Littérature
Je suis sociologiquement prédisposé à aimer Desproges : mes parents écoutent France Inter. Par ailleurs, j'aime lire, j'ai remarqué au bout d'une douzaine d'années que quelque chose ne tournait pas...
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le 6 août 2013
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J’ai du mal à comprendre la réticence qu’éprouvent certains amateurs de littérature à lire du théâtre : avec un minimum de patience et d’imagination, le lecteur se fait sa propre mise en scène, qui quelquefois en vaut largement certaines proposées sur les planches. (Je laisse de côté les cas de quelques pièces de l’âge classique ou de textes littéralement injouables, pour lesquels une telle approche est inutile ou vouée à l’échec.) Or, j’ai lu la Source des saints (qui s’intitule quelquefois la Fontaine aux saints) dans la traduction (1) de Noëlle Renaude pour les Éditions théâtrales, et ça a son importance.
C’est-à-dire que le texte en anglais passe par le chas plus ou moins large de la traduction, laquelle passe par la compréhension plus ou moins fluide du lecteur, qui mobilise son imagination s’il veut que ça ressemble à du théâtre. Autant dire que la Source des saints propose trois beaux obstacles. Dans le « Dossier » qui fait suite à la pièce, la traductrice précise que « cette langue ne relève évidemment pas du rural, du dialectal, du pittoresque. […] elle est dure à dire et à mâcher » (p. 52). C’est le mot : mâcher ; il faut des molaires solides pour lire « C’est une vilaine vie pour la voix, Martin Doul, quoique rien n’y a comme le pluvieux vent du sud qui nous souffle dessus je l’ai entendu dire, pour vous garder la peau blanche toute belle – ma peau à moi – au cou puis au front, puis rien n’y a comme une belle peau pour mettre splendeur sur une femme. » (Ça se trouve au début du premier acte, mais j’aurais pu prendre presque n’importe quelle réplique au hasard.)
Je ne dis pas que le théâtre, et la littérature en général, ne doivent pas quelquefois ressembler à cela. Ni qu’on n’y trouve aucun plaisir parce que c’est trop difficile – je sais trop bien que la difficulté d’un texte, sa qualité et le plaisir qu’on y trouve n’ont rien à voir ensemble. Je dis juste que pour cette pièce – en tout cas pour cette traduction –, le lecteur doit faire l’effort de comprendre le texte avant celui de créer sa saynète intérieure ; autrement dit, le mâcher en bouche longuement avant de le faire passer dans sa tête. Il faut ça pour savourer la méchanceté d’une réplique telle que « C’est celles-là les grasses les mollasses qui plissent jeunes, puis cette blanchaille de cheveux paillasse qu’elle a ça vire tôt à la grêle touffe d’herbe quand ça croupit, où dort la flotte, au nord d’une soue. Ah, ça c’est épatant non qu’une de ta tournure tourne la tête aux bêtas pour un petit temps, et puis vire à cette chose qui fait filer les petits de devant tes pieds » (p. 31, acte II).
On m’objectera que le même effort doit être fait pour une tragédie classique, par exemple. C’est peut-être un effort aussi fourni, mais pas le même : lire une pièce de Racine requiert des connaissances en vocabulaire, le sens de la musicalité et un attrait pour la clarté ; lire la Source des saints demande de faire l’impasse sur ses habitudes syntaxiques et sur la notion d’harmonie. (« Le sens est au bout de l’énigme, chez Synge. Il se gagne par la difficulté à dire mais aussi par la physique de l’oralité », précise la traductrice, p. 52, et c’est sans doute ce qui en fait un bon spectacle.)
Pour finir, si je n’ai pas encore parlé de l’intrigue, c’est qu’elle est finalement assez convenue : un couple d’aveugles décrépits, sortes de Vladimir et Estragon hétérosexuels et Irlandais, se voient proposer par un saint de recouvrer la vue, mais le monde tel qu’ils le voient les déçoit. « Mais malheureux pécheur aveugle, Dieu fais-lui grâce, je ne me soucie pas de toi » (p. 42), dira le saint dans le troisième et dernier acte.
(1) La page de faux-titre parle de « texte français », non de traduction. Mais un texte écrit dans une langue et qu’on récrit dans une autre, j’appelle cela une traduction. Je m’étonnerai toujours du goût pour le br**lage de nouille que manifeste une bonne partie du monde du spectacle vivant – tiens ! encore une belle : ça ressemblerait à quoi, du spectacle mort ?
Créée
le 8 juil. 2018
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