Chroniques d'un monde chaotique en quête d'or.

Ce que l'on oublie beaucoup de dire à propos du grandiose James Ellroy, c'est qu'il n'est pas seulement un écrivain magistral de roman noir, un grandiose faussaire de l'Histoire ou encore un homme au cœur sombre obsédé par la rédemption ainsi que par la figure fantasmatique de la femme : il est aussi un grand mystique. Panthéiste, calviniste et puritain, son oeuvre n'est que trop connu pour ses thèmes profondément sombres et religieux qui font d'ailleurs le charme et l'essence même de son oeuvre. Il serait déraisonnable de tenter de revenir sur l'identité méta-littéraire de James Ellroy, tant moi et beaucoup d'autres ont écrit de critiques sur ses précédents opus, mais il ne serait pas abusif de dire que La Tempête qui vient, en plus de s'inscrire dans l'incroyable fresque que constitue la Quatuor de Los Angeles, l'un des projets littéraires les plus incroyables de ce début de siècle (et peut-être même du siècle), s'inscrit dans la totalité, le Tout, de ce que constitue le génie James Ellroy, dans toute sa splendeur. Il est très difficile de comprendre les raisons pour lesquelles, bien plus que Perfidia, ce roman m'a autant passionné et bouleversé tout à la fois. Est ce parce que James Ellroy écrit de mieux en mieux ou parce que je l'aime de plus en plus ? En tout cas, le maître du roman noir nous peint toujours ce Los Angeles corrompu et rongé par le péché jusqu'à la moelle, en pleine Seconde Guerre Mondiale, menacé par la cinquième colonne composée de fascistes et de communistes, tous unis par un pacte secret conclu au Mexique et tous cherchant à secrètement mettre la main sur l'or volé lors d'un braquage en 1931. Dans cet enfer de vices, de relations amoureuses contrariées, de fautes irrémédiables, dans ce Tout mystique tout formé d'incendies criminels, de meurtres atroces et de trafics de drogue, nos héros, Dudley, Hideo, Kay, Bill, Elmer, Buzz et Lee, accompagnés de la regrettée Joan Conville, jouent leurs tragiques, romantiques, wagnériennes partitions.


Bien étrangement, le centre de ce roman est presque la théorie de la totalité de Hegel, et notamment de sa dialectique comme moyen d'accéder à la Vérité et à la totalité de la Raison. Sur le roman plane toujours l'obsession du Tout et de la contradiction comme congruence : le fascisme et le communisme, bien qu'opposés radicalement, semblent non seulement s'allier mais se fondre l'un dans l'autre pour ne devenir plus qu'un, dans une perspective de survie et d'affrontement face à l'Amérique des années 40. Si Ellroy avait précédemment pointé dans sa littérature le passé raciste voire pro-fasciste de certaines élites américaines, jamais il n'avait abordé le sujet du communisme autrement que par la confrontation avec la droite républicaine américaine, à travers des héros calvinistes en quête de rédemption : pourtant, dans La Tempête qui vient, dans un jeu de miroir incroyable, il fait se confondre, y compris dans l'identité des personnages, le marxiste et le nazi, parfois même au sein de personnages duels. Mais cela ne va pourtant pas sans un certain nihilisme : dans cette période de chaos, où l'alliance entre Rouges et Bruns ne serait même finalement qu'une légende, dans un monde en ruines, où les personnages fautent, se rachètent et se vengent, l'avidité de l'Homme ne va qu'à l'Or. Cet Or, qui comme la métaphore de l'idéal fasciste et communiste, n'est qu'une vaste chimère, animant les esprits et les âmes par son mensonge originel. Et surtout, le plus incroyable dans ce roman de James Ellroy, c'est cette réflexion sur le suicide, qui n'est plus seulement sacrifice, mais rachat d'une faute impardonnable. La Tempête qui vient est assurément un roman qui balaie tout sur son passage, l'un des plus beaux de l'auteur, l'un de ses plus attachants sans doute. Il est le roman d'une Amérique idéaliste et désespérée.

PaulStaes
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le 14 juil. 2020

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Paul Staes

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