Début des années 1990 au Caire alors qu’une coalition occidentale s’apprête à attaquer Bagdad pour la libération du Koweït.
Par touches successives, l’auteur nous dévoile l’existence de personnages qu’on suit avec un grand intérêt. Les paragraphes les concernant et leur destin sont intiment mêlés, car tous ont en commun cet immeuble somptueux du centre de la ville : l’immeuble Yacoubian, bâtiment luxueux bâti par l’architecte éponyme au début des années 30. Bien sûr, depuis la révolution et les années Nasser, l’immeuble a perdu de sa superbe, mais son prestige reste intact.
Taha Chazli vit avec ses parents sur la terrasse de l’immeuble où s’est développé un quartier dans le quartier. Un ensemble de cabanes rudimentaires jadis à la disposition exclusive des résidents devenu un lieu d’habitation pour ouvriers désargentés.
Taha a des rêves : il travaille dur à l’université pour entrer dans la police. Mais à cause de la basse condition de son père, ses vœux sont rapidement réduits à néant. Déçu et en colère, il devient la proie des réseaux islamiques.
Hatem est aisé. L’argent n’est pas un problème pour lui et il peut se permettre de dépenser sans compter. Sa croix (si je puis utiliser ce terme au sujet d’un musulman), sa croix donc, est son orientation sexuelle : Hatem est homosexuel. Ce qui est officiellement interdit, mais plus ou moins toléré dans un état modéré comme l’Egypte (surtout si l’homosexuel est riche et évidemment discret).
Zaki Dessouki et Hadj Azzam sont deux hommes plus tout jeunes qui ont en commun leur passion des femmes. Alors que Zaki, célibataire, multiplie les aventures avec des jeunes femmes qu’il prend le temps de séduire, Azzam qui est marié et très croyant décide de s’offrir une seconde épouse. Epouse qu’il paie en monnaie sonnante et trébuchante et qu’il installe confortablement à l’insu de sa famille dans un appartement de l’immeuble Yacoubian et à laquelle il rend visite quotidiennement pour deux petites heures de sexe.
Le récit de Alaa El-Aswany m’a tout d’abord ennuyé. Décousu, il passe assez rapidement d’un personnage à l’autre. Mais le récit gagne ensuite en profondeur au fur et à mesure que ceux-ci s’étoffent et le texte que j’ai tout d’abord trouvé un peu superficiel et assez intéressant est devenu au tiers du livre bien plus intéressant. Car le ton lointain et très narratif se charge peu à peu d’une tension certaine : la description de l’immeuble et de certains de ses habitants est le point de départ d’une réelle analyse de la société égyptienne en cette fin de 20e siècle.
Le lecteur est ainsi témoin de la montée de l’extrémisme, assiste impuissant à l’embrigadement d’un jeune bien sous tout rapport, à son « instruction », à sa préparation psychologique, idéologique et militaire, à sa fanatisation. El-Aswny nous montre le visage d’un islam complexe opposant extrémistes galvanisés par le souffle des bombes et modérés qui ne demandent qu’à vivre leur religion en paix.
A travers les exemples de Boussaïna qui est forcée d’accepter des relations sexuelles clandestines et non consenties pour conserver son emploi et celui de Souad qui est légalement achetée par son époux auquel elle doit obéissance et soumission, l’auteur dresse ensuite un tableau effrayant de la condition féminine dans une société archaïque où la femme est reléguée au rang d’objet, de marchandise, d’animal de compagnie ou, dans le meilleur des cas, de faire valoir, créée pour assouvir tous les bsoins naturels et les fantasmes de l’homme.
La quatrième de couverture annonce qu’Alaa El-Aswany n’a pas écrit ce livre fort pour chercher le scandale. Je gage toutefois que, dans ce pays qui repose sur la corruption, il a certainement dû le trouver.
BibliOrnitho
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le 27 mars 2013

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