nombreux? Quelle est la société des Raïs? Pourquoi attaquent-ils les humains? Que représentent leurs forces par rapport à celles de l'Empire? Oh et les pirates, pourquoi l'Empire négocie avec eux? Si leur île est si importante du fait des pierres graphes, comment se fait-il que l'Empire n'ait pas envoyé d'armée s'emparer de ce lieu hautement stratégique? On ne va rien dire là-dessus voyons : mettre les MarchOmbres dans un contexte géo-politique? Mais ça les rendraient ennuyeux!


Et enfin, les questions qui fâchent : ces fameux MarchOmbres. Ils sont libres, pourquoi pas. La Liberté, c'est quoi? Faire ce que l'on veut? Être au-dessus des lois? Suivre son propre chemin? Ellana nous dis qu'on est jamais aussi libre que lorsqu'on fait ce qui est juste. Qu'est-ce que la Justice? Existe-t-il une Justice si absolue qu'elle fait de nous un GENTIL si on la revendique? Mais derrière, son maître nous dit qu'aucune mort n'est jamais juste. Du coup, Ellana commet une injustice chaque fois qu'elle tue? Et par conséquent, elle n'est pas libre? De toute façon, les MarchOmbres n'ont pas d'entraînement centralisé, chaque maître est libre d'enseigner ce qu'il veut à ses élèves. Mais du coup, chacun a sa définition de la liberté? Et au nom de quoi peut-on juger quelqu'un comme n'étant pas MarchOmbre, si chacun est libre?


La philosophie MarchOmbre est remplie de ces zones d'ombres, de ces contradictions constantes et de ces mots non-définis qu'Ellana ne questionne jamais...si toutefois l'on peut parler de philosophie, parce que de ce que j'en ai lu, on dirait plus un ramassis de clichés. "La réalité a souvent deux visages, comme les questions deux réponses"(p.351) pourquoi seulement deux? "le seul monde qui mérite d'être conquis, est celui qui délimite les frontières de notre corps et de notre esprit"(p.334)ouah, c'est tellement beau que ça n'a aucun sens..."le pacte des MarchOmbres.L'engagement à n'utiliser ses pouvoirs que pour progresser sur la Voie et non pour dominer les autres." (premier tome, p.247) Heureusement que la Voie n'est jamais clairement définie, ou par des phrases qui ont pleins de sens possibles, ça évite que des élèves ne l’interprètent mal et se mettent à faire ce qu'ils veulent, comme rejoindre les mercenaires du Chaos...sérieusement, on dirait les phrases que sortirai un kéké pour draguer en paraissant profond...


En fin de compte, force est de reconnaître que l'on ne sait rien des MarchOmbres. Rien de constant du moins : ils peuvent être tout et n'importe quoi. Ce qui est pratique, parce qu'on laisse alors au lecteur le soin de faire sa propre sauce avec le peu d'indices qu'on lui donne. Fourbe, fainéant, mais pratique...en revanche ils savent super bien escalader, alors j'imagine que ça suffit pour reconnaître ce qu'il est juste de faire à tous les coups...non?


III-Conclusion


Personnages archétypaux et personnage principal insupportable de perfection ; pseudo-poésie orientale et contexte jamais posé ; intrigue tellement manichéenne qu'elle en devient prévisible; réflexions et développement clichés au possibles ; rien de tout ça n'est sauvé par la sympathie que l'on éprouve, parfois pour certains personnages moins clivés que les autres, ou par certains passages mieux écrits que d'autres.


Mais le pire, c'est que tout cela marche. Il a fallut qu'Ellana tue un MÉCHANT d'une manière cruelle et gratuite et que son maître la laisse faire, pire, justifie son action pour que je mette à jour les autres défauts du roman. Tout dans ce livre est vague, dans le mauvais sens du terme, car rien n'est jamais clairement établi ni clairement défini. Et c'est justement pour ça que l'on est happé dedans : parce que notre imagination, même inconsciemment, comble les trous béants de l'intrigue et du contexte. Le tout enrobé de mots si chargés de signification (Liberté, Justice, Chaos...) que l'on part du principe qu'ils sont acquis...alors qu'ils mériteraient un roman à eux seuls pour qu'on les définisse.


Voilà pourquoi aimer le Pacte des MarchOmbres est normal. En se vidant de toute substance et de toute profondeur pour se remplir d'une Ellana parfaite, il a été conçu pour. Et c'est bien pour ça qu'il ne me plait pas.

Pulsar
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le 4 juin 2018

Critique lue 422 fois

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