Je terminais ma critique d’une autre série de textes d’Olympe de Gouges en rappelant qu’avant de défendre son sexe, elle défendait sa classe. Vous attendiez-vous vraiment à ce que cela soit différent dans ces huit textes regroupés autour de la « Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne » ? « Le peuple en général est injuste, ingrat, et finit par être rebelle. / Le peuple doit être secouru dans les temps de calamité, mais si on lui donne trop dans d’autres moments, on l’expose à la paresse, on lui ravit toutes ses ressources. Ces bienfaits sont pour lui des dons funestes » (p. 20) : y a-t-il besoin d’expliciter la réponse ? À quiconque parlera de la modernité des écrits d’Olympe de Gouges, il est donc possible d’objecter que si la modernité consiste à débiter des absurdités dignes – par exemple – d’un Laurent W*** sur le RSA, on est en droit de se tourner vers l’archaïsme.

On ne s’étonnera pas non plus que sous un chef d’État qui ne s’est jamais spécialement illustré par son attachement à ceux qui ne sont rien, le Ministère de l’Éducation ait mis au programme une œuvre dont l’autrice écrit à la reine : « Si vous étiez moins instruite, Madame, je pourrais craindre que vos intérêts particuliers ne l’emportassent sur ceux de votre sexe » (p. 30-31). Car pour Olympe de Gouges en 1791, comme pour une part de moins en moins décomplexée du personnel politique de 2025, la classe sociale dominante sait mieux que la classe sociale dominée ce qui est bon pour tous ; entendu que jamais, disons-le la main sur le cœur, jamais les dominants ne font passer leur intérêt particulier avant l’intérêt commun : ce sont ces salauds de pauvres qui ne pensent qu’à leur gueule !

Plus j’y pense, plus je me dis qu’Olympe de Gouges, comme beaucoup d’auteurs appartenant à la classe sociale dont elle rêve de faire partie, a un problème avec la contrainte. Chez elle, les mesures de coercition, voire simplement les lois, ne concernent que ceux qui n’ont déjà aucun pouvoir. S’il faut réformer le comportement des puissants, c’est sur les bases de leur bonne volonté, ou à la rigueur d’un attachement naturel envers leurs pairs : « Ah ! Madame, songez que vous êtes mère et épouse ; employez tout votre crédit pour le retour des Princes » (p. 30) : Marie-Antoinette n’est pas apostrophée ici en tant que femme de pouvoir, mais en tant que « mère et épouse ».


La huitaine d’écrits réunis ici ne diffère guère de ceux regroupés autour de la « Lettre au peuple ». Le court volume est organisé en trois parties thématiques – « En faveur des femmes », « Une pièce contre l’esclavage » et « En haine des Jacobins » – et, quel que soit le sujet abordé, l’autrice semble mener les combats qu’elle mène avant tout – sinon exclusivement – pour se mettre en valeur. Ainsi sa critique de l’esclavage est-elle avant tout une défense de sa pièce Zamore et Mirza ; son féminisme apparaît, en maint endroit, avant tout comme une tentative de légitimation de l’ordre établi.

Alors le style ? Il ne brille ni par sa précision, ni par son laconisme. C’est peut-être en partie la forme du discours politique qui veut ça, mais même les pièces les moins oratoires sont marquées par un goût pour une emphase et un manque de modestie qui ne dépareraient pas chez de récents premiers ministres : « Je lègue mon cœur à la patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin). Mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques, il ne leur sera pas inutile, surtout ma logique théâtrale au fameux Chesnier ; mon désintéressement aux ambitieux, ma philosophie aux persécutés, mon esprit aux fanatiques, ma religion aux athées, ma gaieté franche aux femmes sur le retour et tous les pauvres débris qui me restent d’une fortune honnête, à mon héritier naturel, à mon fils, s’il me survit » (p. 87).

Et au milieu de tout cette volière, on trouve un passage où Olympe admet : « je ne sais rien, et c’est au hasard que je soumets mes observations bonnes ou mauvaises » (p. 61). Passons outre les contradictions avec le reste, notons une forme de franchise, et admettons que certaines personnalités publiques n’en savent pas davantage qu’elle, s’appuient comme elle sur le hasard, et ouvrent pourtant leur gueule à longueur de plateaux télévisés.

Alcofribas
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le 16 juil. 2025

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