Dans la première partie, le style de ce roman est télégraphique, avec une épuration des détails, et épouse le regard du "héros" (entre "", car il n'est pas vraiment l'archétype du héros) : comme lui, nous devenons alors un observateur extérieur au monde, un étranger (d'où le sens du titre). L'absence d'émotions, d'interprétation, ou de préjugés (seules ses sensations présentes et l'immédiat l'intéressent) du "héros", son aspect lisse et direct (il ne peut pas mentir), est en fait le reflet de la vision (pessimiste ?) de l'auteur, qui est celle d'un monde absurde, d'où le sens est a priori absent.[spoiler] J'ai beaucoup apprécié notamment le second chapitre, qui justement montre le "héros" observer le manège apparemment insignifiant du monde.[/spoiler]
La deuxième partie du roman est la tentative de donner du sens aux actes du "héros". [spoiler]Seul le système législatif y parvient, dans son implacable logique ! [/spoiler]
Pour comprendre la portée de ce livre, il faudrait le lire à la lumière de la deuxième guerre mondiale (ce livre est écrit en 1942), du christianisme, et du courant de l'existentialisme, proche de la signification de l'absurde chez Camus : comme lui, il vise le conventionnalisme moral et social, les habitudes.
Ce n'est pas forcément un roman qu'on lit pour se faire plaisir (bien qu'il ne soit pas totalement dénué d'humour), et je l'ai également beaucoup apprécié pour son point de vue sur l'existence, qui n'est pas totalement négatif, mais simplement qui refuse celui qui est donné habituellement par la société, et pour l'ouverture offerte aux différentes interprétations. Un véritable diamant aux multiples facettes que je ne conseille pas, encore une fois, pour rêver, mais pour réfléchir sur ce que nous acceptons par habitude, par convention. Avec en prime une magnifique écriture et un style, une forme, qui participe au contenu du récit.