Le 20ème siècle fut décidément témoin de réunions artistiques détonants pour les débats : Brassens-Brel-Ferré était déjà exceptionnel d'intelligence, tellement ces mecs balançaient des vérités révélatrices comme s'ils parlaient du temps de demain. Ils conversaient de tout et de rien. Ici, en réunion de géants, nous avons l'initiateur de la Nouvelle Vague et le maître du Suspens, Truffaut et Hitchcock. Ici, nous parlerons pas de femmes, d'anarchie ou de Dieu, mais de Cinéma, avec un grand C. L'ouvrage fut initié pour que le réalisateur Anglais soit reconnu comme un Auteur et non plus un réalisateur de divertissement ; c'est comme si, aujourd'hui, Xavier Dolan consacrait un livre à Gaspar Noé pour qu'il soit respecté des critiques. Deux styles qui se contre-choquent, dans l'objectif d'une reconnaissance qui était méritée.
Ce qui frappe dans ce livre, immédiatement, c'est qu'il n'y a aucune question qui rentre dans le domaine du privé. Tout juste une question sur le catholicisme d'Hitchcock à la fin du livre. Rien que ça, c'est inimaginable aujourd'hui (oui il est un peu déprimant à cause de ça... Il a beaucoup vieilli à ce niveau-là...). Dès son épatant édito, Truffaut rend un hommage superbe à un cinéaste déterminant. On ne peut s'empêcher, en le lisant, de se dire qu'il était un véritable fils de la littérature, tellement son maniement de la langue française est d'une noble élégance.
Sa traduction suit d'ailleurs ce chemin. Dans leurs échanges, qui retracent une carrière à la productivité ahurissante, nous découvrons deux artistes confirmés qui discutent mise en scène. Alors, certes, c'est beaucoup plus passionnant quand on a vu les films en question. Mais on arrive à passer outre la plupart du temps. Tout comme un apprenti cinéaste n'apprendra jamais aussi bien qu'en écoutant ses aînés et en pratiquant auprès d'eux, un défilé de règles ayant fait leurs preuves marqueront au fer rouge toute personne voulant approcher le 7ème Art : l'art de faire un grand méchant, le Visuel avant tout, la clarté de l'espace-temps diégétique ("la Suisse a le chocolat, les lacs et des montagnes"), la nécessité de l'invraisemblance... Ce livre m'a beaucoup appris. Hitchcock transpire de passion de partout, il n'oublie rien de ses intentions, et son pointillisme pour son interlocuteur est évident. Truffaut, de son côté, ne fait pas de concession : il ose sans problème critiquer certains films (de toutes façons, la plupart du temps, Hitchcock est d'accord avec lui), tout comme il ne cache pas lorsqu'il a froissé son sujet ainsi que ses excuses. Une telle honnêteté, encore une fois, est de plus en plus rare aujourd'hui publiquement... Pour résumer cet entretien, on ne peut qu'en ressortir instruit. Il m'a même donné envie, moi qui n'ai jamais adoré Hitchcock hormis l'extraordinaire "Psychose", de lui redonner une chance et revoir ses films avec l'optique que propose le bouquin.
La fin du livre m'a appris la déchéance du maître du Suspens à la fin de sa vie, notamment le fait qu'apprenant qu'il ne pourrait plus tourner, il a accélérer le mouvement en augmentant sa consommation de Vodka. Le cinéma comme raison de vivre irrémédiable. De plus, Truffaut a arrêté les entretiens à temps : Hitchcock se perdra à partir de "Marnie" dans l'inconscience collectif. Truffaut confie qu'il pense que l'Anglais a perdu toute confiance en lui suite à ses mésaventures avec Tippie Hepdrun, et force est de constater que les faits lui donne raison. C'est là que cet entretien est le plus précieux des documents sur Hitchcock : c'est davantage un signe de respect amical qu'un plaidoyer pour son talent, à titre posthume. Dès la fin de sa vie, son importance n'était plus à prouver, le livre a donc atteint son premier but ; aujourd'hui, en 2019, on lit surtout 2 grands cinéastes parlant de leur métier comme des cuisiniers parleraient de plats, et comment ensemble ils nous enseignent une relation de maître et de disciple, tous deux d'une modestie confondante. Et Hitchcok, dont la pensée est gravée à jamais par ce livre, restera donc à jamais le grand réalisateur qu'on lit sur ces lignes, et non plus un homme qui s'est perdu en inventant une Grace Kelly qui n'en était pas une. Jusqu'au bout, par leurs expérimentations tous les deux dans leur genre, ils n'auront jamais été autre chose que des professionnels débutants, cherchant encore et toujours à s'améliorer, à tenter de nouvelles choses, à se remettre en question. C'est la leçon la plus importante de ce livre, certes vraiment lourd par moments, mais décisif, et évidemment incontournable pour quiconque se demande : "Qu'est-ce qu'un bon film ?".

Billy98
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le 29 mars 2019

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