Pour être honnête, je m’attendais à quelque chose d’assez médiocre, peut-être à cause de l’image d’auteur pour le collège qui s’attache à Fredric Brown, dont on trouve « Cauchemar en jaune » dans les anthologies de nouvelles à chute avec autant de certitude que des traces de drogue dans le sang d’un punk à chien après trois jours de rave party. (Entendons-nous bien : je préfère les chiens, mais je n’ai rien contre les punks à chien. Je n’ai rien non plus contre Fredric Brown.) Mais parmi la quarantaine de nouvelles qui forment le recueil Fantômes et Farfafouilles, aucune n’irritera vraiment le lecteur exigeant. Il est vrai aussi que sans être un gage de réussite, la brièveté de la plupart les met à l’abri.
De même, sans se montrer ici un conteur absolument imprévisible, Fredric Brown sait ménager ses chutes, et sans être un maître de l’humour noir, il épargne rarement ses personnages. On comprend assez tôt que la plupart des récits se termineront mal, d’autant que les chutes font souvent figure de punitions dirigées sur des personnages tantôt dépassés par leurs propres conjectures (« Il avait, certes, conçu le meurtre parfait, mais le cambriolage l’avait tellement obnubilé qu’il avait oublié de le commettre », dans « Erreur fatale »), tantôt clairement odieux (« Sa décision de tuer sa femme, il l’avait prise un peu après. Le mobile était simple : il la détestait », dans « Cauchemar en jaune »). À ce titre, le recueil prend une couleur moralisante qui en marque aussi les limites.
On trouvera, çà et là, quelques bonheurs d’expression : « Le pharmacien était une espèce de petit gnome difforme qui avait plus de cinquante ans et moins de cent » (dans « Marotte »), ou des passages qui ouvrent d’intéressantes perspectives, à l’image de cet extrait de déposition dans « Sombre Interlude » : « Il avait un petit quelque chose ; il était pas comme tout le monde. Je veux pas dire son apparence physique, il pouvait bien passer pour un gars de maintenant, mais il avait… il était pas comme tout le monde. Il avait en quelque sorte l’air d’être en paix avec lui-même ; il donnait l’impression de venir de quelque part où tout le monde était heureux ».
Je la trouve intéressante, cette idée qu’un homme à l’air serein éveille les soupçons, et je sais bien que c’est un personnage qui parle, mais pourquoi avoir insisté ? Pourquoi ne pas avoir fini la phrase sur « avec lui-même » en laissant le lecteur en tirer la conclusion qui s’imposait ? Fredric Brown apprécie trop l’explicite pour donner à ses textes le dynamisme et le grain de folie qui leur manquent parfois.
Assez étrangement (?), l’une des meilleures nouvelles du recueil, si ce n’est la meilleure, est aussi la plus longue : les vingt-cinq pages d’« Entité-Piège » permettent un déploiement progressif, assez distinct de celui d’une nouvelle à chute classique et plutôt efficace. Dans la tradition de la bonne science-fiction, l’auteur saisit un motif assez bénin – un extra-terrestre purement spirituel se retrouve prisonnier dans le cadavre d’un soldat – pour ouvrir des perspectives beaucoup moins liées au temps et au lieu de l’écriture – et je ne dis pas seulement ça parce qu’un président des États-Unis y est présenté comme « un homme ignorant, bourré de préjugés et d’idées fausses [qui] avait reçu le pouvoir miraculeux de convaincre les foules, de faire partager ses haines personnelles à tous ceux – ou presque tous – qui l’écoutaient. Les quelques hommes immunisés, en luttant à armes affreusement inégales, sauvèrent néanmoins le monde de l’apocalypse ». Ouf !

Alcofribas
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le 16 juil. 2019

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