Éloge de la folie
7.5
Éloge de la folie

livre de Érasme (1511)

« critiquer les mœurs des hommes sans attaquer personne nominativement »

Bonjour à tous,

Voici aujourd' hui Erasme et son éloge de la folie. J’ai enfin lu ce livre dont on entend tant parler sur les bancs de l’école !

C’est une courte étude qui défend, de manière subtile et tout en nuances, la Folie et l’Intelligence qui se cache derrière ! En effet, Erasme démontre, mathématiquement, que la Folie prévaut dans tous les domaines puisque c’est elle et personne d’autre qui régit le monde des hommes. Cela fait d’elle la seule manière de vivre intelligente qui soit, en ce sens qu’elle ouvre les portes de toute sagesse.

Comme vous le constatez, Erasme s’amuse beaucoup de ces contradictions, il en fait un jeu, mathématique, subtil, en même temps qu’un règlement de comptes avec l’ordre établi.

Attaque satirique discrète sur un peu tous les domaines, ce livre peut également être lu comme une fable truculente qui fait sourire à plus d’un titre tant la logique de la démonstration est imparable, mais faite de tant de syllogismes qu’elle en devient … absurde !?

Bref, une centaine de pages à lire… culture oblige…

Trois motifs m’ont fait lire l’Eloge de la folie : c’est un « classique » auquel certains auteurs passés ou contemporains se réfèrent ; il est d’ailleurs cité dans La nouvelle politique de François Géré comme un livre majeur sur la thématique de la géopolitique, avec celui de Thomas More, l’ami d’Erasme, L’utopie ; il est disponible gratuitement et légalement en ebook via l’excellent site http://classiques.uqac.ca.

Pour le lien avec la géopolitique, on repassera. J’ai trouvé effectivement deux minis paragraphes qui parlent de la guerre, ce qui constitue en tout et pour tout 3 phrases, soit à peu près ce que la moitié des livres, romans compris, doivent contenir en moyenne sur ce sujet.

En fait, Erasme critique ici de manière satirique différents aspects de la société, et l’interventionnisme militaire n’y échappe pas, mais il ne se focalise pas non plus là-dessus. Il s’agit plutôt pour lui, comme il nous le précise en introduction, de « critiquer les mœurs des hommes sans attaquer personne nominativement », alors qu’il s’ennuie lors d’un voyage à cheval et qu’il lui faut une occupation pas trop coûteuse intellectuellement. C’est son ami Thomas More qui lui inspira le livre, car More vient de morus en latin, qui signifie folie (cela aussi, on l’apprend par Erasme). Selon Erasme, ou plutôt, selon la Folie elle-même, puisqu’il lui fait prendre la parole, mieux, l’argumentaire, la Folie est le constituant de base de nos comportements.

Les références mythologiques et bibliques abondent, et c’est amusant d’essayer de retrouver à quoi elles renvoient, même si c’est souvent difficile.

La dissertation de la Folie repose en fait sur des sophismes assez gros mais intéressants à découvrir. Voici mon préféré, qui, je trouve, donne bien le ton de cet ouvrage agréable et vite lu:
« Quels objets vaut-il mieux mettre sous clef ? Ceux qui sont précieux ou ceux qui n’ont ni rareté, ni valeur ? Vous vous taisez. Si vous n’avez point d’avis, ce proverbe répondra pour vous : « La cruche reste à la porte », et, pour le faire accepter, je cite qui le rapporte ; c’est Aristote, dieu de nos docteurs. Est-il parmi vous quelqu’un d’assez absurde pour laisser sur le grand chemin ses bijoux et son or ? Personne assurément. Vous les serrez au plus secret de la maison, aux coins les plus retirés et dans les cassettes les mieux fermées ; vous laissez sur la voie publique les ordures. Or, si ce qu’on a de plus précieux est tenu caché, et ce qu’on a de plus vil abandonné au jour, la Sagesse, que l’on défend de cacher, n’est-elle pas de toute évidence moins précieuse que la Folie, qu’on recommande de dissimuler ? »

Imaginez qu'Erasmus de rotterdam soit parmi nous!
Quoi de plus naturel pour lui d'écrire ce livre!
Et bien il a écrit un petit chef-d'oeuvre avec 500 ans d'avance.
Le style est d'une modernité époustouflante,et nous sentons dans ces propos un humour enrobé d'ironie ,superbemement tournés.
A faire lire dans les écoles..... Un peu de reflexion, ne fait jamais de mal.....


Cet essai néo-latin d'une centaine de pages est une véritable réussite. En effet, cinq siècles plus tard, on rit encore malgré les allusions culturelles très pointues et une traduction classique. Le livre, écrit en 7 jours, alors que l'auteur souffrait d'une maladie des reins fut un véritable succès à son époque et demeure aujourd'hui un grand ouvrage. Il fut traduit en français, allemand et anglais à la Renaissance peu après sa parution.

Je crois qu'Erasme inspira non seulement Rabelais qui en parle comme d'un maître que La Fontaine: "Le plaisir allèche d'abord le lecteur et après l'avoir alléché, le retient". Je retrouve même certaines critiques prononcées contre les politiques par Voltaire dans l'article "Guerre" de son "Dictionnaire philosophique" chez Erasme: "[Les souverains Pontifes] combattent par le fer et par le feu et font couler des flots de sang chrétien". La guerre est une démence envoyée par les Furies, une peste qui détruit les mœurs. Finalement, Erasme est l'initiateur de beaucoup d'idées qu'on ne lui attribue pas. D'autres auteurs plus célèbres lui ont volé la vedette.

Dame Folie prend la parole et vante ses qualités. Elle veut prouver la présence de son esprit partout chez les hommes. Si elle s'oppose à la Sagesse, c'est pour mieux faire aimer la vie car elle ouvre des portes à la fantaisie et au goût du risque. Toutes les catégories sociales sont fustigées à travers cette figure allégorique: les Pontifes, papes, théologiens de toutes sortes, poètes, moines, Princes...Personne ne lui est étranger.

Ce que j'ai apprécié aussi chez cet auteur, c'est qu'il fait une distinction entre la "bonne" Folie, celle qui parle et la mauvaise, orchestrée par les Furies. Il y a donc le bon délire et celui qui est assassin. Or, cette distinction est aujourd'hui oubliée puisque le mot "Folie" ne revêt qu'un aspect péjoratif. Erasme, grâce à cet argumentaire, nous rappelle tous ses bienfaits ou du moins son existence chez chacun d'entre nous. Les exemples de folie parmi les hommes ne manquent pas: faire fortune à la guerre, séduire une vieille pour s'enrichir, voyager sur la mer juste pour le plaisir de prendre des risques, duper, frauder et voler pour vendre (folie des marchands), passer des heures sur un point de grammaire et en oublier de s'alimenter et de sortir, s'illusionner sur la fidélité de sa femme pour mieux vivre au quotidien (ce point a inspiré Rabelais dans "Le Tiers livre")...

La justesse des propos et le ton humoristique sont tout à fait plaisants. Notons aussi que cette édition propose la réponse d'Erasme à une lettre envoyée par son ami théologien Dorpius qui lui fait remonter certaines critiques sur l'ouvrage, notamment l'aspect mordant de ses propos qui en choqua plus d'un. On lui reproche de dire des vérités qui blessent...Mais Erasme se défend dans cette lettre avec verve. On retrouve le côté brillant de son esprit, la qualité de son argumentation et de ses exemples.

Un bel ouvrage trop méconnu et pourtant abordable que je vous conseille!

QUELQUES CITATIONS savoureuses :

-une critique du Prince (qui rappelle les fables de La Fontaine): "[Le prince] ignore les lois, est assez hostile au bien général, car il n'envisage que le sien."
-"Seule la folie conserve la jeunesse et met en fuite la vieillesse fâcheuse".

Petite lecture edifiante et salvatrice.... Pourquoi ? Et bien, je vous explique toute la richesse de ce petit livre.

Quand je dis "petit" livre, il est bien entendu question de nombre de pages et peut-être aussi d'accessibilité - cet essai philosophique n'étant nullement trop complexe pour l'apprenti philosophe que je suis. Car il s'agit en fait d'un "grand" livre, et je n'apprends rien à personne en affirmant cela : l'Eloge de la Folie, pardonnez-moi d'avance ce rapprochement, étant, dans une certaine mesure, à la philosophie moderne ce que les Confessions de Saint-Augustin ont été à la théologie scholastique. J'entends : une base solide ; et ce, non en raison, sans doute, du thème choisi - en effet, il serait erroné, selon moi, de soutenir qu'à travers cette habile définition de la Folie et de son empire sur le monde, l'ensemble des enjeux de la philo aient pu être ne serait-ce qu'évoqués... non, Erasme ne sort jamais complètement de son sujet, même quand ce sujet le mène à en critiquer d'autres qui lui sont liés, comme de dénoncer l'hypocrisie organisée de la société humaine, ses vanités, ses duperies, sa mauvaise foi ou ses abus de confiance - et de langage aussi (si l'on doit considérer avec vérité le sens et les connotations usuelles du mot "folie").
- Or, en définitive, c'est bien par le mode du discours et par sa pertinence, oserais-je dire : son impertinence, qu'Erasme préfigure une volonté d'analyse des formes, des apparences, utilisant le dévoilement adroit et le retournement utile : en l'occurence, ici, en donnant la parole à la déesse Folie elle-même, il démasque efficacement grâce à ce procédé du discours et son second degré, - sous les dehors de l'humour donc, voire de la comédie -, l'emballage trompeur de l'organisation sociale convenue sans justesse par le commun, leste à conclure mais peu prompt à déduire. En conséquence, je n'hésiterai pas à dire qu'on retrouve encore chez Nietzche, c'est à dire trois siècles et demi plus tard, ce style du questionnement philosophique.
L'Eloge de la Folie se pose donc en initiatrice du raisonnement moderne de la pensée. Sa clarté, sa limpidité, sa relative concision et sa nature assumée d'amusement humble en font la base idéale de futures constructions plus sophistiquées, sur d'autres thèmes plus "essentiels" - du point de vue de la cause et de l'origine des choses, j'entends.
Ses qualités d'écriture, sa verve et son inspiration enlevée, offrent en outre au lecteur un divertissement allègre et agréable, alliant esprit festif et profondeur libératrice (ce qui est rare). Se présentant davantage comme un essai que comme un système, ce livre est une bonne manière de s'intéresser, avec ouverture, tact et simplicité, à la philosophie, et de découvrir l'avant-garde des idées d'une époque, et l'un de ses penseurs les plus fins, les plus cultivés : Desiderius Erasmus - proche et intime de Thomas More, autre figure d'excellence de la Renaissance.

à lire,à relire sans moderation.
De la tolerance, une ouverture d'esprit en ces temps, où certains aimeraient bien nous voir filer, doux comme
des moutons de Panurge.....

Bonne lecture à tous. Portez vous bien. LIsez, lisez, jusqu' à satiété. La vie nous dépasse et nous emmene loin, vers les confins de l' arrogance, de l' individualisme, de l' égocentrisme, de sophismes, de dogmes religieux, etc..... A lecteur, lecteur averti. Gardez l' oeil, et le bon. Tcho. @ +.
ClementLeroy
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Créée

le 18 févr. 2015

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San  Bardamu

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