Dune
8.1
Dune

livre de Frank Herbert (1965)

Je ne regrette pas mon voyage sur Arrakis, la planète plus connue sous le nom de Dune. Et ce, même si ce ne fut pas l'une des plus grandes expériences de ma vie de lecteur comme on me l'avait fait espérer. Mais le voyage est encore long... car il ne s'agit que du premier tome d'un cycle de six (quoi ? les livres écrits par son fils ? J'ignore de quoi vous voulez parler, mécréants !) que je compte bien explorer jusqu'au bout ! Mais revenons à ce premier roman...


Le dépaysement est garanti. Pas grâce aux descriptions « physiques », non. On se retrouve face à du pur anti-Tolkien: quelques lignes vagues mettent en place le décor et puis basta. Décor qui se réduit le plus souvent à des grottes perdues dans le désert. Les vêtements, les véhicules, les armes... presque tout est laissé à l'imagination du lecteur et, personnellement, je ne trouve pas ça trop mal. Autant aller directement à l'essentiel ! L'action ? Non, pas vraiment. Oubliez toute idée épique: les grandes batailles du livre, si elles existent, sont balayées par le point de vue du narrateur, toujours subtilement extérieur à ces moments de chaos. Ca peut être frustrant, donner l'impression qu'on loupe l'essentiel mais pas vraiment. L'essentiel, ce qui se révèle à ce point dépaysant en fin de compte, c'est la description psychologique des personnages: Mentat, Bene Gesserit, Fremen... Autant de noms qui vont vous envoyer vers des concepts radicaux, profonds, envoûtants. Il va falloir batailler un peu pour tout comprendre: Herbert n'explicite pas tout, loin de là, ce qui donnera peut-être envie aux plus pragmatiques de s'ouvrir les veines avec les dents. Certains mots ou notions doivent effectivement être apprivoisés peu à peu par le lecteur, par un lent travail d'imprégnation qui lui permettra de passer du statut d'étranger à celui d'habitant de ce livre-univers. Pratiquement comme pour un véritable voyage...


La plus grande originalité se situe sans doute dans les dialogues qui mettent toujours les pensées des personnages en parallèle à ce qu'ils disent vraiment. Jongler entre l'apparent et le souterrain, voilà ce qui constitue l'un des aspects les plus passionnants de Dune ! Mais cela a sa contrepartie: une certaine lourdeur peut s'installer, parfois, parce qu'aucun événement, même le plus anodin, ne peut se dérouler sans que quelqu'un n'en analyse les moindres rouages. Ca vire parfois au délire quand un simple raclement de gorge devient la preuve évidente d'un complot millénaire ne pouvant aboutir qu'à la fin de l'espèce humaine (mon avocat me conseille de préciser que cet exemple est une exagération volontaire à dessein purement humoristique. Ha-ha.). Très peu de place, voire aucune, pour l'intuition véritable et la spontanéité dans Dune. C'est aussi cela qui contribue à en faire un roman étouffant, aride, certes en totale adéquation avec le climat quasi mortel de la planète !


Enfin, si les thèmes abordés sont nombreux (politique, religion, écologie et eugénisme en particulier) et s'entremêlent harmonieusement la plupart du temps (mention spéciale pour la création d'une prophétie et d'une religion auto-réalisées pour servir des buts politico-eugénistes) la mystique, un peu confuse et même maladroite, abordée dans le cœur de l'ouvrage peut vite s'avérer redondante en ce sens qu'elle devient soudain l'unique sujet de discussion, ou presque, durant 150 ou 200 pages. Même mon amour immodéré de la spiritualité n'a pu m'éviter un écrasant ennui lorsque le roman menaçait de perdre toute dimension narrative au profit d'une description de plus en plus glacée du héros, Paul Atréides. S'il devient difficile de ressentir quelque chose pour ce héros qui enfonce toujours plus profondément le balais qu'il a dans le cul, son évolution sert toutefois plutôt bien le propos du livre et en est même tout logiquement l'aboutissement.


D'un accès pas si facile, privilégiant indéniablement le fond sur la forme, quitte à se perdre souvent dans un propos prétentieux, ce premier tome de Dune est néanmoins un passage obligé pour tous les amoureux de littérature de genre. Plus fantasy que SF, l’œuvre de Herbert joue avec les codes mais reste, par certains côtés, inachevée si on se contente de ce seul opus. Je ne peux imaginer un seul instant en rester là et je suis déjà impatient de m'engloutir tout le cycle ! Ce n'est que de cette manière, j'en suis sûr, que le monde imaginé par Herbert prendra tout son sens.


Ma critique du Messie de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Le_Messie_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_2/critique/33859973


Ma critique des Enfants de Dune: http://www.senscritique.com/livre/Les_Enfants_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_3/critique/53037674


Ma critique de L'Empereur-Dieu de Dune : https://www.senscritique.com/livre/L_Empereur_Dieu_de_Dune_Le_Cycle_de_Dune_tome_4/critique/146477404

Amrit
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le 20 mai 2014

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Amrit

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