Si tous ceux qui croient avoir raison n'avaient pas tort, la vérité ne serait pas loin

Eh bien ! Moi qui avais apprécié la Lettre à Ménécée d'Épicure, je dois bien avouer que je tombe de haut. La Nature des choses de Lucrèce s'inscrit parfaitement dans ce registre d'ouvrages philosophiques datés qui n'ont pratiquement plus aucun intérêt à être lu aujourd'hui.

En fait, Lucrèce m'a beaucoup fait penser à Aristote : ils brassent de nombreux sujets et disent de nombreuses conneries… à ceci près que Lucrèce, en plus d'adopter une forme poétique, explique plus en détails son raisonnement. Au moins, on lui doit ça. Mais est-ce que ça rend l'ouvrage plus pertinent ? Absolument pas !


Peut-être que le problème vient de moi, peut-être que j'ai mis la barre trop haute. Étant profondément matérialiste et, sur le papier tout du moins, proche de la philosophie épicuriste (je fais la distinction avec le terme épicurienne, galvaudé), il est fort probable que je m'attendais à me retrouver dans cet écrit.

L'un des problèmes avec De Rerum Natura c'est, qu'en plus d'être un poème, c'est aussi un rappel de la philosophie d'Épicure, suivi de quelques ajouts propres à Lucrèce, mais aussi un livre scientifique (et scientifique dans un sens très large) et parfois même historique. Bref, on a à boire et à manger, les filles de joie, le majordome, la Cadillac neuve et la villa offerts, mais tout est fait pour rendre l'expérience la plus désagréable possible : Lucrèce est erratique, il va de droite à gauche et la plupart du temps, il finit par nous perdre. Certaines de ses conclusions sont loin d'être stupides, mais la manière pour y parvenir, le cheminement, l'est très souvent. Il faut parfois vraiment s'accrocher pour le suivre, pour comprendre où il veut en venir… quoiqu'il y a des passages dans lesquels je ne comprenais pas trop ce que je lisais, et une fois que c'était le cas, je me disais que c'était justement mieux quand je n'avais pas compris.


C'est marrant deux minutes : pour les épicuristes, comparaison étant raison, on a de temps en temps droit à des liens qui n'ont aucun sens (on passe de l'analogie au sophisme en un claquement de doigt). Mais une fois qu'on s'est marré un bon coup, que Lucrèce nous a mis en face de ses raisonnements tous plus débiles les autres que les autres, on a envie que d'une seule chose : ranger, jeter ou cramer ce bouquin. Franchement, avoir plusieurs pages concernant le fonctionnement du corps et sa similarité avec celle d'un navire, puis apprendre que « le sommeil se produit quand s'est dispersée à travers nos membres la force de l'âme », ça va bien deux minutes sur une page trivia de votre réseau social préféré, mais j'ai franchement autre chose à foutre que de lire ce genre d'élucubrations, de m'attarder sur des comparaisons débiles, durant plusieurs heures.

Pour les gourmands, m'ont bien fait rire les passages autour de la géologie (on apprend que les tremblements de terre sont dus aux vents et que les volcans sont des sortes de maladie de la terre), de la maladie (la variété de l'air en est la cause) et, sans grande surprise, ceux concernant l'astronomie.


Plus sérieusement, les chants 3 et 4 sont probablement les plus intéressants à lire (ou les moins inintéressants, c'est au choix) : ce sont ceux qui ont le mieux vieilli, qui apportent le plus de notions philosophiques intéressantes. Quant aux deux premiers chants, ce sont des récapitulatifs des philosophies épicuriste et atomiste avec quelques ajouts sans aucune pertinence. Enfin, avec les chants 5 et 6, on se focalise maladroitement sur la science, l'astronomie et l'histoire… bref, inutile de vous dire pourquoi le tout se révèle inégal.

En fait, je n'ai retenu qu'une poignée de passages pertinents parmi les six chants composants le livre (chaque chant faisant 60-70 pages, c'est vous dire le niveau) : Ce qu'est la mort lors du Chant 3 et Réfutation des sceptiques lors du Chant 4 étant ceux qui m'ont le plus marqués.

Concernant le reste, à part lors de quelques passages bien précis comme La nature des astres, Lucrèce a tendance à se poser en tant que sachant, il ne propose pas, il nous révèle la vérité : il sait !… Du moins, il croit qu'il sait, il ne se prend pas pour de la merde quoi, ce qui rend le propos encore plus ridicule aujourd'hui.


Le problème, c'est que même en faisant fi du côté philosophique de l'ouvrage, même en prenant le livre comme une histoire, pour son côté rétrospectif, voir mythologique, ce n'est pas forcément très intéressant. J'ai pris bien plus de plaisir à lire les Fragments des différents présocratiques : moins lourds et donc moins désagréables à lire.

Même si je ne pense pas que le problème provienne de la traduction, j'avoue avoir hésité à me procurer l'édition bilingue. En tous cas, j'aurais bien du mal à blâmer Jackie Pigeaud dans l'histoire. Par contre, concernant l'édition, on retrouve encore une fois des notes empilées les unes à la suite des autres à la fin du livre, et non présentes en fin de page (alors que c'est pourtant le cas pour la présentation), ce qui rend la lecture encore plus désagréable qu'elle ne l'est déjà.


Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas autant emmerdé en lisant un livre. En cela, La Nature des choses a réussi une chose : me faire philosopher sur mon propre ennui (ce sera déjà ça). Plus sérieusement, il a surtout confirmé mon doute concernant le fait que de nombreux ouvrages de philosophies antiques n'ont quasiment aucun intérêt à être lu aujourd'hui, à moins que l'on veuille à tout prix être un expert, tout lire, sur le sujet… ou que l'on soit un fétichiste (je ne juge pas). Mais pour le coup, je pense que vous perdrez bien moins votre temps en vous contentant de lire la page Wikipédia de l'ouvrage. Quant à la philosophie épicuriste, je ne peux que vous renvoyer vers Lettre à Ménécée qui a au moins le mérite d'être court et de se montrer plus direct.

D'ailleurs, je place ça là, mais concernant la philosophie antique, je dois avouer que je préfère plusieurs ouvrages courts, pour lesquels chacun se concentre sur un sujet bien précis, plutôt qu'un gros pavé brassant une myriade de sujets : au moins, dans le premier cas, c'est toujours plus facile de faire le tri.

Bref, je pense que j'aurais attribué la note de X si j'avais lu ce livre il y a MM ans. Je pense même que j'en aurais fait un exposé lors de mon passage dans l'agora Critica Sensus. Aujourd'hui, et encore une fois, ça n'a plus grand intérêt.

MacCAM
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le 12 janv. 2023

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