L'histoire d'idées fabuleuses, la liberté et l'égalité

Cet essai est fascinant par son originalité, sa richesse et sa concision, 400 pages pour brosser 1000 ans d’histoire. Martin Malia illustre la formule de Nicolas Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Pour compléter la très riche critique de Piero, je vous propose quelques pistes de réflexion, en espérant vous inciter à le lire.


La Révolution, une spécificité européenne
« Or de la sphère culturelle européenne (qui inclut bien sûr les deux Amériques), on ne rencontre rien qui mérite le nom de démocratie, de constitutionnalisme ou de philosophie de la quête de liberté individuelle ou d’égalité sociale comme bien sociaux suprêmes : les termes désignant ces concepts n’existaient pas hors de la langue européenne. » P15 Le reste du monde a connu des guerres civiles, des coups d’État, des invasions, mais rien qui puisse se rapprocher de l’idée de renversement d’un Ancien Régime pour créer autre chose.


Le théorème des 10 % et les Guerres de religion
« En outre, cette dissidence religieuse (les Huguenots français) concerne à son apogée environ 10 % de la population, la même masse critique, qui dans des situations révolutionnaires, notamment lors de la révolte des Pays-Bas, permettra à une minorité de prendre les rênes de la société. » P136


Malia estime que 10 % d’une population suffisent, à condition qu’ils soient encadrés et portés par une idéologie forte (ici la volonté de Dieu) pour imposer leur volonté sur les 90 % autres. La minorité huguenote française sera vaincue par une autre minorité, toute aussi armée et convaincue (la ligue catholique des Guise) et la Saint Barthélémy, le lâche assassinat de leurs chefs et de 5000 des leurs.


10 %, cela semble peu. Pourtant, c’est peu ou prou le pourcentage des Alaouites en Syrie, des Tutsis au Rwanda ou des Arabes sunnites dans l’Irak de Saddam Hussein.


La Grande Rébellion (1641-1651) et la Glorieuse Révolution (1688-1689) anglaise
« Aujourd’hui encore, les Anglais pensent et agissent comme s’ils n’avaient jamais commis les atrocités d’une révolution furieuse, contrairement aux peuples inférieurs du continent. » P213.


L’exécution du roi et les 100 000 morts des troubles insulaires sont oubliés. Les très conservateurs Anglais ne veulent retenir que le rétablissement des droits du parlement et de la liberté individuelle garantie la mythique Magna Carta, et l’échec des absolutistes et catholiques Stuart.


La révolution américaine
« En Amérique ; l’escalade passa plutôt par une série de protestations contre des impôts qui n’étaient d’ailleurs pas si lourds que cela (le fardeau fiscal de l’Amérique était quatre fois moins important que celui pesant sur l’Angleterre). Enfin la rébellion se produisit dans des provinces où le revenu par tête était supérieur à celui de tous les pays de l’Ancien monde, ce qui limitait sérieusement la pression en faveur d’un changement social » P222.


Nous n’assistons pas à une révolte de déshérités, mais à un conflit de décolonisation mené par une minorité de (très) riches commerçants et industriels, rejetant tout ce qui pouvait évoquer l’Ancien-Régime qu’elle avait fui, ses privilèges et son église hiérarchisée.


La Terreur française
« Cochin intéresse à nouveau parce qu’il apporte un antidote à l’explication de la Terreur par les « circonstances » : la thèse du complot, terme malheureux puisque Cochin ne parle pas d’une véritable conspiration mais de l’action politique d’une minorité idéologiquement éclairée. » P249 « La Révolution fut donc « essentiellement une révolution politique aux conséquences sociales plutôt qu’une révolution sociale aux conséquences politiques. » Par conséquent, la révolution bourgeoise et le féodalisme (envisagé comme « mode de production ») ont aujourd’hui pratiquement disparu du lexique des historiens. » P251


Contrairement à la vulgate marxiste, les racines de la révolution ne sont pas à chercher dans l’évolution économique, mais dans l’évolution politique et l’adhésion d’une minorité déterminée dans une idéologie nouvelle.


« Dès que la paysannerie obtient ce qui l’intéresse vraiment, l’abolition des droits féodaux, elle disparaît de la dynamique révolutionnaire, pour revenir uniquement comme fantassins de la République et de la « croisade » de Bonaparte à travers de l’Europe. » P266 Belle formule, qui en deux lignes envoie à une mort « glorieuse » un million de paysans !


Techniquement, une nation ne peut vivre qu’une seule grande révolution, qui correspond à la destruction, plus ou moins complète, plus ou moins réussie, d’un Ancien-régime.


Le socialisme et la démocratie
Le socialisme est le rêve d’une société pleinement égalitaire, car dépourvue de propriété et de monnaie.


« Le suffrage universel, exigence la plus fondamentale de la démocratie politique, peut être une institution conservatrice. » P311. Parole prophétique, il suffit de regarder autour de nous

SBoisse
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Essais, histoire et stratégie, Mes "essais" marquants et 104 critiques de livres

Créée

le 11 févr. 2019

Critique lue 919 fois

21 j'aime

112 commentaires

Step de Boisse

Écrit par

Critique lue 919 fois

21
112

Du même critique

Gran Torino
SBoisse
10

Ma vie avec Clint

Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...

le 14 oct. 2016

125 j'aime

31

Mon voisin Totoro
SBoisse
10

Ame d’enfant et gros câlins

Je dois à Hayao Miyazaki mon passage à l’âge adulte. Il était temps, j’avais 35 ans. Ne vous méprenez pas, j’étais marié, père de famille et autonome financièrement. Seulement, ma vision du monde...

le 20 nov. 2017

123 j'aime

12