Nous sommes tous en décalage avec l'avis général dans notre rapport à quelques œuvres. Des films ou des livres qui, en théorie, étaient faits pour nous, qui sont adulés par des gens aux goûts proches des nôtres... sauf que non, on n'arrive pas à partager cet enthousiasme. Prenons la saga de Dune, comme ça, au hasard. Un space-opera qui allie mystique, politique, psychologie, écologie et d'autres thèmes en "ie" et en "ique" en une expérience aux velléités totalisantes. Fait pour moi, je vous dis.


Si j'ai bien su trouver de belles qualités à la saga, je n'ai jamais pu fermer les yeux sur ses défauts qui étouffent le flot de plaisir auquel je m'étais attendu. Une espèce de prétention assommante plane sur chaque dialogue, chaque pensée et acte des nombreux personnages. Un mélange de spiritualités pas toujours bien digéré, un hiératisme forcé, des êtres qui deviennent grotesques à force de ne pas vouloir paraitre humains... Bref, un monde d'une grande richesse et un auteur d'une solide érudition qui finissaient dévorés par leur orgueilleuse et maladroite ambition dans le tome 3, Les Enfants de Dune, le sommet de ma déception.


Ce qui m'a fait tenir jusqu'à ce tome 4, c'étaient les commentaires des fans qui en faisaient le meilleur volume de la saga. Pouvais-je espérer que les qualités que j'avais soupçonnées explosaient enfin dans cet opus ? L'idée de suivre toutes les pensées d'un homme devenu dieu (Leto, à la fin du tome 3) me semblait alléchante, mais n'allait-on pas atteindre les cimes du pédantisme qui m'avait déjà presque fait mourir d'ennui ? Pas du tout.


Joli paradoxe: c'est alors que nous suivons Leto Atréides, fils de Paul, au moment où il est devenu presque immortel et omniscient, que la saga se risque enfin à parler de l'humain (allez, on peut dire que le tome 2 avait tracé la voie) ! L'empereur-dieu, s'il ne cesse de "jouer" aux devinettes et autres tests philosophiques avec son entourage, suit en réalité un plan altruiste et douloureux, prétexte à de nombreux moments de faiblesse subtilement décrits par l'auteur. L'ennui, la solitude, la nostalgie... tous les points faibles du dieu d'Arrakis le ramènent inéluctablement à son humanité perdue. C'est beau, tragique mais jamais larmoyant.


Mais Leto n'est pas le seul dans ce cas. Tous les personnages sont bouffés par leurs défauts, qu'ils parviennent à contrôler de justesse, pour la plupart, à l'aide de leur noblesse de caractère, de leurs espoirs ou de leur foi. Il est assez jouissif de constater que même les "sorcières" du Benne Gesserit ne sont plus à l'abri de leurs troubles intérieurs, qu'elles ne cherchent d'ailleurs plus nécessairement à dissimuler. Les innombrables joutes verbales perdent de cette raideur artificielle des précédents tomes et deviennent passionnantes à suivre.


Mon impression générale a été celle d'assister au mariage entre les Dialogues de Platon et Les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau, le tout dans une version modernisée. Un résultat plein de sincérité, touchant et parfois brillant. Seul le personnage de Duncan Idaho m'a un peu exaspéré avec sa révolte adolescente qui n'en finit pas et qui colle difficilement avec la grandeur du personnage original. Par contre, si l'idée d'en faire le seul protagoniste récurrent de toute la saga en le clonant à répétition m'avait tout d'abord fait l'effet d'un gag (je pensais à Kenny de South Park à force), je dois avouer que l'idée est finalement excellente et offre un véritable point de repère à une saga qui couvre à présent 3500 ans d'histoire. Duncan est le point fixe qui évite le vertige.


Je terminerai sans m'attarder sur les quelques faiblesses du roman, comme sa tendance à tirer un peu en longueur, ou le relatif manque de consistance de son intrigue puisque presque toutes ses forces sont concentrées dans les (excellents) dialogues. Ça n'empêche pas l'éclosion d'une véritable tension qui incite le lecteur à tourner rapidement les pages, une première en ce qui me concerne avec cette saga. De nouveau confiant, j'attends à présent avec plus de sérénité ma lecture du prochain volume qui marque apparemment une grande rupture avec tout ce qui précède. En espérant éviter le roman de trop...


Ma critique de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_1/critique/4032563


Ma critique du Messie de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Le_Messie_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_2/critique/33859973


Ma critique des Enfants de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Les_Enfants_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_3/critique/53037674

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le 15 janv. 2018

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Amrit

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