De la mythologie, à la société consumériste....

Bonjour à tous,


Me voici avec ce livre, devant vous, ce soir. Et ce livre est absolument essentiel ! Pourquoi ? Je vais vous le dire, brave gens.


S’appuyant sur une description psycho-sociologique des troubles engendrés par la culture de masse, sa thèse tranche avec les théories habituelles sur le traitement des pathologies : loin de défendre une meilleure prise en charge institutionnelle des citoyens, Lasch montre que c’est bien justement la mise en place d’une société de protection qui est à l’origine du narcissisme sous sa forme actuelle : « A mesure que les points de vue et les pratiques thérapeutiques acquièrent une audience de plus en plus vaste, un nombre sans cesse accru de gens se trouvent disqualifiés, en fait, lorsqu’il s’agit d’endosser des responsabilités d’adultes ; et ils tombent sous la dépendance d’une autorité médicale quelconque. Le narcissisme est l’expression psychologique de cette dépendance [6] ».


Le narcissisme est le révélateur d’un malaise plus diffus mais généralisé et qui touche tous les secteurs de la vie sociale. Lasch met en lumière une crise dans notre culture, qui s’avère désormais incapable de former des individus accomplis et autonomes. Son livre est un saisissant portrait de Dorian Gray de « l’homme psychologique », cet individu contemporain moyen qui se trouve de plus en plus dessaisi de sa propre vie.


Il convient d’éviter un contresens massivement répandu sur ce terme de narcissisme, que l’on prend communément pour un synonyme d’égocentrisme ou de vanité. Pour cela, il faut revenir à la légende grecque. On sait que Narcisse, fasciné par son reflet, finit par trop se pencher, tombe à l’eau et se noie. A trop s’aimer, il aurait provoqué sa perte.
Dans le langage courant, l’idée est restée : est dit narcissique l’individu qui a une trop grande estime de soi : il veut toujours être le centre de l’attention, il ramène tout à lui. Lorsqu’on accuse un écrivain ou un cinéaste de tomber dans ce travers, on lui reproche de faire des oeuvres nombrilistes, de se mettre outrageusement en scène. L’histoire de Narcisse pourrait donc être lue comme une mise en garde contre l’amour excessif de soi.


Néanmoins, le sens clinique du terme est à l’opposé de cette vision populaire. La clef du mythe est que Narcisse ne s’est pas reconnu dans l’eau. Il ne savait pas que c’était lui qu’il contemplait : « Narcisse se noie dans son reflet sans jamais comprendre qu’il s’agit d’un reflet, explique Lasch. Il prend sa propre image pour quelqu’un d’autre et cherche à l’embrasser sans penser un instant à sa sûreté. La leçon de l’histoire n’est pas que Narcisse tombe amoureux de lui-même mais que, incapable de reconnaître son propre reflet, il ne possède pas le concept de la différence entre lui-même et son environnement. »


C’est pourquoi au sens clinique, le narcissisme est une pathologie de la personnalité. L’individu qui en souffre a sans cesse besoin d’attirer l’attention sur lui non par satisfaction mais par manque. Il se montre étouffant pour les autres, dont il ne sait pas prendre en compte les désirs, du fait de son manque d’empathie. C’est pourquoi, il ne cherche dans la relation à autrui que sa satisfaction. Il a tendance à se comporter en parasite de son entourage ; il vampirise leur énergie, leur bonne volonté, tout leur temps parce qu’il est foncièrement incapable de se supporter. Il veut les placer sous sa dépendance et se donner le sentiment de les dominer, afin de compenser ses propres carences en terme d’estime de soi.


Mais de quoi parle ce livre ? Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de l’historien et sociologue américain Christopher Lasch (1932-1994) n’est pas une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la société et de la culture américaine, en particulier depuis les années soixante avec le règne des sociétés multinationales et le culte de la consommation, ont contribué à transformer la structure de la personnalité de l’homme américain – et par extension occidental -, avec des traits de caractère narcissiques de plus en plus développés (narcissique devant être compris au sens psychanalytique du terme).


Dans un monde perçu comme un endroit dangereux et terrifiant, avec la menace nucléaire et terroriste, l’épuisement des ressources naturelles, le désastre écologique annoncé, croire en l’avenir est devenu difficile, d’autant plus que les medias, rapportant de manière arbitraire les désastres du monde, renforcent le sentiment d’insécurité et de discontinuité de l’histoire.


En parallèle, la perte d’expertise et d’autonomie de l’individu dans le travail avec le développement des grandes entreprises, la compétition accrue dans le travail (où ce qui compte désormais est moins la compétence que l’habileté dans les relations interpersonnelles), le déclin de l’autorité parentale en partie usurpée par l’école et surtout par les grands moyens de communication, l’érosion de la transmission et du lien avec le passé, la prolifération des images dans notre «société du spectacle», le développement d’une civilisation dominée par les apparences, le culte de la consommation, les désirs infantiles stimulés par la publicité, créent une faille béante entre le vide d’une routine quotidienne largement vide de sens et la frustration née de désirs de consommation et de gratification immédiate impossibles à assouvir.


Voilà, en gros, les grands traits de cet essai.


Sur ce, lisez cet essai passionnant, et édifiant ! Bonne soirée à vous. @ +. Portez vous bien. Tcho.

ClementLeroy
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le 17 juil. 2016

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San  Bardamu

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