Je referme le second tome du Théâtre des Opérations avec diverses impressions diffuses ne s’affirmant pas sereinement : je ne sais comment rapprocher cet ouvrage de son précédent, ou plutôt, je ne sais exprimer distinctement ce qui les différencie.
Maurice Dantec est toujours dans cette étude complète et multi complexe de l’homme au sein de son environnement évolutif géopolitique, mais une incursion du sacré, du religieux se pose là en élément perturbateur à ma raison athée. Je comprends les assertions de l’auteur quant à la nécessité créatrice d’une souveraineté pour le développement d’une civilisation, mais j’ai du mal à adhérer à ce mysticisme d’un au-delà que Dantec semble approcher comme une réalité. Aucun miracle n’adviendra qui agencera la venue d’une nouvelle civilisation : à notre époque technoscientifique, Dieu est bel et bien mort comme il l’affirmait dans le premier volume, et c’est de ces cendres que l’homme s’est constitué créateur. C’est donc à lui d’en prendre la mesure plutôt que de chercher d’instituer une voie mystique ou surnaturelle. Et la voie des livres semble suffisante à remplir cette fonction d’intelligence supranaturelle.

L’auteur continue d’ailleurs d’analyser et d’insérer ses penseurs de prédilection – que je me dois de lire – et en ce sens, continue de privilégier la recherche comme voie d’accomplissement. C’est par la connaissance et la compréhension du monde qui nous façonne qu’à notre tour nous pouvons le façonner. En ce sens, nous sommes Dieu, tous autant que nous sommes, et son corollaire le Diable. C’est cet affrontement constant dont nous nous faisons les hérauts qui modèle patiemment notre devenir incertain, et ce n’est donc pas à un Dieu quelconque de nous indiquer la voie mais bien à un Christ : un écrivain, un philosophe, un penseur, un guérisseur. Un homme doué de recul et d’options. Et c’est là que le bât blesse : inconsciemment, Dantec laisse à croire qu’il est lui-même cette incarnation du renouveau de l’homme, ce créateur fait chair et donc capable d’actes… Une espèce de démesure qui dévoile une fausse mégalomanie derrière laquelle il outrage ses raisonnements. Paradoxe ?
Ai-je tout compris ? Probablement non.

Maurice Dantec préconise l’écriture comme arme de combat autant que comme laboratoire de recherche. Une recherche complexe d’un fonctionnement optimal de nos capacités en vue du développement exponentiel auquel nous allons devoir faire face. Il place alors l’écrivain en politique de l’ombre : celui qui inspire, donc qui crée. Il semble alors que ma pauvre culture m’ôte d’emblée le pouvoir d’intégrer ce cercle – probablement extrêmement restreint – de penseurs des possibles. Je sais n’être qu’un observateur du quotidien qui, sortit de la poésie, peine à développer ses sentiments en pensées, de là à les organiser clairement… La déception qui m’attrape à la fin de cette lecture tient peut-être de ça, de cette vérité violemment couchée là sur les pages de ce livre : je ne sais pas écrire – je ne suis qu’un gratte-papier, un amasseur de mots, et sans mauvais jeu, de maux.
La lecture du Laboratoire de Catastrophe Générale me dit encore qu’il faut que je lise, que j’assimile, que j’organise : que je pense. L’écriture n’est pas un jeu, c’est une affaire d’autant plus sérieuse qu’il en va de la sur-vie de l’homme. Tout a déjà été raconté ; les siècles passés n’ont fait qu’accumuler les variations de style liées aux évolutions libertaires de chaque époque. Aujourd’hui, le style n’existe plus. Le fond s’est enfin hissé au rang qui lui revient et pris le pas sur la forme qui n’en est que la dialectique illustrée. Ce que je pense doit être exprimé clairement et totalement, sans figure d’ornement – laisser cela à la poésie justement, qui serait plus récréative, plus anecdotique.
Peut-être est-ce encore l’éclairage donné ici à la genèse, ainsi au fonctionnement, de Cosmos Incorporated et Grande Jonction qui, dévoilant les ficelles de la puissance mystique de ces romans, nous en reprend la magie ancrée dans un réel, et nous ramène à notre condition de lecteur comprenant sa damnation par-delà les futurs en devenir. Et encore une fois, Maurice Dantec me dévoile la vacuité de ma prose romanesque profondément ancrée dans notre époque apocalyptique et décadente.

Il va de soi que ces deux volumes m’ont profondément marqué, agissant d’abord comme le catalyseur nécessaire à la mise en branle de ce projet de vie : écrire ; m’engageant également sur la voie de la curiosité m’emmenant à dépasser ce que mon cerveau encore étriqué est en mesure de concevoir ; me délectant enfin dans l’optique d’une (re)lecture intégrale des textes de l’homme et d’une compréhension sur-humaine de nos sociétés et de leurs possibles en gestation. Un Christ je ne sais pas, un prophète probablement, qui convertira beaucoup d’esprits je pense, une grande majorité de ceux qui le comprendront.

Matthieu Marsan-Bacheré
Matthieu_Marsan-Bach
7

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Maurice G. Dantec

Créée

le 5 mars 2015

Critique lue 406 fois

1 j'aime

Critique lue 406 fois

1

D'autres avis sur Laboratoire de catastrophe générale

Du même critique

Gervaise
Matthieu_Marsan-Bach
6

L'Assommée

Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse...

le 26 nov. 2015

6 j'aime

1