Des textes saignants et aiguisés

Curieux livres que les recueils d'extraits d'émissions. Ils permettent de découvrir un chroniqueur ou d'en apprécier les figures de styles, pas forcément évidentes avec ce genre de virtuoses du langage. À l'instar d'un Pierre Desproges que j'avais également découvert par ce biais et avec qui on peut trouver des similitudes, Nicolas Bedos m'a fait vibrer avec ses chroniques. Et il est crucial de comprendre qu'il crée un personnage pour son émission, un rustre qui s'autorise tous les outrages pour vous faire marrer, même au prix d'un grincement de dents.

Le style est fluide, aérien parfois, et très incisif souvent. Il ne recule devant aucune provocation, aucune exagération. Et c'est vrai que c'est un vrai régal, surtout quand il trucide les idées reçues. (années Sarkozy, film "la Rafle", période DSK, remarques pointues sur Jean d'Ormesson ou PPDA et Alain Minc...) Les petites phrases assassines s'enchainent pour votre plus grand bonheur et le culot du personnage inventé pour l'occasion des émissions (télé ou radio) force l'admiration. Cette liberté de langage est impressionnante, on l'envierai presque.
Mais il livre aussi des impressions plus personnelles, comme dans la sublime critique du personnage d'Amy Winehouse ou l'hommage vibrant à son pote Jocelyn Quivrin, décédé dans des circonstances épouvantables.

Le problème du livre ne vient pas du fond mais de la forme. Tout comme pour les extraits du "Tribunal des flagrants délires" de Desproges. Le style est brillant, acrobatique, mais finit par lasser sur la durée. Par ailleurs les extraits sont un peu inégaux, reflets du narcissisme d'un personnage qui s'autorise tout, y compris la fainéantise.
Pour avoir vu les émissions correspondantes, j'ai découvert la gestuelle de l'auteur et j'ai pu apprécier la prestation, là où le texte seul était insuffisant dans ses effets comiques. Mais ces extraits sont quand même représentatifs des frasques virtuelles du personnages, dilemme éditorial...
Autre point important, certaines remarques, tout comme Desproges, s'adressent plus à un public "hyp", très branché potins parisiens. Ce genre d'apartés en forme de private joke n'est intéressant que quand vous en possédez les clefs de compréhension. Repassez dans dix ans et vous aurez beaucoup plus de mal à en saisir la référence, ce qui m'a un peu irrité avec Desproges, d'ailleurs, qui utilise les mêmes effets. Çà oblige à faire des recherches un peu fastidieuses et pour le côté détente immédiate, c'est pas top.

Donc si je comprend les choix de l'éditeur, je regrette que certaines critiques aient plus été choisies à cause du succès de certaines émissions que pour la qualité du texte. Car quand les critiques sont bonnes, elles tournent plus vers l'excellence. Ce mec manie le langage et l'à propos avec une virtuosité qui coupe le souffle. Quoiqu'il en soit, le livre est plutôt bon dans l'ensemble, et je vous le conseille surtout pour une lecture étalée dans le temps. Vous aurez ainsi plus le loisir d'en apprécier les subtilités en en évitant l'effet de saturation.